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samedi 21 mars 2020

Deux paraboles du rôle de l'État - "Le train sifflera trois fois" vs "Rio Bravo"

 Bonjour à tous
En 1952, le film de Fred Zinnemann, High noon (Le train sifflera trois fois) est un succès populaire et critique. Porté par un Gary Cooper au sommet de sa gloire et par une jeune actrice blonde future princesse monégasque, ce western raconte l'histoire d'un shérif Will Kane (Gary Cooper) qui doit affronter des bandits devant arriver par le train dont celui qu'il avait envoyé en prison et qui revient se venger. Le temps de l'action correspond pratiquement à la durée du film pendant lequel Will Kane demande de l'aide à tous ses administrés qui tous la lui refusent. Même son épouse l'abandonne à son combat face à 4 individus.
Succès colossal donc et Gary Cooper s'inscrit un peu plus encore dans la légende des héros de l'Ouest.
Pourtant, certains trouvent ce film absolument mauvais. Pas techniquement. Pas par le jeu de Cooper puisque ceux qui critiquent High noon font partie de ses amis. Ce que dénoncent Howard Hawks et John Wayne, deux Républicains comme Cooper, c'est ce que fait le shérif. Pour eux, le shérif doit protéger la population et ne doit pas demander à être protégé par elle.

Si bien que quelques années plus tard, Hawks écrira une nouvelle (attribuée à Barbara Hawks McCampbell sa propre fille) partant pratiquement de la même base du film de Zinnemann. Un Shérif arrête un homme pour meurtre, l'emprisonne mais doit faire face aux hommes de son clan qui veulent le libérer. Mais Hawks écrit l'exact inverse de High noon qui se traduit par la réalisation de Rio Bravo en 1959. Le shérif refuse l'aide de tout le monde. Et au contraire de Grace Kelly, une belle blonde (Angie Dickinson) qu'il connaît à peine est prête à risquer sa vie pour le secourir. 


Bande Annonce High Noon
Ces deux films illustrent deux visions de l'État et de son rôle. Film scénarisé par Carl Foreman, bientôt blacklisté pendant le maccarthysme qui sévit à Hollywood, High noon peut proposer une interprétation courageuse. Le shérif est abandonné par la lâcheté de ses concitoyens et doit faire face à un comité qui veut l'abattre. Certains y ont vu un pamphlet anti chasse aux communistes qui sévissait dans les studios. Et au regard des pressions que la production indépendante a subies de la part du Comité des Activités Anti-américaines, nul doute que cette interprétation soit tout à fait valide. Le départ du shérif avec sa femme de Hadleyville sans se retourner peut d'ailleurs s'assimiler aux départs des nombreux artistes ayant fui les USA prêts à les condamner et dont ils n'attendaient plus rien, que ce soit Chaplin, Losey et bien d'autres. High noon dénoncerait donc le maccarthysme. 
Mais la deuxième lecture est plus liée au sens général du film pouvant être lu hors contexte de cette chasse aux sorcières. En demandant de l'aide aux habitants de la ville, c'est une vision de l'administration politique qui est proposée. Le shérif ne renonce pas à son autorité mais en délègue une partie à ceux dont il a la charge. Or il s'agit d'un pouvoir de police. Un pouvoir de sécurité. Celui-là même qui revient à l'État. En demandant de l'aide à ceux qu'il est censé protéger, le shérif cède de son autorité et une part de sa légitimité d'exercer la sienne. Le pouvoir devient de fait moins vertical. Idéologiquement, le film se situe là aussi, au-delà de la parabole contre le maccarhysme, à gauche de l'échiquier politique. Appliqué aux Américains, High noon est assurément un film démocrate.
Bande Annonce Rio Bravo
John Wayne hurla quant à lui à la trahison en voyant ce film. Son anti-communisme était connu de tous et lui-même tourna dans des films maccarthystes comme Big Jim MacLaine d'Edward Ludwig, film lui aussi sorti en 1952. Il est donc probable que Wayne comprit le sens de la parabole et s'en offusqua. Mais Rio Bravo ne se présente pas comme un film maccarthyste. Pas de parabole favorable à une quelconque chasse aux sorcières. En revanche, Hawks trouve en Wayne l'exact inverse de Cooper en tant que shérif.  Si John T. Chance refuse l'aide qu'on lui apporte, c'est qu'il ne veut pas risquer la vie de ses administrés, dont certains sont ses amis. Sa fonction est de protéger et non d'être protégé ni même d'être assisté. Aussi, Pat Wheeler (formidable Ward Bond, un autre Républicain!) qui fait du transport de matériel suggère d'assister Chance qui refuse. Mais Wheeler est tué. L'hôtelier est lui aussi invité à ne pas aider. La belle joueuse de cartes fait tout pour faciliter la vie du shérif mais, malgré sa ténacité, est rabrouée par Chance. Seul Colorado, l'homme de main de Wheeler, arrive à rejoindre le shérif et ses assistants, non sans avoir essuyé un refus initial. Hawks propose donc un film dans lequel l'autorité est verticale. La responsabilité revient à une autorité qui a été déléguée à un homme qui s'entoure d'adjoints mais qui refuse de mêler la population à ses ennuis inhérents à sa fonction. Politiquement, appliqué aux USA, Hawks ne trahit pas ses idées républicaines. Et John Wayne se retrouve pleinement dans ce Rio Bravo qui fut lui aussi un succès tant critique que public.
Le western est donc un genre dans lequel les idéologies politiques sont solubles. Genre privilégié et particulièrement prisé des Américains après la seconde guerre mondiale, il permettait de faire passer des idées et concepts politiques avec beaucoup plus de subtilité qu'un film ouvertement politique et idéologique. 
À très bientôt
Lionel Lacour

samedi 26 août 2017

"Impitoyable", chef-d'œuvre absolu, à l'Institut Lumière

Bonjour à tous

en 1992 sortait Impitoyable sur les écrans du monde entier.
Réalisé par Clint Eastwood, ce film aux 4 oscars, renouait avec la légende de l'Ouest de la meilleure des manières, sans nostalgie, mais avec un sens inouï de la définition du mythe américain.
Vingt-cinq ans après, l'Institut Lumière de Lyon propose une séance exceptionnelle du film le jeudi 31 août à 20h00 en copie restaurée, le tout présenté par Fabrice Calzettoni, responsable pédagogique de l'Institut Lumière.

lundi 22 août 2016

"Mon nom est personne", l'anti "Il était une fois dans l'Ouest"?

