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vendredi 4 janvier 2013

L'URSS, de l'après seconde guerre mondiale à son implosion

Bonjour à tous,

après mon article sur l'URSS de l'entre deux guerres vue par le cinéma, je reviens pour évoquer la période d'après la seconde guerre mondiale jusqu'à la chute de l'Union soviétique, soit de la prise de contrôle par Staline de toute l'Europe de l'Est et la mise en place d'un véritable empire soviétique à l'effondrement d'un modèle par pans entiers, touchant d'abord les États satellites avant de toucher la Russie elle-même.
Il ne s'agit pas ici de couvrir l'intégralité de la production cinématographique soviétique mais bien de prendre quelques exemples qui caractérisent l'évolution du modèle soviétique au travers du cinéma, russe ou d'autres pays.

I. LE CINÉMA DE STALINE, UN CINÉMA DE PROPAGANDE

Le cinéma stalinien reprend là où Eisenstein l'avait laissé face à la menace germanique dans Alexandre Nevski. Avec Ivan le Terrible, Eisentein réalise en 1945, et malgré les conflits qui l'opposent à Staline, un film qui ne peut manquer de rappeler la figure tutélaire de Staline, en prenant comme héros le premier souverain moderne de la Russie, Ivan 
IV, qui régna de 1533 (à l’âge de 3 ans) et 1584. Ivan, représenté comme le guide du peuple russe, manifeste un culte de la personnalité très fort et se présente surtout comme le rassembleur de toutes les Russies. Or qui d'autres en 1945 peut se retrouver derrière cette représentation hormis Staline, lui qui a reconquis les terres perdues après le traité de Brest Litovsk mettant fin à la guerre contre les Allemands en 1918? Qui a même étendu le territoire russe (ou sous son influence) bien au-delà de ce qu'aucun Tsar n'avait pu faire avant lui? Son surnom de "Petit père des peuples" ne fait-il pas de lui le nouvel Ivan, Tsar d'une Russie unifiée et puissante? Par ce cinéma de propagande, Staline voit sa personne magnifiée mais il faut y voir aussi l'autre aspect de la stratégie stalinienne, celle d'une Révolution communiste qui passerait d'abord par l'hégémonie russe, à commencer par ses modèles et référents historiques. L'internationalisme oui, mais sous étendard russe!

Cette importance de la culture russe se retrouve dans tous les types de films, à commencer par ceux destinés aux enfants. Dans le conte Andriech de Sergei Parajdanov réalisé en 1954, la société présentée s’appuie sur des cadres traditionnels ruraux, avec une vie communautaire forte. Derrière ce cinéma de conte avec effets spéciaux divertissants et spectaculaires se dessine de fait un tableau culturel à connotation russe dans lequel chaque individu tient une place figée: le berger, l'aiguiseur, la fileuse de laine... Cette société rurale, bien éloignée du modèle urbain qui était à la base de la révolution prolétarienne montre
également des pratiques culturelles très liées à la tradition russe dans laquelle hommes et femmes dansent séparément mais sans domination d’un groupe sur l’autre. Ce communisme patriotique et rural se retrouve dans nombre de films et notamment dans un chef-d'oeuvre du réalisme socialiste réalisé par Vlesovod Poudovkine en 1953, La moisson. Le film entier est à la gloire du système, de l'idéologie et de la politique prônés par Staline. Son portrait est présent dans toutes les salles et lieux où une autorité publique ou communiste s'exerce, que ce soit dans la cellule du parti ou lors des réunions organisées par lui. Ce parti a un rôle de guide du peuple et lui seul décide. Ainsi, dans le Kolkhoze dans lequel l'action se déroule, seuls les trois membres du parti peuvent prendre des décisions pour lui. Cette cellule est sous l'autorité d'UNE secrétaire. C'est d'ailleurs une caractéristique du film que de laisser paraître l'égalité entre hommes et femmes. Cette égalité est d'ailleurs présente dans l'ensemble du film, de la jeune espiègle qui souhaite conduire les tracteurs, les moissonneuses et à la fin du film les machine pour drainer les sols. C'est aussi la présence des femmes comme ingénieure, dirigeants des hommes incompétents ou comme exploitantes de cheptel.
Le président du Kolkhose, au physique stalinien, mène les hommes et les femmes durement pour obtenir des meilleures récoltes. Mais il sait aussi reconnaître ses erreurs et loue la collégialité de la cellule du parti.

L'organisation des espaces ruraux en kolkhozes doivent respecter les productions prévues par les plans économiques établis à Moscou. Mais loin d'être une production soumise aux aléas de la nature, la production agricole se conçoit avec la même rigueur que la production industrielle. Ainsi, les responsables de la production agricole, animale ou végétale, applique des principes appris dans les écoles agronomiques ou mécaniques. Cette rigueur scientifique montre aussi que la production agricole ne se transmet pas de père en fils comme cela est le cas dans la paysannerie occidentale, ce qui sous entendrait une propriété privée de la terre. Celle-ci est travaillée par tous et elle produit pour tous. La jeunesse communiste (Komsomol) est d'ailleurs la plus enthousiaste dans l’effort économique à mener pour la réussite du plan, mettant en œuvre des pratiques agronomiques pour augmenter les rendements. L'agriculture est donc une agriculture moderne , avec une étable conçue comme un laboratoire médical, peinte en blanc et dans laquelle les femmes travaillent en blanc! De même, le réglage des machines agricoles se fait au dixième de millimètre au risque d'endommager prématurément les pièces mécaniques et de stopper la production.




Ainsi, les communistes peuvent transformer la nature pour le bonheur des hommes. Rien ne résiste à la volonté communiste, tout comme le prouve l'assèchement des marais à la fin du film. Le rôle prépondérant du Parti communiste pour fournir les kolkhoses en matériel agricole et l'importance d’une culture industrielle témoignent du sens réel de cette idéologie. Le communisme est synonyme de modernité, de précision et de progrès industriel, mais aussi de pacifisme, mais pas de totalitarisme puisque une héroïne peut se moquer de la fonction de « rééducation » du parti sans pour autant risquer de l'être! Cette quête du bonheur par le communisme est d'ailleurs la morale du film dans une séquence finale très inspirée par la propagande stalinienne. Alors que le président du
Kolkhoze avait une relation plus que conflictuelle avec sa femme au début du film, celle-la s'est progressivement détendue jusqu'à ce que leur amour se renforce. Et, montrant d'un bras tendu le travail accompli par le Kolkhoze dans la transformation des paysages agricoles, il se fend d'un "Le bonheur, c'est ça", sous-entendant que le bonheur individuel ou familial passe par le bonheur collectif. On est loin de l'idéologie libérale et individualiste!

Moins réaliste mais pourtant tout aussi explicite, Aleksandr Ptushko réalisait en 1953 Le tour du monde de Sadko, sorte de Simbad le marin soviétique. Ce conte pour adultes comme pour enfants proposait plusieurs morales toutes soviétiques. Au travers son personnage voulant trouver le bonheur en sillonnant le monde, le réalisateur collait à la propagande stalinienne. En distribuant les richesses trouvées au-delà de ses terres mais en oubliant d'en distribuer aux gueux, c'était bien l'idée que le bonheur d’une société ne peut se concevoir que si toute la société est heureuse ; mais surtout, sa quête effrénée pour trouver où vivre mieux conduisit Sadko à s'adresser à ses compatriotes, dans le film mais également en salle par un regard caméra sans ambiguïté: le bonheur que l’on recherche ailleurs est parfois chez soi! Le principe stalinien d'un bonheur qui doit d'abord exister sur les terres russes se retrouvait tout entier dans cette morale du film. Mais c'était aussi une manière de signifier que les images du bonheur en dehors de "la terre natale" ne sont que des illusions.