Bonjour à tous

ce soir, France 3 diffusera pour la nième fois le film de Tonino Valerii Mon nom est personne. Tous ceux qui ont déjà vu ce film l'associent pourtant à un film de Sergio Leone. Et pour cause. L'idée est bien celle du réalisateur de la trilogie dite du dollar ou de Il était une fois dans l'Ouest. La confusion est également esthétique: mêmes décors andalous, même compositeur (encore une partition magique d'Ennio Morricone) et même esthétique, associant gros plans extrêmes et lenteur des situations.
Tout ressemble donc à un film de Leone, y compris la présence d'Henry Fonda dans le rôle de Jack Beauregard, qui joua le personnage de Frank toujours dans Il était une fois dans l'Ouest.
Pourtant, et tous ceux qui ont déjà vu ce film en conviennent, tout semble opposer ces deux films. Il y a dans Mon nom est personne une note particulièrement comique, voire burlesque que les films de Sergio

samedi 23 mai 2015

Le réalisateur de "Django, Sartana, Trinita et les autres" à Sweet Girls & Bad Boys

Bonjour à tous,


Jean-François Giré viendra présenter son documentaire sur le Western italien. Monteur de formation, passionné par le western européen qui fut foisonnant dans les années 1960, Jean-François Giré a tout d'abord écrit un ouvrage de référence à ce sujet, Il était une fois... le western européen. Mais en 2014, il décide de réaliser un documentaire consacré exclusivement au western italien, qui fut certainement celui qui renouvela le plus le genre qui fit la légende des USA, mais qui le tua quasiment aussi.

lundi 28 juillet 2014

Un homme nommé cheval: un Anglais chez les sauvages

Bonjour à tous

Cette semaine, Ciné + Classic programmera mardi 29 juillet le film de Elliot Silverstein: Un homme nommé cheval réalisé en 1970. À cette époque, la mode est définitivement passée à autres choses qu'aux Westerns. Et ceux qui osent encore aborder le genre le font en se plaisant à dézinguer le mythe! Leone, Peckinpah ou encore Arthur Penn taillèrent bien des croupières aux héros du grand ouest dont la force virile servait davantage à faire le mal qu'à établir vraiment un ordre dans ce vaste territoire conquis aux Indiens - Peaux-rouges.
C'est donc la même année que Soldat Bleu (Ralph Nelson) et que Little Big Man (Arthur Penn) que sortit Un homme nommé cheval sur les écrans. Réalisé par Elliot Silverstein à qui on devait notamment un autre western, Cat Balou, en 1965, le film prend un angle très particulier pour présenter les barbares indiens. Si Arthur Penn prit le parti de l'humour et de la dérision, si Nelson montrait la sauvagerie blanche dans les massacres perpétrés par l'armée américaine sur les Indiens, Silverstein semble n'épargner personne dans son début de film. Et c'est bien l'intérêt qu'il y a à voir ce film, reposant sur une histoire de Dorothy Johnson - qui fut également à l'origine du film L'homme qui tua Liberty Valance, excusez du peu: comment suivre des personnages pour lesquels nous n'avons a priori aucune empathie.

mercredi 3 avril 2013

La chevauchée des bannis: un pré - Peckinpah?

Bonjour à tous,

tout a été dit semble-t-il sur ce film d'André De Toth, réalisé en 1959. La chevauchée des bannis, mis à l'honneur par le cinéaste Bertrand Tavernier qui a réhabilité ce réalisateur d'origine hongroise dans son livre Amis américains, est un film d'une beauté rare: noir et blanc magistral, travail sur la représentation d'une nature hostile et sauvage comme jamais, thème musical utilisé avec parcimonie et qui soutient véritablement les séquences plutôt que de couvrir l'ensemble du film, casting irréprochable. Réalisé la même année que Rio Bravo (voir à ce propos mon article consacré à ce film), il y a des points communs quant à cette manière minimaliste de représenter l'espace habité. Pourtant, si le premier fut un succès considérable, La chevauchée des bannis fut un échec cuisant, poussant son réalisateur hors d'Hollywood pendant des années et n'y revenant que pour deux films. Comment alors expliquer l'absence de succès pour une œuvre que chacun aujourd'hui considère comme la plus aboutie du réalisateur, et sans conteste un sommet du 7ème art?
La modernité du traitement du sujet n'y est certainement pas pour rien et les spectateurs qui allaient encenser Sam Peckinpah quelques années plus tard n'étaient pas encore ceux qui remplissaient les salles.

lundi 19 mars 2012

Le bon, la brute et le truand: la guerre de sécession en accusation

Bonjour à tous,

en 2009, en clôture du festival Lumière organisé à Lyon, Thierry Frémaux avait programmé une version restaurée du chef-d'oeuvre de Sergio Leone: Le bon, la brute et le truand réalisé en 1966. Clint Eastwood, le premier lauréat du prix Lumière avait été très impressionné de voir une salle de plusieurs milliers de spectateurs venus voir ce film. Mais le plus impressionnant était de revoir ce film sur très grand écran. En effet, il est un lieu commun que de dire que le cinéma doit se voir... au cinéma! Or pour un historien qui travaille sur la source filmique, c'est encore plus important. Et pour ce film, celà revêt encore plus d'importance. Car ce film évoque autant la guerre de sécession que l'horreur d'autres guerres, celles que les Européens ont connu durant le XXème siècle.


jeudi 8 décembre 2011

Rio Bravo: une certaine idée des USA


Bonjour à tous,

cela faisait longtemps que je voulais faire un article sur ce film. Que dire de plus que ce qui a pu être dit déjà sur ce chef d'oeuvre réalisé par Howard Hawks en 1959? Que ce soit dans la biographie d'Howard Hawks ou dans les nombreux ouvrages évoquant le western, rien ne semble avoir été oublié. Pourtant, une présentation du film sous l'angle de la représentation du modèle américain me semble intéressante. En effet, ce film est à la fois un classique pour les amateurs de western, une oeuvre conforme au style de Hawks mais surtout un point de vue particulier sur ce que sont les USA pour le cinéaste.

1. Un titre, un style
Présenter le film à des spectateurs qui ne l'auraient jamais vu est assez drôle. En effet, "Rio Bravo" renvoie forcément à une dimension géographique, qui plus est, aux confins des USA. Le Rio Bravo est en effet le fleuve qui marque la frontière entre les USA et le Mexique, appelé du côté américain Rio Grande (qui est d'ailleurs le titre d'un film de John Ford!). Aussi peut-on s'attendre à parcourir ces espaces, ou du moins, côtoyer le fleuve, comme frontière, limite du territoire américain et du domaine des gringos. La séquence du générique nous permet même d'y croire un instant en suivant un chariot arrivant dans une ville. Même la séquence d'exposition nous conforte dans l'idée que le réalisateur veut nous placer dans un monde aux marges du territoire américain "civilisé". La musique dans le saloon est hispanisante. Quand le personnage interprété par Dean Martin, Dude "Borachon" entre dans ce dit-saloon, nous pouvons le suivre en voyant des serveuses typées latines tandis que derrière le bar est suspendue une toile représentant une corrida. Or, ces évocations d'espaces lointains, encore très marqués par la présence espagnole puis mexicaine disparaissent presque aussitôt de l'écran, sauf par la présence du patron de l'hôtel et de sa femme, eux aussi d'origines latinos. Au lieu des grands espaces américains, au lieu de contempler ce fleuve, cette frontière, Hawks nous force à suivre une histoire qui se limite à un bourg habité par quelques personnes, dont l'économie repose sur l'élevage et le commerce de bétail et autres activités associées, comme le saloon et l'hôtel. De ce bourg, nous ne verrons d'ailleurs jamais un plan d'ensemble. Fidèle à ses principes de mise en scène, tout ce qui est montré à l'écran l'est selon le point de vue d'un des personnages. Pas de plans éloignés donc comme l'affectionne magistralement John Ford. Au contraire, Hawks contient l'espace. Celui-ci est dominé par les hommes. Or l'histoire se résume quasiment à la séquence d'exposition: un homme tue un autre, gratuitement, et est arrêté par le shérif qui le met en prison en attendant l'arrivée d'un juge pour l'emmener à son procès. Le reste du film correspond donc à l'attente de ce juge et à résister au frère de l'assassin qui, grâce à sa fortune, essaie de le faire libérer par la force.
Ainsi, pour revenir à l'idée de départ, présenter ce film revient déjà à évoquer non une représentation de l'espace américain, contrairement à ce que le titre pourrait laisser espérer, mais une histoire somme toute banale dont la trame narrative se résumerait à une attente filmée pendant deux heures mais qui dure des jours. La conquête de l'Ouest selon Hawks passe donc aussi par l'application d'un ordre policier, y compris dans un village aux confins des USA. L'ordre est incarné par le shérif, John T. Chance, interprété par John Wayne, héros de western s'il en est. Et c'est bien cet ordre que Hawks met en avant dans son film.

2. L'ordre vient de l'autorité
Il est désormais célèbre que Rio Bravo est une antithèse du film de F. Zinnemann, réalisé en 1952, Le train sifflera trois fois (High noon). Dans ce film, le shérif, interprété par Gary Cooper, en appelle à la population de sa ville pour l'aider à arrêter des bandits de retour en ville par le train. Or personne ne vient à son secours et il est contraint de les accueillir et donc de lutter seul contre eux. Hawks ne pouvait admettre un tel message. John Wayne non plus d'ailleurs. Selon eux, un shérif n'a besoin de demander de l'aide à personne car il est le détenteur de l'autorité qui permet la sécurité des citoyens. Il se distingue par son étoile et il peut déléguer cette autorité à des adjoints pourvu qu'ils prêtent serment de servir les intérêts de la communauté et de faire respecter la loi. Ce postulat est affirmé de fait dès la longue séquence d'exposition durant laquelle le shérif Chance évite l'humiliation à celui dont on découvrira au cours du film qu'il avait été son adjoint. Puis en arrêtant l'assassin Joe Burdett malgré l'hostilité de ses amis. A partir de ce moment, jamais le shérif ne demandera de l'aide à quiconque, sauf à leur proposer de devenir eux-mêmes adjoints, c'est-à-dire des représentants légaux du maintien de l'ordre, comme il le fit avec le jeune Colorado, interprété par Ricky Nelson, jeune tireur d'élite. celui-ci refusa de devenir adjoint avant de finalement le devenir. Il refuse l'aide de tous ceux qui pourraient risquer leur vie alors que leur mission n'est justement pas de la risquer. ceci incombe au shérif et à ses adjoints. A partir de l'arrestation de Joe Burnett, les obstacles du shérif sont donc le contraire du film de Zinnemann. Quand Cooper essuie le refus de ses concitoyens, Wayne doit refuser l'aide du patron de l'hôtel ou de son ami éleveur. Quand le shérif de High noon voit sa femme l'abandonner, une superbe blonde interprétée par Grace Kelly, celui de Rio Bravo doit quasiment repousser le soutien d'une autre blonde, jouée par Angie Dickinson, mais qui n'est pas sa femme et qui ne semble pas afficher la vertu dont se pare le personnage de Grace Kelly.

3. Rio Bravo, un portrait de l'idéal américain?
Ce que montre Hawks dans tout le film n'est finalement que la société américaine réduite à un microcosme et dans une situation d'urgence. Si le héros est incontestablement le shérif, donc John Wayne, celui-ci, malgré son courage et sa force reconnaît ses points faibles, accepte les conseils et soutient ceux qu'il apprécie.
C'est un leader, mais pas un super héros. Il est l'opposé d'Ethan, le personnage joué aussi par John Wayne dans La prisonnière du désert (voir l'article sur The searchers dans ce blog). Pas de cynisme chez John T. Chance. Mais une capacité à fédérer les hommes, à rechercher la vérité sans préjugés, à permettre à chacun d'être à sa place. A Dudde, il permet de redevenir un homme digne en le responsabilisant et en le sortant de l'alcool. La rédemption est une des possibilités du modèle américain.