II. LE CINÉMA SOVIÉTIQUE APRES STALINE OU L’EFFET KHROUCHTCHEV: VERS DAVANTAGE DE LIBERTÉS ?

La mort de Staline n'allait pas tout transformer dans le cinéma soviétique. Il est toujours un art de propagande. Mais l'affermissement du pouvoir de Khrouchtchev, successeur de Staline, allait cependant modifier certains aspects de cette manière de promouvoir le régime communiste du nouveau leader. Ainsi, dans Don Quichotte de G. Kozintchev tourné en 1957, soit après le XXème congrès du PCUS, le culte de la personnalité n'existe plus, ou tout du moins plus aussi marqué qu’à la période stalinienne, puisque le héros, Don Quichotte, échoue dans son entreprise solitaire de conduire le peuple au bonheur. Mais c'est bien dans sa volonté d’énoncer les idéaux qui prévalent dans l’idéologie communiste que le film se distingue des films d'avant 1953.



Don Quichotte s’en prend par exemple à un exploiteur d’enfant. Mais ce dernier le maudit à son retour car il avait dû subir le courroux de son maître après le départ de Don Quichotte. Les valeurs du chevalier errant ne sont pourtant pas mauvaises et il n'hésite d'ailleurs pas à dénoncer et critiquer les pouvoirs autoritaires méprisant le peuple, que ce soit le pouvoir monarchique, aristocratique ou clérical. Ce ne sont donc pas les idées qui sont à remettre en cause pour que les idéaux triomphent mais bien la manière de les imposer. Au travers du valet Sancho Pancha se dégage alors la bonne manière de diriger, consistant à défendre l’humanité, écouter et protéger le peuple. Ceci ne peut plus passer par l’action d’un homme seul. Dans sa volonté d’abolir les distinctions entre dirigeants et le peuple  Sancho se comporte en gouverneur proche de ses administrés pour mieux entendre leurs doléances. Et pour illustrer ses principes, il entre assis sur un âne dans l'île dont il a eu la charge en tant que gouverneur, provoquant l'hilarité de ses gouvernés mais lui permettant de leur affirmer ses nouveaux principes: sur un cheval, il les aurait vus de haut!
L'échec de Don Quichotte dans son combat pour le bien aurait pu symboliser la fin d'un modèle. Au contraire, son serviteur fidèle lui permet de comprendre que le bien du peuple ne peut se faire qu'en ralliant à soi les autres dans la lutte pour pouvoir vérifier que les mesures prises pour le peuple sont appliquées. La lutte de Don Quichotte est donc une lutte sans fin, une traque contre la misère et l’injustice, qui doit être menée partout, sans relâche et sans jamais penser qu'il suffit d'avoir décidé pour que cela soit réalisé.
En positionnant son film dans une des oeuvres les plus célèbres de la littérature espagnole du XVIIème siècle, le réalisateur pouvait transposer l'idéologie khrouchtchevienne dans une histoire connue de tous en jouant sur les analogies entre l'idéal du héros de Cervantes et la nouvelle politique soviétique, comme Eisenstein l'avait fait pour Staline.


C'est également dans le passé que Mikhail Kalatozov place l'action de Quand passent les cigognes, réalisé en 1957 et palme d’or en 1958 au festival de Cannes. L'action se déroule pendant la seconde guerre mondiale et montre les efforts colossaux des Soviétiques pour vaincre les nazis et pour défendre la Liberté. Ces efforts s'appuient sur des vertus d'égalité entre les individus, les ingénieurs participant à des travaux de construction au même titre que d'autres Russes moins qualifiés. Mais c'est certainement dans la scène finale que le message principal du film apparaît, comme souvent dans les films de
propagande. Car si Kalatozov est un très grand réalisateur, il met incontestablement son talent au service du nouveau maître de Moscou. Et quand dans le discours final, le héros s'adresse à la gare, à la fin de la guerre, aux Russes venus accueillir les soldats revenus vainqueurs, il n'est pas filmé en contre-plongée comme pouvaient l'être les héros staliniens. Au contraire, c'est une plongée qui accompagne tout le discours, le mettant à égalité avec le peuple. Cette  représentation d'un leader mis à hauteur du peuple change radicalement des représentations passées. Mais la tenue du discours est tout aussi importante puisque le message est ouvertement pacifiste. En cela, rien de nouveau puisque les films staliniens l'étaient aussi. À ceci près que le pacifisme de Kalatozov en appelle à la fin des morts pour les Russes comme pour leurs ennemis. Si ceux-ci étaient les nazis en 1945, date où est censée se passer la fin du film, ceux des Soviétiques de 1957 étaient bien sûr tout autres. L'évocation de l'existence d'adversaires était une nouveauté tout comme le fait que ce film, primé à Cannes, allait aussi suivre une carrière internationale, chose assez nouvelle pour le cinéma soviétique d'après guerre, permettant de diffuser dans les pays occidentaux le changement d'attitude du Kremlin et peut-être l'idée de la fin de la Guerre Froide vers la fameuse coexistence pacifique.
Mais les réformes de Khrouchtchev ne se limitent pas à la politique internationale ou à une nouvelle manière de se présenter au peuple. Dans Tcheriomouchki,  Herbert RAPPAPORT montre dans ce film de 1963 que la période est aussi propice à plus de prise en compte des aspirations populaires à vivre mieux, avec notamment davantage de liberté d’expression. Du moins c'est ce ce que le régime de Khrouchtchev veut laisser passer. Tcheriomouchki présente une société soviétique transformée avec une construction massive de logements sociaux avec des pièces nombreuses, dans les quartiers périphériques des grandes villes. Enthousiasme, fraîcheur se dégagent du générique et des scènes de comédie musicale : une ère nouvelle semble être à l’ordre du jour. régime plus soucieux des attentes du peuple. Toute l'idéologie initiale du communisme se retrouve dans ce film. Le régime doit travailler pour le bien de tous; aucune différence de classes sociales quelle que soit la fonction exercée ne doit exister ; hommes et femmes ont les mêmes droits. Mais le film montre aussi la différence entre l'idéal et la réalité! Procédures administratives lentes, habitude de vivre tous ensemble et corruption menée par des hommes du parti sont caricaturées et donc dénoncées, comme pour montrer que les Soviétiques ne voient peut-être pas assez vite le changement. Mais la révolution khrouchtchevienne est en marche, reconnaissant les imperfections qui ne peuvent être celle du parti ou du communisme mais bien celles des hommes. Le Parti communiste doit accepter le fait qu'il y ait des corrompus et les sanctionner car ils nuisent au fonctionnement et à l’action sociale du gouvernement. Cette comédie musicale de divertissement est donc elle aussi un film à la gloire de la nouvelle orientation politique depuis 1956 dans laquelle le dirigeant s'efface derrière le Parti, qui a toujours raison mais qui doit tout de même éliminer les nuisibles en les réaffectant à des tâches avec moins de responsabilités. Une purge moins sanglante que sous Staline mais qui existe néanmoins!