Pour Feathers (Angie Dickinson), il est prêt à l'écouter malgré les rumeurs et les mandats d'arrêt. Celle-ci lui rend de son aide et de son amour cette rigueur morale mais aussi son sens du rachat. A Stumpy, le vieil adjoint interprété par Walter Brennan, il confie une mission importante, celle de garder la prison. Il le maintient dans sa dignité malgré son handicap moteur. Quant au jeune Colorado, il lui reconnaît son talent, sa lucidité mais lui reproche d'avoir été individualiste quand il lui a été proposé de devenir adjoint. Quand il accepte ensuite de le devenir, Chance le refuse car cette proposition vient trop tard et surtout pour de mauvaises raisons. Quand celui-ci fit preuve d'un vrai souci de justice et de maintien de l'ordre, alors Chance l'intégra parmi les adjoints. La communauté américaine s'établit donc sur les qualités et les vertus de toutes les générations. Enfin, le patron de l'hôtel, Pedro Gonzalez Gonzalez, n'est pas considéré comme autrement qu'un Américain. Pas de propos xénophobe ou simplement moqueur. Au contraire. D'ailleurs, Pedro montre une énergie folle à devenir un vrai américain. Le melting pot est un idéal montré dans le film.

4. Et l'ordre dans tout cela?
Comme dit précédemment, le maintien de l'ordre repose sur les épaules du shérif. Or celui-ci doit faire face à une réalité historique. En effet, la société américaine repose notamment sur l'idée que chacun peut se défendre par soi-même. La construction du pays s'est faite par la force, que ce soit contre les Anglais pour l'indépendance des colonies américaines, contre les Indiens lors de la conquête de l'Ouest et contre les Mexicains durant le XIXème siècle, avec en point d'orgue la bataille de fort Alamo que John Wayne allait mettre en scène quelques mois après. Cette violence est présente à l'écran dès le début du film. Violence psychologique quand Joe Burdett envoie dans un crachoir une pièce pour que Dudde puisse se payer un verre d'alcool. Violence par les coups de poings ou avec un bâton. Violence par l'assassinat par revolver perpétré par Joe Burnett. Violence enfin par l'arrestation de Joe, que certains ont failli empêcher mais qu'un coup de feu de Dudde a finalement permise, accompagné par un coup avec la carabine sur Joe par Chance.
Cette succession de violence irrigue tout le film. Le recours aux armes à feu est même récurrent, opéré par les hommes de Burdett ou par le shérif ou ses adjoints.
Le respect de l'autorité n'existe que dans un rapport de force entre ceux qui veulent faire valoir leur puissance: le clan Burdett qui peut payer des mercenaires face au shérif qui fait valoir la loi. Cet affrontement passe par de l'intimidation, par des menaces voire des agressions. Ainsi, quand Ethan Burnett, le frère de l'assassin, paie pour faire jouer le De guelo, Colorado informe Chance que cela signifie que les hommes de Burdett vont attaquer. Or cette musique est présentée comme celle jouée par les troupes de Santa Ana avant l'attaque de Fort Alamo ce qui présage de la violence de l'attaque à venir puisque pour les Américains, Alamo est le symbole d'un massacre. Cette musique fut d'ailleurs reprise alors par John Wayne dans son film Alamo en 1960. Or il s'agissait d'une création de Dimitri Tiomkin, compositeur du film Rio Bravo et non de la musique originale de la bataille d'Alamo! Autre manifestation de violence quand Dudde est frappé, ligoté avant que d'être fait prisonnier pour servir d'échange avec Joe.
La séquence de résolution de l'affaire est encore une fois une séquence de violence puisque l'échange entre Joe Burdett et Dudde se conclut par une fusillade et par l'utilisation de bâtons de dynamite par Stumpy. Mais la violence par Howard Hawks n'est pas celle que montrera Sam Peckinpah. cette violence aboutit à une mise en place de l'ordre américain. Car Chance est rejoint justement par Stumpy malgré ses difficultés pour se déplacer et malgré l'interdiction du Chance lui avait faite de venir. Même Pedro Gonzalez Gonzalez est présent dans le combat final! C'est donc une certaine idée de l'Amérique qui se définit dans cette séquence: le Bien triomphe du Mal par l'engagement de tous ceux qui veulent vivre selon un ordre établi dans lequel la police, le shérif, serait le seul garant de la loi. Ce n'est pas au shérif d'en appeler à ce soutien, c'est aux citoyens de se rallier à lui.


Conclusion
En faisant un film en réaction à High noon, Hawks a présenté sa vision des USA et de la société américaine telle qu'il l'envisage. Elle repose sur l'ordre et la loi que seule une autorité reconnue et légale peut maintenir et faire appliquer. Cette autorité, pourvu qu'elle soit digne, sera alors suivi par la communauté américaine qui est de toutes les origines, de tous les âges, de tous les horizons. Chaque membre de cette communauté peut faillir mais a aussi droit au pardon, à la rédemption et à une nouvelle chance. Son shérif ne fait d'ailleurs que cela: donner à chacun une chance, comme son nom l'indique: à Dudde, à Feathers, à Colorado et à tous les autres. La violence dans le film montre à quel point l'établissement de cet ordre fut difficile dans ces territoires vastes et en marge des USA. Mais cet ordre doit s'imposer partout, et notamment à ceux qui dominent ces vastes espaces, les grands propriétaires terriens. A New York ou le long du Rio Bravo, tous doivent se soumettre à une loi et une autorité supérieure à eux, pour le bon fonctionnement de la société, l'objectif étant le maintien de la paix sociale et la tranquillité. En ce sens, Ford dit la même chose que Hawks quand il tournera en 1961 L'homme qui tua Liberty Valance, toujours avec John Wayne. L'ordre triomphera par le respect de la loi, même si cela devra passer, l'espace d'un temps par le recours à la violence, une violence légitime, pour l'avènement de la loi défendant tous les membres de la communauté pour faire face à une violence barbare pour ne défendre que les intérêts des plus puissants ou des plus forts.
Cette vision est assez conservatrice, comme pouvaient l'être Hawks et Wayne. Elle sera battue en brèche par les oeuvres d'autres cinéastes, Sergio Leone, à qui on pouvait reprocher de n'être pas américain, et Sam Peckinpah, qui était lui américain. Leur vision de la violence la présentait comme constitutive de la société américaine et n'avait en rien la vertu suggérée par Hawks voire Ford.

A bientôt

Lionel Lacour

vendredi 11 mars 2011

Easy Rider, le nouveau western?

Bonjour à tous,

Parmi les séances du CinéClub de Lyon 3 que j'anime a été projeté hier Easy Rider. Ce film de 1969, prix de la première oeuvre à Cannes pour Dennis Hopper est considéré comme un film générationnel majeur, sorte de manifeste du "Road movie" même si d'autres films avant lui avait évoqué des aventures tout au long d'un trajet tumultueux, les fans de Franck Capra se souvenant du multi oscarisé New-York Miami de 1935.

Film que nous qualifierions d'indépendant puisqu'il a été fait avec un budget ridicule comparé à ceux d'Hollywood, il a été pourtant un grand succès commercial, touchant une génération nouvelle de spectateurs.

A bien y regarder, ce film s'inscrit dans cette nouvelle Amérique, celle des hippies et des contestataires de cette fin des années 70 mais est aussi un pur film américain, ne reniant pas les valeurs qui ont construit ce pays du nouveau monde.

La théorie du film
C'est le personnage de l'avocat incarné par Jack Nicholson qui la donne dans un des nombreux bivouacs du film: les USA sont le pays de la liberté. Mais il ne sait pas ce qui cloche désormais. Les gens ont vendu leur liberté au monde de la consommation. Ils parlent de liberté individuelle mais ont peur des individus libres comme les deux héros hippies du film.
Et de rajouter que ceux qui ne sont plus libres deviennent dangereux face à ceux qui le sont puisque cela leur rappelle justement qu'ils ne le sont plus!
Tout le film, avant et après cette séquence, se trouve résumé dans le dialogue de l'avocat.

1. Le western en trame de fond du film
Il n'est pas anodin de s'arrêter sur les prénoms des héros. Dennis Hopper est Billy et Peter Fonda est Wyatt. Billy comme Billy le kid et Wyatt comme Wyatt Earp, le shérif de Tombstone, celui du Règlement de compte à Ok Corral. Ils ont donc deux prénoms de l'ouest légendaire mais surtout deux prénoms de héros qui ont vraiment existé.
Le reste ne cesse d'évoquer le western: le chapeau de cow boy de Billy, les troupeaux de bestiaux visibles le long des highways, les paysages de Monument Valley si chers à John Ford, les tentes des hippies.
Quand ils s'arrêtent pour réparer leur moto, c'est dans un ranch. Et tandis qu'ils s'occupent de la roue du chopper, le fermier répare le fer de son cheval.
La moto devient le moyen de transport des nouveaux pionniers. A ceci près que le fermier est désormais installé et travaille la terre, ce qui suscite l'admiration de Wyatt. Tout comme il sera admiratif de ceux de la ville retournant à la terre et semant sur une terre aride. Aux doutes de Billy, Wyatt affirme "ils y arriveront".
Il y a une confiance incroyable en ceux qui reviennent aux valeurs fondatrices des USA: l'acharnement et la foi en la réussite, pas celle de l'enrichissement, mais celle qui permet l'accomplissement de chacun (ce à quoi un des hippies aspire d'ailleurs).

2. Une ode à la liberté
Le film commence assez violemment pour un public de 1969, américain de surcroit. Les duex héros sont au Mexique pour acheter de la drogue. Puis, par une ellipse, les voici aux USA à revendre leur drogue. Ils se jouent des frontières pour pouvoir non devenir des dealers, mais pour pouvoir aller de Los Angelès à la Nouvelle Orléans pour "Mardi gras".
Sur leurs motos choppers, ils sont prêts à partir. Wyatt regarde sa montre et la jette. Gros plan sur la montre.
Par ce geste, le spectateur de 1969 comprend que les héros se libèrent du temps, celui de l'Amérique moderne, celle du travail à la chaîne, celle d'Henry Ford, celle du productivisme et du capitalisme.
La bande son qui accompagne leur départ est alors explicative: Born to be wild, "né pour être sauvage" autrement dit "libre".
Cette liberté est rappelée dans quasiment toutes les séquences. Ils jouent sur leurs motos, ne portent pas le casque, ont les cheveux longs. Arrivés dans un camp hippie, ils comprennent rapidement que la liberté sexuelle prévaut et ne manque pas d'en profiter. Mais on est en 1969. Les plans de nudité restent chastes. On imagine ce qui aurait pu être tourné pour que le spectateur le comprenne! Mais à l'époque, quelques plans d'hommes et de femmes nus dans un étang suffisent à comprendre tout l'érotisme de la scéne.
C'est encore dans leur liberté avec l'usage des drogues que le film devient franchement provocateur. Son usage est montré comme déinhibant, mais aussi parfois comme abrutissant, voire rendant fou.
Esthétiquement parlant, le film lui aussi est particulièrment libre des conventions techniques, notamment pour les scènes tournées à la Nouvelle Orléans pendant Mardi Gras. Semblant être des films de super 8 tournées à l'épaule, en lumière naturelle, cela donne un effet très particulier au film. Le spectateur est plus que jamais avec les personnages, dans cette fête où la liberté est de mise. C'est d'ailleurs à l'issue de cette séquence qu'une autre est tournée. Un trip hallucinogène est montré pendant plus de 5 minutes, enchaînant propos incohérents, images surexposées, plans incompréhensibles. C'est l'effet dévastateur de la drogue qui est montré. La drogue ne rend pas si libre que cela. Wyatt le dit d'ailleurs à Billy: "on a déconné".

3. Une vraie quête spirituelle
C'est surtout par le personnage de Wyatt - captain America que cette recherche spirituelle est présente dans le film. Si Billy est un hédoniste défoncé du matin au soir, Wyatt admire ceux qui travaillent la terre. Les rencontres qu'ils font l'amènent à réfléchir sur sa place dans la société. Au paysant qui a 8 enfants, parce que sa femme est catholique, il lui répond qu'il peut être fier de ce qu'il a construit.
Quand il rencontre un hippie sur la route, il lui fait confiance. C'est lui qui les amène dans le camp où tout est partagé dans la communauté. Il a foi en l'humain et dans ceux qui essaient de construire leur avenir.
Dans une cérémonie rappelant la cène, un hippie se prend pour un nouveau prophète et appelle à la générosité et à l'humilité. Si Billy est goguenard, et la séquence peut lui donner raison, Wyatt est lui très impliqué dans ce sermon avant le repas frugal.
Même la drogue est montrée comme un élément de spiritualité. Elle est transmise aux novices comme on essaierait de convertir quelqu'un à prendre l'hostie chrétienne. La conversion faite, c'est la porte ouverte avec l'au-delà mystique. Pour le nouveau converti, Jack Nicholson, c'est le contact avec les extra-terrestres qu'il imagine dans un délire jouissif.
Enfin, leur périple à la Nouvelle Orléans les amène à un bordel dans lequel des évocations picturales religieuses foisonnent: crucifix, vierge à l'enfant, jusqu'à une citation résumant finalement la quête de Wyatt: "Si Dieu n'existait pas, il faudrait l'inventer".