Cette remise en cause de l'autorité et de l'ordre stalinien est encore plus flagrante dans le film d'Elem Klimov de 1964: Soyez les bienvenus. Plaçant l'action dans un camp de vacances pour les jeunes soviétiques, les héros sont des enfants turbulents ne respectant que rarement les ordres du directeur du camp. L'autorité du chef ressort moins comme dictatoriale car contestée, y compris lorsqu'il rappelle à l'ordre les garnements qui, loin de l'écouter, regardent dans le ciel ce qui se passe!  Même lors de la projection d'un film comme dans tous les centres aérés occidentaux, la censure des films est pratiquée sur certaines séquences afin de ne pas  donner aux enfants des idées malsaines. Ainsi, une séquence de baiser lors de la projection de Fanfan la Tulipe avec Gérard Philipe est elle cachée entraînant une vive protestation des enfants!  Si le parti s’occupe des loisirs de la jeunesse dans des camps de type colonie de vacances, avec des activités sportives, du théâtre, des échecs, on voit aussi apparaître la culture occidentale chez ces mêmes jeunes et notamment le Hoola Hoop, symbole culturel américain! La grandeur de l'URSS n'est pas oubliée pour autant comme en témoigne l’organisation de spectacle à la gloire des héros cosmonautes commeYouri Gagarine, 1er homme satellisé en 1961Mais les enfants ne réussissent pas le spectacle avec la perfection stalinienne, chose inconcevable avant 1953 et qui n'aurait pas été montrée de toute façon à l'écran!
Les signes du changement des temps en URSS sont donc à l'écran. On se moque de ceux qui dirigent les Komsomols qui n’accordent pas assez de liberté. Les jeunes enfants ressemblent davantage à des gentils garnements qu’à de parfaits jeunes communistes staliniens. Cette liberté nouvelle semble cependant trop belle car aucun film ne montre une réelle contestation du Parti et de son fonctionnement. Les libertés accordées, du moins dans les films, apparaissent davantage comme une respiration permise au peuple dans modifier radicalement le fonctionnement du pouvoir.
À la différence de Staline, Khrouchtchev semble également ne pas hésiter à soutenir des mouvements révolutionnaires au-delà du rideau de fer, et ce jusqu'en Amérique. Dans Soy Cuba, Mikhail Kalatozov réalise en 1964 un film dont l'action commence par une présentation de l'île de Cuba, de son histoire coloniale, de sa christianisation et de son exploitation du sucre. Dans un très long plan séquence, c'est la misère et la dignité du peuple cubain qui sont montrées. Puis, par un changement brutal de plan, le rythme s'accélère, la musique occidentale devient omniprésente et la ville remplace les canaux des villages des paysans. C'est une vision aseptisée de La havane, ressemblant à une petite ville américaine, par ses immeubles, par son culte de la futilité, par les touristes de tous âges dont aucun n'est cubain, vivant dans le luxe et les plaisirs. Le parallèle est violent entre les deux plans-séquences, montrant sans un dialogue des exploités et des exploiteurs. À cette violente différence entre ces deux mondes sur le même territoire répond dans le film la nécessité d'une révolution violente contre ceux qui permettent à certains d'exploiter le peuple.
Le bien du peuple passe par la Révolution et, dans un autre plan séquence, un héros cubain issus du peuple rejoint les Révolutionnaires, s'empare d'un fusil puis combat tous ceux qui s'opposent à la marche en avant révolutionnaire. Filmée de la droite vers la gauche, soit de l'Est vers l'Ouest, l'image trahit évidemment le camp qui est combattu: ceux soutenus par les Américains. Et alors que la victoire finale est signifiée à l'écran de manière symbolique, dans un mouvement de caméra et dans le même plan, les vainqueurs révolutionnaires semblent se diriger désormais de l'Ouest vers l'Est, signifiant leur retour vers le camp qui les a soutenu: l'URSS. 
Étrangement, ce film n'aura qu'une durée de vie réduite en URSS. L'éviction du pouvoir de Khrouchtchev en est évidemment la cause. Kalatozov, réalisateur khrouchtchevien par excellence ne pouvait pas être projeté par le pouvoir qui avait destitué celui pour qui il réalisait des films!


III.  QUAND LE CINÉMA CONTESTE LE MODÈLE SOVIÉTIQUE !

La contestation du communisme soviétique était donc chose difficile en URSS ou dans les pays satellites. Au contraire, le cinéma occidental ne se gênait pas pour dénoncer le régime soviétique. La liste serait longue à établir de ces films notamment américains qui étrillaient le communisme de Moscou. Parmi eux, le célèbre film maccarthyste I was a communist for the FBI de Gordon Douglas, réalisé en 1951dénonçait la réalité du communisme qui s’appuyait sur les masses pour faire triompher des idées qui ne profiteraiennt qu’à quelques uns, les travailleurs devant rester des travailleurs. Les communistes y sont alors présentés comme des idéologues dangereux qui menacent les démocraties occidentales. 




Ce film de propagande liée au maccarthysme du début des années 50 aux USA n'était qu'un parmi tant d'autres. Si la nuance était peu utilisée (!), le fait de montrer l'adversaire idéologique dans les films américains est en soi une vraie différence avec le cinéma soviétique qui ne montrait jamais l'Américain ou le Capitaliste de manière directe.


En 1957, reprenant le film Ninotscka dans lequel s'illustrait Greta Garbo en 1939, Rouben Mamoulian tournait La belle de Moscou avec notamment Cyd Charisse et Fred Astaire. Une séquence célèbre y montrait des cadres du parti utilisant le vocabulaire communiste (camarades, travail, propagande) mais appréciant fortement ce qu’ils étaient censés critiquer : luxe, libertinage, alcool, et tous les plaisirs occidentaux…. Ils courent après les honneurs, permettant une critique des communistes médaillés pour leurs qualités de bons soviétiques !.Alors que leur est promise dans un hôtel de luxe  la "Royale suite" rebaptisée hypocritement "la suite des travailleurs", suite qu'ils acceptent par pur sacrifice,  une ultime moquerie de leur hôte occidental les conduit à danser de manière parfaitement ridicule, un d'entre eux, totalement ivre, joué par Peter Lorre, pratiquant une chorégraphie traditionnelle, couteau entre les dents, symbole de la menace rouge, mis dans sa bouche par Fred Astaire. Le communisme de la "Chasse aux sorcières" pouvait faire peur, mais ce film dédramatisait cette menace, faisant des plus fervents communistes des êtres prêts à accepter tous les plaisirs proposés par l'Occident.
Mais il n'y a pas eu que les Américains pour évoquer le régime soviétique de l'après guerre. Le quatrième épisode de Don Camillo fut réalisé par Luigi Comencini en 1965 et s'appelait Don Camillo en Russie. Lors de la visite de représentants du Parti communiste italien en URSS, montrant combien les PC européens étaient inféodés à Moscou, le prêtre Don Camillo veut voir la réalité du communisme au pouvoir. Il y découvre bien sûr la difficulté de pratiquer sa religion en URSS, mais également la pratique du secret, notamment lorsque le portrait de Khrouchtchev est enlevé puis remplacé par celui de Kossyguine dans toutes les pièces ! On a donc une critique du pseudo paradis soviétique que découvrent des Communistes italiens. Le peuple n’a rien à dire quant au changement de dirigeant puisque personne n'est au courant dans l'hôtel où se trouve la délégation italienne. La caricature de l’URSS avec les pratiques pseudo démocratiques du pouvoir soviétique montrent notamment poids de
l’armée, l'espionnage généralisé y compris des alliés avec l'utilisation des micros,  la mainmise du parti sur le gouvernement. Et quand Peppone affirme ne pas vouloir donner un avis sur Kossyguine parce qu'il ne le connaît pas, Don Camillo lui fait remarquer que c'est justement là le problème. Outre la critique du régime communiste dans son ensemble, le film vient également contredire ce que la propagande khrouchtchevienne diffusait. Les portraits du dirigeant soviétique dans les chambres et partout ailleurs témoignaient bien d'un culte de la personnalité, quand bien même était-il moins développé que sous Staline.
Si le film de Comencini était une comédie, celui de Costa Gavras était autrement plus réaliste et critique sur le régime, même si l'action se plaçait en Tchécoslovaquie. L'aveu réalisé en 1969 montrait combien les États satellites comme la Tchécoslovaquie vivaient sous l'autorité réelle de l'URSS et de Staline en particulier. Les 
membres du parti tchécoslovaque manifestaient en toute bonne foi une confiance aveugle dans les décisions du Parti communiste soviétique  et en l’URSS. Les portraits de Staline affichés aux murs des locaux tchécoslovaques confirmaient une situation de fait. L'URSS était le véritable maître de tout le bloc de l'Est, avec à sa tête un Parti infaillible dont l'objectif était la recherche d'un bonheur collectif
Or  Costa Gavras présente cette soumission à l'URSS comme non un affranchissement des idéologies combattues, à savoir le capitalisme, ce qu'une séquence avec Simone Signoret confirme, mais comme au contraire un asservissement à un régime soviétique et à son dictateur Staline. La  critique des pratiques totalitaires du régime soviétique dans les démocraties populaires d’Europe de l’Est comme les procès menés à Prague en 1952, cœur de l'intrigue du film ou en Hongrie est complétée par une analyse très didactique de ces pratiques visant à éliminer tous ceux qui pouvaient représenter une menace, véritable ou fantasmée, au modèle soviétique. Par l'emploi d'Yves Montand comme personnage principal, connu pour ses idées proches du communisme tout comme son épouse Simone Signoret, Costa Gavras renforçait la critique de son film comme n'étant pas celle de personnalités de droite mais de personnes croyant en l'idéal communiste mais dénonçant la dictature menée en son nom. 
Le réalisateur donne alors une véritable leçon d'Histoire sur les raisons des agissements de Staline, raisons à la fois psychiatriques liées à sa paranoïa, mais également politique, allant de la résistance de la Yougoslavie de Tito à se soumettre à un pays qui ne l'a pas libéré à la nécessité d'imposer un modèle face à celui libéral de l'autre côté du rideau de fer. La foi dans le Parti et l'idéal qu'il symbolisait pouvait expliquer alors l'incrédulité des communistes d'Occident sur les purges subies par certains communistes des pays de l'Est. Le recours à la torture pour faire avouer des cadres du parti, pouvant être d'ailleurs des dirigeants de ces démocraties populaires, pour des .fautes qu’ils n’avaient pas commises étaient niées ou admises comme une application du stalinisme pour améliorer le parti, quitte à se débarrasser des meilleurs et des plus fidèles. En finissant son film par la "Printemps de Prague" et surtout la réaction des troupes du Pacte de Varsovie, Gavras signifiait clairement que le modèle soviétique d'après Staline n'était pas différent de ce qui existait lorsqu'il était à la tête de l'URSS.