4. Une Amérique qui a oublié ses valeurs fondamentales
A leur première étape, les deux héros comprennent que leur identité ne convient pas aux Américains moyens. Le motel aux chambres libres devient subitement complet, ils sont arrêtés et mis en prison parce qu'ils participent dans un défilé de majorettes sans autorisation, ils sont raillés et insultés en Louisiane par tous les hommes qu'ils rencontrent dans une scène mémorable dans un bar. Traités de gorille, de Pédé et autres sobriquets, ils sont contraints de partir. Seules les jeunes filles leur courent après car ils symbolisent la liberté, ce que les hommes de la Louisiane ont bien compris d'ailleurs.
Wyatt et Billy sont sensés faire peur et être les agresseurs de la société, or ils sont ceux qui refusent le conflit. Ils fuient, reculent et ne sont pas armés au contraire des autres.
L'avocat leur rappelle que la belle Amérique a les cheveux courts et qu'on poursuit ceux qui ont tué un homme, si cet homme est blanc! C'est donc une Amérique puritaine, raciste et très conservatrice qui est décrite dans laquelle évolue ces deux héros.
Bastonnés une première fois, ils seront une nouvelle fois attaqués par des citoyens ordinaires qui voyaient en eux une provocation à la société. Pour reprendre les paroles de Nicholson, ce n'est pas ce qu'ils sont qui fait peur, c'est ce qu'ils représentent. Certains parlent de liberté individuelle, mais d'autres sont des individus libres. C'est bien ça qui dérange!

Conclusion: "happy end" ou pas "happy end"?
Le début du film montre deux personnages qui réussissent à faire un trafic de drogue pour s'enrichir et faire un voyage à moto. Dans Guet apens, Peckinpah avait permis à ses héros braqueurs, Steve Mc Queen et Ali Mc Graw, de se sauver de la police. Pas de happy end au regard de la morale classique dans laquelle le mal ne doit pas triompher.
Dans le cas d'Easy rider, si les deux personnages continuent à vivre sans jamais voir leur course être arrêtée, on pourrait alors être dans la logique de Peckinpah. Or leur parcours est stoppé net et brutalement. Une fois cela compris par le spectateur, un plan rapide nous éloigne d'eux, les laissant à leur condition. Moralement, la fin est cohérente avec les deux premières séquences. Les laisser s'en tirer, c'était faire dire au film:
"si vous voulez réussir vos rêves, aller chercher de la drogue, vendez la plus chère et après c'est la belle vie".
Film moral alors? D'une certaine manière oui car ils ne pouvaient pas finir sans payer ce qu'ils avaient fait au début du film. Sauf que ce n'est pas la police qui met fin à leur rêve mais des citoyens normaux, qui les élimine non pour ce qu'ils ont fait mais pour ce qu'ils sont et pour ce qu'ils représentent. Et la séquence finale ne laisse aucun doute au spectateur: ces citoyens ne seront pas inquiétés par la police.

Ce film ne cautionne donc pas l'origine de l'enrichissement des deux héros, mais par l'empathie qu'il nous permet d'avoir vis-à-vis d'eux, il nous montre que la société dans laquelle ils évoluent est archaïque et éloignée des rêves dont elle est soi-disant porteuse, à commencer par le goût de la liberté.
C'est donc un film plutôt désespéré, correspondant à une jeunesse désenchantée, ne se reconnaissant plus dans les films hollywoodyens vieillissant. Version cinématographique de Sur la route de Kerouac, ce film va ouvrir la voie à tout un nouveau cinéma américain qui va s'engouffrer dans la critique de la société américaine. Scorcese ou Cimino en profiteront comme bien d'autres ensuite.


A bientôt

Lionel Lacour

dimanche 6 mars 2011

The searchers ou "La prisonnière du désert": le premier film pro indien de John Ford?

Bonjour à tous,

j'ai mis beaucoup de temps à parler de ce film bien qu'il soit certainement un de mes préférés, du genre dont on dit qu'on l'emporterait sur une île déserte!
Tout a été dit ou presque sur ce chef-d'œuvre tourné en décors naturels, dans le site de Monument valley dans lequel Ford tourna si souvent avant et qu'il réutilisera notamment dans Le sergent noir et dans Les cheyennes après l'avoir tant utilisé avant comme dans La chevauchée fantastique en 1939.

En quoi donc cette Prisonnière du désert tourné en 1956 constitue-t-elle ce film presque parfait alors même qu'il n'est pas forcément aussi positif que bien d'autres films de ce genre?

L'immense John Wayne
Pour ceux qui douteraient encore du talent du "Duke" parce qu'il jouerait toujours de la même manière, avec des rôles faits sur mesure pour montrer sa force, ou parce qu'il était un républicain anti-communiste avéré, regardez ce film en oubliant tous ces préjugés.
Wayne y joue un personnage, Ethan, qui a toutes les caractéristiques habituelles de ses rôles: il sait tout des Indiens, de la stratégie à adopter, il est reconnu comme un homme fort et est respecté, et manifestement, il a été aimé secrètement par la femme de son frère et a même sauvé un jeune enfant métis indien.
Pourtant, Ethan est absolument antipathique. Rien de ses caractéristiques ne nous le rend sympathique. Son savoir, son expérience le conduisent à chaque fois dans une haine de l'autre de plus en plus redoutable et à laquelle le spectateur ne peut adhérer. C'est son alter ego, le jeune métis, Martin Pawley, devenu adulte qui, bien qu'inexpérimenté, montre de l'humanité dans laquelle chaque spectateur peut s'identifier.

John Wayne incarne de manière brillantissime ce Ethan sans surjouer, tout en retenue, y compris dans sa fureur ou sa haine des Indiens, jusqu'à la dernière séquence! Héros sans empathie possible. À croire que seul John Ford pouvait le faire sortir du rôle de héros triomphant, comme ce sera encore le cas dans L'homme qui tua Liberty Valance.