Pourtant, des réalisateurs russes ont bien osé critiquer le modèle soviétique. Parmi eux, Andrei Tarkovski fut peut-être le plus radical, proposant des films dits historiques ou d'autres de science fiction mais dans lesquels tout le monde pouvait y voir une critique à peine voilée de ce qu'tait l'URSS. Ainsi, dans Andrei Roublev réalisé en 1969, Tarkovski place son action dans la Russie du XVème siècle, dominé par le christianisme orthodoxe et les icônes saintes. Dans ce film, un maître affirme que le peuple est prêt à sacrifier et dénoncer les meilleurs parce qu'il est ignorant. Chose à laquelle rétorque son disciple Andrei que le peuple n'est pas coupable car il est laissé dans l’ignorance par l’élite. Par une parabole sur le Christ crucifié car renié, Andrei prétend que ceux qui l’ont condamné n’est pas le peuple mais bien l’élite. Que parmi elle se trouvent ceux qui ont le savoir, l’argent et profite de l’ignorance. Derrière cette parabole se trouve autant la critique de la persécution subie par les croyants chrétiens sous le régime soviétique et le fait que ceux qui sont loués sont ensuite oubliés, critique dans laquelle les spectateurs peuvent reconnaître les victimes des purges ou des mis à l’écart de la société. Si dans le film le peuple porte sa croix, la parabole permet sans aucun doute la comparaison avec le Parti qui a finalement rompu avec les idéaux de Lénine au profit de quelques uns seulement tandis que la foi chrétienne permet de s'élever, que ce soit dans l'accomplissement spirituel ou dans la construction monumentale, notamment d'une cloche grandiose. Quant aux différentes attaques des troupes russes de villes ou bastions voisins et alliés, la violence et la sauvagerie des soldats russes ou de leurs alliés ne manque pas de rappeler la manière dont les troupes du Pacte de Varsovie ont pu intervenir dans différents États satellites, de 1956 à 1968.


En 1972, Tarkovski s'aventure dans la science fiction en réalisant Solaris. À partir de l'idée d'aller observer une planète par des cosmonautes qui souhaitent entrer en contact avec elle, Tarkovski en déduit que la volonté de conquérir le Cosmos qui ne serait en fait que la volonté de conquérir la Terre jusqu’à ses confins mais aussi de rencontrer un autre Homme. Or le film montre justement que cette nécessité de rencontrer l’autre relève de cette volonté de se voir dans un miroir, qui, par définition renvoie une image certes semblable mais inversée. Entrer en contact avec l'autre, ici Solaris, la planète, c'est apprendre à mieux la connaître et devenir différent à son retour. Le spectateur ne peut manquer d'y voir un message de décrispation voire de rapprochement avec les USA auxquels l'allégorie de Solaris renvoie sans aucun doute. Plus encore, la critique de l'URSS et de son idéologie communiste passe dans celle de la foi communiste et soviétique de la science comme seule valeur, celle qui devrait améliorer la condition humaine. Or un des héros affirme haut et fort que ce ne sont que des sornettes, mettant plutôt en avant la nécessaire relation entre les êtres. Quant à l'égalité si chère au modèle communiste, ce même personnage se sert à son tour de Don Quichotte, non pour en faire une analogie comme Kozintchev mais pour utiliser le passage dans lequel il est écrit que c'est dans le sommeil que les hommes, puissants ou misérables, se retrouvent à égalité, mais que cette égalité est problématique car elle ressemble terriblement à l'égalité des Hommes face à la mort. L'égalité vue par le modèle soviétique serait donc liberticide et entraînerait la mort non des individus, mais la fin de la vitalité de l'Humanité.
Malgré les précautions prises par Tarkovski de placer ses histoires dans des époques passées ou futures, les censeurs soviétiques comprirent évidemment le côté subversif de ses œuvres qui furent évidemment censurées en URSS!
Mais cette censure n'empêcha pas d'autres réalisateurs russes de tourner et de critiquer le modèle soviétique comme par exemple Nikita Mikhalkov qui réalisa en 1991 un film illustrant finalement parfaitement l'échec du modèle soviétique. Urga marquait la fin de l'espérance dans l’idéologie communiste. Les Soviétiques travaillent beaucoup en URSS mais pour vivre mal tandis qu'aux confins de la Sibérie à la frontière de la Mongolie, les hommes vivent mieux que les Moscovites. Par des images choc, Mikhalkov fait vaciller tous les piliers du communisme puisque, dans une chambre d'hôtel de Sibérie dans laquelle vit le héros du film, un lent travelling dévoile des cigarettes américaines et un bibelot en céramique représentant une église orthodoxe, autant de choses bannies par l'URSS et pourtant bien présentes. Et si une enfant lit et apprend l’histoire glorieuse de la Révolution d’Octobre et de la lutte contre les Russes blancs, tout ceci relève davantage d'un catéchisme impliquant la foi que de la réalité vécue par les Russes. La faillite du régime soviétique instauré par Lénine est tellement patent que son image est désormais vendue sur des pin’s pour les touristes! Le film est de 1991, le régime n'allait pas tardé à tomber!