Une mise en scène en miroir
Tout spectateur ayant vu ce film se souvient toujours de la première séquence du film et de la dernière. Et pour cause, elles sont construites à l'identique, s'ouvrant ou se fermant sur une porte au travers de laquelle on aperçoit Ethan. Si ces deux portes ne sont pas les mêmes, cette mise en scène n'est pas juste un effet de style. En effet, on retrouvera cette idée d'intérieur/extérieur tout le long de l'histoire tandis que tout le film est construit sur la reproduction d'un événement, d'un objet, d'un son avant et après une séquence servant de miroir.
Ainsi, un chien aboie quand Debbie est enlevée par le chef indien au début du film Et celui-ci souffle dans sa corne pour prévenir le reste de sa tribu. Et un chien aboie avant l'attaque, signalée par le bruit du clairon, par l'armée du camp de ce chef à la fin du film. Et que dire de la symétrie de comportement entre Ethan portant Debbie à son arrivée dans la ferme de son frère, comme un acte de reconnaissance et Ethan portant Debbie quand celui-ci la porte à bout de bras après qu'elle s'est échappée de Scar, comme un acte d'acceptation.

Il fallait néanmoins une séquence centrale pour cette mise en scène miroir. Et cette séquence se situe à l'exact milieu du film. Elle est construite visuellement avec un décor symétrique à gauche et à droite de l'image, comme si celle-ci pouvait se plier: Martin et Ethan sont de part et d'autre d'un feu de bois, au pied de deux petites buttes. Cette information visuelle soutient le propos d'Ethan: les indiens qu'ils pourchassent sont les Nayakis, qui veut dire manège. Et d'expliquer avec des mots comme avec les gestes que leur nom vient du fait qu'on croit qu'ils vont dans un sens alors qu'ils vont dans l'autre.
De fait, le film change lui aussi de sens à ce moment précis.

Une séquence quasi documentaire
Durant la pérégrination de Martin et Ethan, ceux-ci en arrivent à rencontrer des tribus indiennes. C'est ce que raconte Martin à Laurie dans une lettre qu'il lui a écrite. John Ford semble alors quitter le récit à proprement parlé pour nous montrer une scène de négociation entre Martin et le membre d'une tribu. La musique de Max Steiner se veut pittoresque, représentant un point de vue indien et non occidental - quand bien même Martin est censé avoir du sang indien. Sans dialogue, le spectateur assiste à un troc bienveillant entre deux représentants de deux peuples distincts mais qui peuvent néanmoins s'entendre voire se comprendre. Et la séquence aboutit à l'achat d'une couverture par Martin. Du moins le croit-il.
Cette séquence a en fait un double intérêt. D'une part, elle permet à terme d'apporter une piste dans la quête des deux hommes pour retrouver Debbie. Mais le scénario aurait pu se contenter de trouver une situation différente. Et John Ford aurait pu la filmer avec moins de bienveillance. Certes, Martin n'a pas maîtrisé l'ensemble de la négociation, achetant une couverture, et un peu plus. Mais Ford montre que les deux civilisations qui s'affrontent ont beaucoup plus en commun que ce que les plus anti-Indiens imaginaient. Y compris dans la surprise liée à l'achat de Martin!


Qui est le plus barbare?
L'histoire commence véritablement quand la famille du frère d'Ethan est massacrée par la tribu du chef Nayaki "Scar" ("Cicatrice"). Alors que Ethan vient de revenir auprès de son frère après plusieurs années d'absences, il reconnaît à peine ses neveu et nièces, soulevant la jeune Debbie. Mais à peine arrivé, il est contraint de repartir avec Martin car des Indiens rôderaient. Profitant du départ des hommes, ces Indiens attaquent la maison du frère d'Ethan au crépuscule. Le chien de la famille aboît. Scar découvre la petite fille, Debbie,et après avoir claironné dans une corne, la kidnappe.
Ethan et Martin Pauley arrivent après avoir été éloignés du ranch et découvrent le massacre. Ils n'auront alors de cesse que de chercher la nièce d'Ethan durant des années.
Durant cette quête, le spectateur découvre un Ethan de plus en plus haineux. Et tandis que le chef indien semblait être celui le plus détestable, le comportement d'Ethan le rend tout aussi détestable. Plusieurs séquences nous permettent de comprendre qu'ils ont beaucoup de points en commun. Et si Scar correspond à un surnom lié à sa cicatrice sur le visage, le spectateur comprend que Ethan en a une ouverte à l'âme.
Quand le camp indien détenant la nièce devenue grande et interprétée par Natalie Wood est attaqué par Ethan et la cavalerie, c'est l'exacte situation inverse de l'attaque perpétrée par les indiens des années plus tôt: l'attaque se fait au matin et non au crépuscule, avec les mêmes bruits: le chien aboie, le clairon annonce l'attaque et le massacre de tout le village a lieu. Sauf qu'Ethan veut tuer Debbie, devenue désormais une indienne. Pourtant, alors que le spectateur s'attend à ce que, malgré les cris de Martin, Ethan tue Debbie, il la porte comme dans une des premières séquences et la ramène finalement parmi les "blancs".

John Ford n'a donc dans ce film aucune complaisance avec les Blancs. Si Scar exhibe ses scalps, Ethan pratique la même torture. Si les guerriers comanches massacrent la maison  des Edwards, l'armée américaine écrase femmes et enfants sans discernement.


Le propos de Ford est dans sa mise en scène. Blancs et Indiens font partie d'un tout, le territoire, celui grandiose de Monument valley, véritable personnage à part entière, dominant les individus et les groupes. C'est dans ces grands espaces américains que les destins s'accomplissent, avec des Blancs plus forts, mais pas meilleurs.


Le titre original The searchers est enfin un titre à double sens, beaucoup plus riche que la traduction française. "Ceux en quête" n'ont pas le même objectif. Martin Pauley recherche Debbie, sa sœur par adoption en quelque sorte. Son sang indien ne l'aura pas empêché de faire partie à part entière de la famille Edwards et de pouvoir constituer une autre famille avec celle qui l'a attendu si longtemps (une jeune fille interprétée par Vera Miles). John Wayne/Ethan était en quête de paix et de famille dès la première séquence. C'est celle-ci qu'il recherche durant ces années à chercher Debbie. En la reniant, puis en la retrouvant, il est en fait exclu de ce pourquoi il était revenu vers son frère au début du film. À l'extérieur de la maison à la première séquence quand la porte s'ouvre, il reste encore en dehors d'une autre tandis que tous les autres entrent à l'intérieur. Les autres ont accompli leur quête, pas lui. Sa haine des Indiens l'a conduit à haïr son propre sang tandis que Martin Pawley, celui qui n'était rien d'autre qu'un métis indien a su accomplir le rêve américain: être un membre à part entière de la communauté malgré ses origines.
Ford magnifie le melting pot et exclut ceux qui ne voit de bons Américains que dans ceux qui ne se sont jamais mêlé aux Indiens, ni par le sang - Martin, même si son appréciation évolue à la fin du film- , ni par la culture - Debbie, même s'il l'épargne finalement.