Dans Un monde sans pitié, Éric Rochant annonçait dès 1989 l’effondrement du modèle idéologique communiste, ressenti dans les pays occidentaux comme la fin des utopies dont il ne restait que le décorum  comme la « Fête de l’huma ». Mais le réalisateur faisait dire à ses personnages qu'il n'y avait  plus d’alternative à un modèle libéral triomphant, même en URSS! Le cinéma, soviétique ou occidental a donc accompagné le modèle mis en place par Staline au lendemain de la seconde guerre mondiale. Les exemples proposés ici ne sont bien évidemment que quelques éléments de réflexion sur cette thématique et bien d'autres cinéastes pourraient être utilisés, notamment pour la dernière décennie de l'URSS. Mais le plus frappant dans les œuvres cinématographiques soviétiques, c'est  l'absence quasi totale du monde hors monde communiste. Les références sont terriblement centrées sur le pays lui-même et on ne retrouve pas l'émancipation territoriale, voire extra-terrestre que l'on avait dans le cinéma soviétique de l'entre-deux guerres. En 1991, l'URSS tombait et s'ouvrait un nouveau monde. Apparemment.Le cinéma occidental s'est désintéressé de la Russie depuis près de 20 ans, Hollywood se trouvant bien d'autres ennemis à critiquer. Le cinéma russe n'est plus aussi reconnu qu'avant. Est-ce pour autant que ce cinéma n'existe plus? À voir! Il est à parier que bon nombre de films que l'Occident ignore reprennent sous Poutine les recettes utilisées autrefois sous les dirigeants soviétiques. Et que d'autres essaient encore de le critiquer. Il nous reste à faire l'effort  de découvrir ces films.

A bientôt
Lionel Lacour

lundi 30 janvier 2012

L'URSS au cinéma: Histoire, mythe et propagande!

Bonjour à tous,
 
 
S’il est un cinéma qui a participé à la diffusion idéologique d’un parti et d’un Etat, ce fut bien celui qui s’est développé en Union soviétique peu après la Révolution d’octobre. Avant celle-ci, le cinéma russe existait avec notamment Iakov PROTOZANOV. Mais le cinématographe Lumière avait lui aussi permis d’avoir une idée de la société russe sous la domination tsariste. Sacre et mariage de Nicolas II, alliance avec la France et démonstration des cosaques, films de la famille impériale. Ces films témoignaient bien d’un régime autocratique, très lié à l’Eglise orthodoxe et vivant dans un luxe impressionnant. Mais à la chute du régime monarchique puis du gouvernement provisoire, le cinéma fut utilisé par le régime bolchevique de Lénine pour diffuser les idéaux de la révolution d’octobre 1917. Pour certains, le développement du cinéma soviétique marque le véritable début du cinéma. Pour Edgar Morin, dans Le cinéma ou l’homme imaginaire (1956), l’âge du cinématographe se termine avec le cinéma soviétique, passé maître dans l’art du montage et véritable commencement de la compréhension du langage cinématographique. L’objet de cet article n’est pas faire une analyse et une histoire du cinéma soviétique. Mais il n’en demeure pas moins vrai que cette école cinématographique a joué un rôle non négligeable dans la propagation des idées de la Révolution d’octobre et surtout dans les progrès des autres cinémas.
Bien des noms de cinéastes sont devenus emblématiques de cette école. Eisenstein bien sûr, mais aussi Koulechov qui théorisa les principes du montage donnant même son nom au fameux « effet Koulechov », mais aussi Vertov qui réalisa un véritable film manifeste du langage cinématographique : L’homme à la caméra.
Le cinéma des débuts de l’Union soviétique reflète donc l’image de ce jeune Etat dans un vieux pays et, par son ingéniosité et sa réflexion sur le 7ème art, a permis de comprendre ce que pouvait être l’ambition soviétique tout en laissant transparaître les limites de ce régime communiste, limites que les cinémas occidentaux n’allaient pas manquer de caricaturer ou de dénoncer.

La souffrance d'une mère dont l'enfant a été la victime des soldats du Tsar
I.                    LE COMMUNISME, UNE IDEOLOGIE A APPLIQUER

1. De la Russie à l’URSS : le refus de l’autoritarisme
Dans Le cuirassé Potemkine, Sergei EISENSTEIN réalise en 1925 un film dont l’action relate le soulèvement des matelots de ce fameux cuirassé au large d’Odessa en 1905. Dans des séquences mémorables, Eisenstein saisit les spectateurs d’effroi en filmant en gros plan de la viande avariée sur laquelle grouille des vers et qui sert de nourriture aux marins dont on comprend qu’ils sont issus du peuple. Ceux qui symbolisent l’autorité (officiers, médecin, prêtre) ne sont pas du côté des soldats puisqu’ils nient l’évidence et assurent que la viande est tout à fait comestible.. Les matelots deviennent alors des mutins devant l’intransigeance et la morgue des représentants de l’autorité. Ce soulèvement réussi se fait en parallèle à celui du peuple d’Odessa. Ainsi, peuple et marins se retrouvent car ils font partie d’une même classe sociale. Et la mort d’un des marins est reprise par le peuple d’Odessa car elle est montrée comme analogue à leur propre mort, à leur condition misérable : « morts pour une bouchée de pain ».
Pas un représentant de l’autorité n’est épargné et jusqu’au bout, officiers, médecin et surtout le pope orthodoxe affichent leur mépris pour les matelots.
Si la mutinerie est soutenue par les habitants d’Odessa, y compris d’ailleurs par la classe bourgeoise, la répression est quant à elle terrible : armée, véritable rouleau compresseur de soldats sans visage, représente le pouvoir autoritaire, qui tue sans humanité, même les mères et leurs enfants. Eisenstein étire le temps sur cette répression qui se passe sur des escaliers qui semblent ne jamais en finir. Il joue sur toutes les cordes de la sensibilité. Aux soldats sans visages, véritables robots organisés et méthodiques, le cinéaste oppose une foule massive, désorganisée, mais avec des gros plans permettant d’identifier presque chaque individu des cette masse, permettant à chaque spectateur de s’identifier à un de ceux qui va se faire massacrer par les représentants du pouvoir autoritaire. Mais surtout, le soulèvement du Cuirassé montre un précédent : le peuple s’est allié aux soldats, ce qui ne fut pas le cas historiquement. En réécrivant l’histoire, ce film montrait que lorsqu’il y a solidarité de classe, les soldats (le peuple) l’emportent sur les officiers (les aristocrates, les bourgeois). La fin du film illustre aussi la solidarité de tous les marins puisque ceux des navires de guerre qui devaient couler le cuirassé ont refusé de tirer du canon sur le Potemkine. Mieux, les marins saluèrent les mutins. Le film d’Eisenstein, en travestissant l’Histoire, permettait de conforter la mythologie bolchevique consistant à affirmer que l’armée avait rejoint les révolutionnaires en octobre 1917. Mieux. Les images du film passèrent jusqu’à être des images documentaires de la révolte d’Odessa !

Dura Lex
Cette idéologie de la lutte des classes s’appuyait donc sur un combat de ceux qui n’ont rien contre ceux qui ont tout. Cela devait passer par la critique du système précédent. Ainsi, dans Dura Lex, Lev  KOULECHOV représentait en 1926 la cause et les représentations du mal. Des chercheurs d’or venant de différents pays en trouvèrent au bord d’une rivière canadienne. Cette découverte de l’or déclencha alors l’envie, l’appât du gain. Alors que ces différents personnages s’entendaient bien, la découverte du métal précieux, synonyme d’enrichissement rapide allait rapidement créer des dissensions entre chacun. Koulechov symbolisa d’emblée le mal que l’or allait apporter au groupe par l’ombre d’une main sur le tamis où se trouvaient les pépites d’or. Cette main représentait la cupidité et la volonté de s’accaparer pour soi les richesses aux dépens des autres. La cupidité développerait les intérêts personnels avant ceux de la collectivité.