Avec La prisonnière du désert, Ford ne tourne certainement pas le premier film dans lequel il respecte les Indiens. Il l'avait déjà fait avec Le massacre de Fort Apache en 1948 ou dans La charge héroïque en 1949. Mais c'est peut-être la première fois que la barbarie attribuée généralement aux Indiens l'est aussi aux Blancs. La prisonnière du désert ne place pas les Indiens en situation victimaire mais bien à égalité avec les Blancs.
Il y aurait bien d'autres choses à dire encore sur ce film, que ce soit dans ses références au christianisme, à sa construction esthétique, à son rapport au temps qui passe. Mais ceci sera sûrement pour un autre message!

A bientôt

Lionel Lacour

mercredi 23 février 2011

True Grit où l'omniprésence de la justice?

Bonjour à tous,

aujourd'hui sort le film des frères Coen, True grit, que je n'ai pas encore vu. Il faut rappeler que ce film est un remake d'un film d'H. Hataway sorti en 1969 sous le même titre aux USA mais traduit en France par Cent dollars pour un shérif. Le personnage du shérif était alors interprété par John Wayne et qui reçut l'Oscar du meilleur acteur. Recevant son prix heureux comme un débutant, Wayne s'était alors écrié que s'il avait su, il aurait joué des rôle de borgnes avant si telle était pour lui la solution pour gagner cette récompense!

Mais revenons à l'histoire. Une jeune fille, Mattie Ross, veut venger son père tué par un odieux bandits. Sa vengeance a ceci d'intéressant qu'elle veut passer par la légalité: elle demande au Shérif d'arrêter l'assassin de son père. Devant sa réticence, elle lui promet une prime de 100 dollars (d'où le titre français de la première version). On ne peut qu'être surpris par cette forme de justice qui passerait par la récompense d'un personnage qui est justement payé pour arrêter les assassins. Une prime au mérite en quelque sorte, mais payée par le justiciable.

Pourquoi choisir Rooster Cogburn, ce shérif borgne? C'est que la jeune Mattie a vu en lui un personnage impitoyable avec les bandits. Elle assiste aussi à la pendaison de ceux qu'il a arrêtés. On a donc dès le début du film une présentation assez radicale de la "bonne" manière de traiter les suspects, puis les coupables: pas de pitié pour les suspects, pas de pitié pour les coupables. La peine de mort n'est jamais dénoncée ni même critiquée. Si le shérif est contesté par quelques uns, c'est davantage pour ses manières et son goût pour l'alcool que pour ses résultats. Et en tout cas, la jeune Mattie voit en lui celui qui pourra lui permettre de faire condamner l'assassin de son père.

Avec une telle présentation, on pourrait penser que le film d'Hataway est un véritable manifeste républicain. Pourtant, d'autres aspects du film tempère cette impression.
Tout d'abord, la jeune fille n'engage pas un chasseur de tête. Elle tient à ce qu'un représentant officiel soit le bras de la justice pour ramener l'assassin et le juger. En ce sens, il n'y a pas de vengeance privée mais bien la volonté que la justice passe selon les règles.
Le légalisme de Mattie passe également par le recours systématique à l'évocation de son avocat quand ses intérêts, notamments économiques, sont en jeu. Véritable menace, l'avocat apparaît comme un défenseur redoutable, même si nous ne le voyons pas et qu'aucun des personnages menacés ne le connaissent. Ce monde de l'ouest semble donc encore assez sauvage, marqué par les rapports de force, mais la force de la loi progresse grâce justement à ceux qui sont sensés aider à ce qu'elle soit respectée.
Enfin, le personnage du shérif devient rapidement autre chose qu'un simple grossier personnage. Il est montré tantôt sensible au courage de Mattie qui s'impose à lui dans la traque contre le criminel, tantôt lui même courageux, ayant du cran (d'où "true grit") notamment dans une séquence mémorable de combat à un contre plusieurs bandits. Cette même séquence est d'ailleurs sur la bande-annonce du film des frères Coen, comme pour faire le lien entre les deux versions.
Mais c'est surtout l'honnêteté des relations entre les différents personnages qui a fait le succès de ce film en 1969, où chacun défend finalement les mêmes valeurs, mais avec les moyens de son époque. Cogburn - Wayne incarne le farwest des westerns jusqu'aux années 50, ceux de Rio Bravo ou de La prisonnière du désert. Mattie incarne ce que vont devenir les USA, un pays conquis, où la loi prévaut pais où la violence n'a pas disparu pour autant. On retrouvait déjà cette opposition en 1961 dans L'homme qui tua Liberty Valance de John Ford. Wayne incarnait déjà celui qui défendait le Bien par les mêmes moyens que ceux qui faisaient le mal: à coup de revolver ou de carabine. James Stewart était le représentant d'une autre voie pour défendre les intérêts et les droits des citoyens: il n'en appelait pas aux avocats, il était avocat. Mais Ford l'avait féminisé un temps, le tranformant l'espace d'une séquence en un serveur de restaurant.

Le point commun entre Cent dollars pour un shérif  et le film de Ford est alors la foi en la primauté de la loi sur la violence. Mais aussi la certitude que les USA se sont construits sur la légende de l'Ouest, celle des homme comme ceux incarnés par Wayne qui ont permis de contenir un temps la brutalité de l'Ouest, le temps que l'ordre et la loi s'imposent, sans pour autant renier le rôle de ces pionniers: "Quand la légende dépasse la réalité, imprimer la légende" dit le journaliste à James Stewart!

L'intérêt aujourd'hui est donc de voir ce que les frères Coen auront fait de cette oeuvre, comment ils vont présenter ces personnages et quelles valeurs ressortiront à la conclusion du film. A en croire les critiques, que ce soit aux USA ou en France, le film est un réjouissement.

A découvrir donc!

A bientôt

Lionel Lacour