Le spectateur sait bien que le modèle critiqué est celui contre lequel les Russes ont lutté, d’abord contre le régime tsariste, puis celui bourgeois de la révolution de février 1917. Dans un film à la gloire des bolcheviques intitulé La fin de St Petersbourg Vlesovod POUDOVKINE montra en 1927 que la Révolution d’octobre était la seule qui avait pris en compte les aspirations du peuple. Le film dénonce l’entrée en guerre de la Russie tsariste en 1914, moyen pour le régime de mettre fin aux revendications du peuple en jouant sur la fibre patriotique. Mais il critique également la révolution de février 1917 qu’il décrit comme bourgeoise et au seul profit des entreprises. En effet, le gouvernement provisoire continue la guerre au nom de la patrie. Or Poudovkine, par un montage parallèle montre que c’est le peuple qui meurt tandis que les bourgeois vivent dans le luxe et la futilité. Les Bolcheviques appellent à cesser la guerre qui n’est pas la leur mais celle des patrons. Ils ne s’identifient pas à la notion de « patrie » telle que la défend le capitalisme. Cet appel à ne plus combattre se concrétise en octobre 1917 par le ralliement des troupes russes aux Bolcheviques malgré les menaces des officiers et des représentants du gouvernement provisoire de la 1ère révolution. Le déclenchement de la Révolution d’octobre commence par la prise de la capitale des Tsars, St Petersbourg, le tout sur la musique de L’Internationale, Saint Petersbourg qui devient alors la ville du chef de la Révolution, la ville de Lénine : Leningrad.

Les cinéastes ne se caractérisent pas par le respect de l’Histoire mais relatent la légende de la Révolution d’Octobre. Ils se servent de la maîtrise du récit et du montage pour que les spectateurs s’identifient au peuple tout en acceptant la version officielle donnée par les Bolcheviques.

2. Une société transformée par le communisme, guidée par Lénine
Le cinéma soviétique n’a pas fait que justifier la Révolution d’octobre. Il a fallu ensuite montrer ce que le peuple russe avait gagné à ne plus vivre sous la domination du Tsar. C’est un réalisateur favorable au régime tsariste, Iakov PROTOZANOV qui réalisa peut-être un des plus surprenants films vantant les effets de la Révolution. En 1924, il réalisa en effet Aelita, film de science fiction qui illustrait la nouvelle société russo-soviétique : l’ancienne société bourgeoise n’a pas renoncé à son mode de vie mais doit désormais se cacher en portant des tenues vestimentaires populaires et en se réunissant de manière secrète. Mais c’est surtout ce qui est visible que PROTOZANOV montre aux spectateurs : les grands chantiers transformant la ville par l’aménagement de routes ou des quais grâce à l’utilisation de machines puissantes. L’idéologie communiste est en œuvre : l’homme peut adapter la nature à ses besoins. Ces grands travaux mettent sur un pied d’égalité l’ingénieur et l’ouvrier. On est donc loin des marins du Cuirassé Potemkine ! Aux fêtes religieuses chrétiennes se substituent désormais des fêtes populaires célébrant la Révolution avec défilé militaire et foule enthousiaste.
Le film apporte une dimension futuriste en envisageant une exportation de ce modèle soviétique au-delà de la Terre, sur Mars, avec la création  d’une « Union des Républiques Socialistes de Mars » qui serait liée à l’U.R.S.S. En effet, PROTOZANOV  fait naître cette république martienne sous la symbolique soviétique puisqu’il fait graver la date du 25 octobre 1917, date de la révolution bolchevique, accompagné du marteau et de la faucille, symbolisant l’union des prolétaires, et dans ce cas là, des prolétaires martiens !
Cette transformation de la Russie sous le gouvernement bolchevique s’observe dans d’autres films. La même année, en 1924, Lev KOULECHOV réalisait une comédie au titre extravagant : Les extraordinaires aventures de Mr West au pays des Bolcheviques. Dans ce film, le modèle soviétique était décrié et moqué par les Américains, s’appuyant sur les préjugés caricaturaux de Mr West sur le faciès sauvage et barbare des Bolcheviks, préjugés diffusés bien évidemment par la presse américaine. Sur un rythme digne d’un western, Mr West découvrait pourtant que le prestige culturel de la Russie tsariste avait été conservé mais en le mettant désormais à la portée du peuple et plus seulement à celle des élites aristocratiques et bourgeoises. Ainsi, le théâtre du Bolchoï continuait d’exister et les universités arborait sur leur fronton une devise évocatrice : « la science aux travailleurs ». KOULECHOV enfonçait encore le clou en faisant défiler devant les yeux de cet Américain typique les soldats de l’armée rouge sur la Place Rouge, soldats venant des confins du pays. Alors qu’il est sur un balcon du Kremlin, on peut voir Trotski, qui semble être à ce moment là de l’Histoire soviétique l’héritier de Lénine, Staline n’apparaissant pas à l’image (il démettra Trotski de ses fonctions en 1925 !).
Le film de KOULECHOV a pour objectif de montrer la vocation universelle de l’idéologie communiste : ce film de propagande et humoristique présente donc un Américain (Mr West !, donc élevé au capitalisme libéral) qui à la fin de son aventure russe loue les mérites du communisme et réclame un portrait de Lénine dans son bureau américain ! Cet universalisme et cette ambition d’exporter le communisme sont symbolisés par le télégramme communiqué par la radio du peuple disposant d’un émetteur géant pouvant joindre le monde entier !
L’ambition d’expansion du communisme est cependant moins marquée quelques années après avec l’arrivée au pouvoir de Staline. En effet, en 1928, dans Tempête sur l’Asie, POUDOVKINE, montre que l’U.R.S.S. s’est étendue sur toute l’Eurasie et que son chef est Lénine. Si le modèle soviétique a touché les populations des confins de la Russie, l’ambition affichée est de maintenir en vie l’U.R.S.S. face aux ennemis de l’extérieur. En rappelant que la capitale est Moscou et en voulant d’abord défendre l’Union soviétique plutôt que de prôner l’expansion du communisme, le film témoigne simplement de l’évolution des idées qui prévalent à la tête du pays. Moins que l’universalisme du début, l’idéologie qui domine est celle d’un nationalisme soviétique.
Ce nationalisme passe d’abord par la réussite totale dans l’U.R.S.S. des réformes communistes. En 1929, Dziga VERTOV réalisait alors un film manifeste du langage cinématographique tout en montrant comment le pays s’était transformé grâce au communisme. Ainsi, L’homme à la caméra mettait en avant la transformation des villes et des campagnes, la modernisation de la production industrielle et agricole que ce soit par les machines employées que par les méthodes de productions collectivistes, l’évolution des mœurs par la désacralisation des corps. Les femmes pouvaient faire du sport à l’égal des hommes. Elles pouvaient se mettre seins nus sans que cela ne soit contraire à la morale. VERTOV alla très loin dans les images n’hésitant pas à montrer un accouchement de manière très crue. Mais surtout, VERTOV déstabilisa les spectateurs en ne racontant pas d’histoire mais en faisant un film expérimental de montage. Ainsi, pour montrer la libéralisation du mariage rendu plus simple puisque coupé de son poids religieux, VERTOV accompagnait l’acte administratif par une image de deux trams suivant la même route en parallèle. Le divorce ressemblait à une démarche administrative tout aussi simple mais monté cette fois avec deux trams s’éloignant l’un de l’autre. Certes ces exemples illustraient la fin du caractère sacré du mariage tel que les Chrétiens le concevaient, mais la manière de le mettre en image troublaient les spectateurs. Le cinéma de VERTOV perdait la force narrative et le souffle des films d’Eisenstein ou des autres maîtres soviétiques..
Staline voulait un cinéma plus compréhensible par les spectateurs pour une propagande plus efficace.
Affiche de La nouvelle Babylone


II.   LA PROPAGANDE STALINIENNE : LE COMMUNISME IDEAL !

  1. Un peuple soviétique libre et heureux

En 1929, dans La nouvelle Babylone Grigori KOZINTCHEV racontait sa version de la Commune de Paris au printemps 1871.Il y montrait la corruption des élus par les industriels ainsi que l’idéalisme du gouvernement révolutionnaire de la Commune de Paris contre celui de la République bourgeoise né de la défaite de l’empereur Napoléon III. Alors que la Commune de Paris est soutenue par l’ « Association internationale des travailleurs », l’armée, dont Kozintchev montre qu’elle est constituée essentiellement par des soldats issus du peuple,  décide de suivre les détenteurs du pouvoir légal, la bourgeoisie et attaque les communards lors de la semaine sanglante du 22 au 28 mai 1871, mettant fin au premier gouvernement prolétarien.
Le message est alors très clair. Une révolution ne peut réussir qu’avec le soutien de l’armée. De fait, le film est le pendant inverse du film d’Eisenstein qui montrait dans Le cuirassé Potemkine que l’armée avait été soutenue par le peuple. Pour réussir la Révolution, aussi belles que soient les idées défendues et permettant le bonheur du peuple, il faut donc que cette Révolution soit accompagné d’un soutien inconditionnel de l’armée qui deviendrait non plus l’armée du pays mais l’armée du peuple afin de le rendre libre.
C’est donc cette liberté qui serait le mot clé pour définir l’Union soviétique. Et les films ne vont pas manquer de témoigner des nouvelles libertés permises par le Parti communiste. Dans Les dentelles Sergei  YUTKEVICH montre en 1928 que la liberté d’expression existe dans tous les lieux, et notamment dans les usines, ici dans une manufacture textile dans laquelle existe un journal. Cependant, le film montre qu’il existe aussi de faux communistes qui nuisent à la Révolution communiste par ambition personnelle. Le personnage principal est décrit comme proche de Trotski et trahissant la cellule du parti communiste et le journal dans lequel il est pourtant rédacteur en chef. Son ambition personnelle le conduit à donner un dessin destiné à son journal à un journal plus important, Krokodil, journal pseudo-contestataire d’U.R.S.S. Plus grave, il fait accuser un jeune homme certes un peu fanfaron mais qui s’avère être un bon travailleur. La liberté d’expression est un fait. Mais ceux qui en abusent doivent être éliminés, du journal, de l’usine et… de l’écran !
Le message du film est donc double. Il montre l’étendue des libertés accordées au peuple mais ceux qui nuiraenit au modèle communiste seraient éliminés radicalement. En faisant disparaître le traître de l’écran, le réalisateur justifie le principe des purges sur les communistes ambitieux !
Car le communiste doit se fondre dans un moule. Dans Fragment d’un empire, Fridrikh ERMLER réalise en 1929 un film montrant la transformation de la Russie, et notamment Saint Petersbourg après la Révolution bolchevique de 1917. Le cinéaste imagine un soldat russe de la Première guerre mondiale ayant perdu la mémoire et découvrant Saint Petersbourg bien après la Révolution dont il ignore l’existence. Si le nom de la ville a changé, c’est aussi la statue de Lénine qui a remplacé celle du Tsar. Les gens semblent heureux car les ouvriers plaisantent dans les transports en commun avec les forces de l’ordre, les femmes s’habillent de manière beaucoup plus frivole et surtout elles travaillent. La ville s’est dotée d’infrastructures et d’immeubles dignes de gratte-ciels qui contrastent avec le paysage de St Petersbourg avant la guerre  et son paysage de bourgade.
Quant aux relations entre ouvriers et contremaîtres, c’est un véritable bouleversement culturel !  A l’usine, le contremaître, une femme, preuve de l’égalité entre les sexes y compris dans les usines, veille à la sécurité de ses ouvriers, à leur bien-être.
 « Qui est le patron ? » hurle alors le soldat amnésique ne comprenant pas que l’autorité ne soit pas aussi sévère voire injuste qu’avant. ERMLER réalise alors une séquence de pur montage dans lequel le spectateur est interpellé pour qu’il comprenne avec le héros que le patron, c’est désormais le peuple, les prolétaires, ouvriers et paysans, à l’égal des contremaîtres. Le film indique alors qu’il faut combattre tout ce qui reste de l’empire tsariste qui pourrait empêcher le triomphe du communisme et donc, le bonheur du peuple. Ainsi, toutes les valeurs bourgeoises, que ce soit le confort et le luxe comme le recours à la religion doivent disparaître de l’U.R.S.S. Même le mariage comme acte sacré est montré comme une valeur bourgeoise car il empêche l’émancipation de la femme !


2. L’établissement du culte du chef

La prise de pouvoir par Staline s’est donc manifestée du point de vue cinématographique par une utilisation des films comme véritable outil de propagande à sa politique et à sa conception de la Révolution bolchevique.
Tchapaiev de Sergei et Gueorgui VASSILIEV, réalisé en 1934, correspond pleinement à l’orientation que Staline voulait donné au cinéma soviétique. Tchapaiev est un héros de la Révolution d’octobre qui lutte contre les Russes blancs voulant rétablir le régime tsariste. Tchapaiev est un homme issu du peuple qui est montré comme un vrai chef, un combattant, sachant être intransigeant voire brutal mais sachant aussi être reconnu comme un grand leader que l’on peut suivre car il est courageux et lutte pour le succès de la Révolution qu’il incarne de fait. Un tel personnage n’est pas sans évoquer, même physiquement, celui de Staline. Et si Tchapaiev tue sans jugement des soldats de son propre camp, c’est parce qu’ils sont des traîtres, ce que le film confirme. L’analogie entre Tchapaiev et Staline étant évidente, de là à justifier les purges du chef Staline, il n’y a qu’un pas !
Ainsi, Tchapaiev, montré souvent en contre-plongée le rendant encore plus grand devient une image forte du chef. Et quand il descend de son cheval, c’est pour exercer son autorité à ceux qui sont sous ses ordres, non en tant que chef impitoyable comme pouvaient l’être les officiers du Tsar, mais comme un des leurs, pour le triomphe du bien commun.
Même le grand EISENSTEIN a entretenu cette idée du chef que l’on suit parce qu’il serait celui qui amènera à la paix et au bonheur du peuple. Dans Alexandre Nevski, en 1938, EISENSTEIN renforce l’autorité du chef soviétique en lui donnant un modèle russe, celui d’un Prince le plus populaire de l’Histoire de la Russie, combattant les Européens voulant conquérir le territoire russe. Dans le film, l’ennemi est représenté par les chevaliers teutoniques catholiques, symbolisant les Allemands qui menacent l’URSS en 1938. Ces chevaliers teutoniques sont filmés en venant de la gauche de l’écran (l’ouest)  vers la droite (l’est) pour combattre les Russes. Si les Chevaliers sont montrés avec leurs casques couvrant toute la tête, les soldats russes sont montrés avec leurs visages découverts. Comme dans Le cuirassé Potemkine, EISENSTEIN utilise le même registre. Les chevaliers teutoniques sont des êtres sans humanité, sans visages (des robots) tandis que les Russes  sont représentés comme des hommes vivant, réagissant émotionnellement devant l’attaque adverse. Quant à leur chef, Alexandre Nevski, il apparaît lui aussi au sommet d’une colline, soutenu par l’Eglise orthodoxe, nouvel allié en ces temps de menace germanique à la fin des années 1930 et surtout symbole de l’identité russe après avoir été si longtemps pourchassée. Nevski établit une tactique, sereinement. Il est présenté comme un chef compétent pouvant mener son peuple à la victoire et donc à l’indépendance.

Le sens des deux films est donc assez évident par la mise en avant du chef par un véritable culte de la personnalité. Mais surtout, les deux films montrent une évolution du régime au travers du personnage de Nevski : Staline, qui contrôle la production cinématographique soviétique, modifie les principes de la révolution russe en faisant appel au patriotisme russe pour lutter contre les Allemands, par l’utilisation d’une bataille historique de 1242, signe de l’abandon de mener la révolution hors de l’U.R.S.S. Mais il se rapproche également de l’Eglise orthodoxe car il pressent l’imminence d’une guerre contre l’Allemagne. Or Nevski, en plus d’être russe, est un saint de l’Eglise orthodoxe.



III.    PEUT-ON CRITIQUER LE REGIME SOVIETIQUE ?

1. Une critique interne de plus en plus difficile

Le cinéma soviétique de l’immédiat après Révolution ne se contentait pas de magnifier la Révolution et ses résultats. Même parmi les films vantant le régime bolchevique, des critiques pouvaient se manifester ça et là. Ainsi, dans Les extraordinaires aventures de Mr West au pays des Bolcheviques dont nous avons déjà parlé, KOULECHOV n’hésite pas à critiquer, certes par la farce, les procès menés par les Bolcheviques en les montrant  expéditifs ou les juges sont aussi témoins et jurés. On dénonce le simulacre d’un procès équitable. Le procédé est drôle, corrosif mais les spectateurs reconnaissent les limites de cette justice menée par certains révolution naires qui s’arrogent des droits pour prouver qu’ils sont plus communistes que communiste, quitte à faire fi du respect des lois.
Mais le film date de 1924 et la critique du régime est acceptée dans le sens où finalement, c’est bien la Révolution qui est magnifiée. En revanche, dans Dura Lex, KOULECHOV propse quasiment la même critique que dans Les extraordinaires aventures…, mais avec un nouveau paramètre. En effet, c’est désormais Staline qui dirige le pays et la censure stalinienne ne permet plus de critique directe, même sous l’angle de la dérision, du modèle soviétique. C’est pourquoi KOULECHOV adapte une nouvelle de Jack London dont l’action se passe au Canada. Il n’y a pas d’assimilation possible avec l’U.R.S.S. Quand celui qui a tué les chercheurs d’or est fait prisonnier par les deux survivants, il est jugé par eux qui sont à la fois témoins, juges et bourreaux. Comme dans les procès bolcheviques. Mais tout ceci se passe sous l’autorité de la Reine d’Angleterre – le  Canada est sous autorité britannique. Le portrait est régulièrement montré à l’écran comme pour bien signifier aux spectateurs que l’histoire montrée ne concerne en aucun cas l’U.R.S.S.  Mais le procédé est évidemment factice car tous les spectateurs lisent le film à leur présent. Et le présent des Russes et des Soviétiques est bien de subir une justice expéditive au nom d’un chef dont le portrait domine tous les lieux officiels, y compris les tribunaux.
Dans Les dentelles, YUTKEVICH dont on a vu à quel point il accompagnait la propagande stalinienne n’hésite pas à critiquer certains aspects de l’Union soviétique, soit en critiquant le Komsomol (jeunesse communiste) par la bouche d’un artisan qui prétend que le Komsomol apprend à être fainéant, soit en témoignant des limites de la productions russes pour ce qui concerne les machines ou appareils en tout genre. Les balances sont suédoises, les horloges françaises, le tout avec des gros plans suffisamment longs pour que les spectateurs voient bien l’origine de ces objets. Le constat est clair et confirme la dépendance de l’U.R.S.S. dans certains secteurs industriels, notamment du matériel de précision.

Cependant, les critiques deviennent de plus en plus difficiles dans le cinéma soviétique stalinien qui se transforme surtout un cinéma de propagande servant au culte de la personnalité de Staline, avec des histoires simples et de vrais héros facilement identifiables. La nuance n’est plus vraiment de mise car suspecte.


2. Un régime caricaturé par les démocraties occidentales
Anatole LITVAK, réalisateur d’origine ukrainienne réalisait en 1937 Tovaritch dans lequel il critiquait la Révolution d’octobre comme une révolution sanguinaire menée par des bourgeois ou tout du moins par l’élite et non par le peuple. La noblesse russe quant à elle sait être fidèle à son tsar pour le bien de la patrie russe, malgré la domination des bolcheviques. Si bien que sollicités par un représentant du pouvoir soviétique, l’héritier du trône du tsar qui travaille comme domestique en France est prêt à donner sa fortune pour sauver le peuple de la famine, due bien évidemment à la politique des Bolcheviques.
Dans Ninotschka, en 1939, la critique d’Ernst LUBITSCH est plus directe encore. En effet, la première partie de son film montre l’U.R.S.S. sous la domination de Staline. Et si les défilés à la gloire du régime et de la Révolution de 1917 exposent encore les portraits de Lénine, c’est bien sûr la personnalité de Staline qui s’impose vraiment avec des tableaux et bustes à son effigie partout dans les défilés. La critique de Lubitsch montre aussi la perte de l’enthousiasme des Soviétiques qui semblent subir ces défilés plus que d’y participer de manière spontanée. Le peuple est à la fois embrigadé, que ce soit par les tenues vestimentaires uniformes que par des gestuelles militaires enlevant toute spontanéité aux défilés ou aux comportements les plus quotidiens. Si les femmes sont libres, elles ne le sont qu’en théorie puisque leur féminité est elle aussi encadrée par ce qu’elles ont le droit de porter ou pas. Surtout, c’est l’absence de liberté d’expression que LUBITSCH montre, avec la crainte d’être dénoncé aux autorités. A contrario, le modèle occidental est présenté comme une vraie terre de liberté et de plaisirs simples !

Clark Gable, journaliste américain va épouser
Heddy Lamar, une bolchevique qu'il ne connaît que depuis
quelques heures!
Mais c’est peut-être le grand King VIDOR qui réalise en 1940 la meilleure critique du régime soviétique dans Camarade X en 1940. Alros qu’un traître semble œuvrer contre le régime soviétique, le chef de la sécurité ôte à tous les journalistes étrangers le droit de publier le moindre article et de se déplacer ou bon leur semble dans le pays. La presse est donc surveillée par la police secrète pour empêcher que l’information sur l’existence  d’un contestataire du régime ne se diffuse, y compris à l’étranger. La preuve de l’absence de liberté d’opposition politique est dans l’obligation de la clandestinité du contestataire. Quant à ceux qui échouent ou ont échoué dans l’arrestation du Camarade X, ils sont éliminés sans procès mais avec des motifs fallacieux, comme un bête accident !
King VIDOR s’amuse alors à compiler les contradictions du régime soviétique avec des répliques drôlissimes comme celle qui affirme qu’il faut éliminer les communistes pour que le communisme continue. La critique est féroce et documentée.  
-         les communistes se sont imposés par la force, donc non démocratiquement ;
-         les communistes au pouvoir sont victimes de purges.
Mais c’est surtout dans la critique des transformations sociales que King Vidor est le plus pertinent. En montrant qu’une femme conduit un tram, il reprend l’idée soutenue par les communistes que les femmes sont les égales des hommes. Mais quand dans Fragment d’un empire, les femmes étaient montrées comme heureuses, le film de King VIDOR les montre plutôt comme harassées. Quant au mariage, King VIDOR reprend ce que VERTOV montrait, en en faisant une simple procédure administrative qui pouvait être défaite aussi simplement qu’un envoi de carte postale. Bref, tout ce qui était présenté dans le cinéma soviétique comme caractéristique du régime communiste est repris et tourné en dérision, de la non croyance en l’existence de Dieu jusqu’aux aveux spontanés des faux traîtres à la cause communiste !

CONCLUSION

Le cinéma soviétique a particulièrement servi à asseoir le régime soviétique naissant. Il a d’abord constitué une mythologie puissante se substituant souvent à l’Histoire. Puis, avec l’avènement de Staline, le cinéma s’est fait davantage œuvre de propagande même si de vrais artistes pouvaient être derrière la caméra. La liste proposée dans cette analyse est évidemment trop courte pour satisfaire une approche exhaustive. Certains auraient pu aimer voir d’autres films d’Eisenstein abordés comme Octobre ou La jeune fille au carton à chapeau de Boris BARNET en 1927 ou encore La terre d’Alexandr DOVZHENKO en 1930. Le fait est que tous ces films ont illustrés la pensée soviétique tout en participant au développement d’un langage cinématographique qui allait influencer le monde entier, y compris Hollywood. Mais surtout, ce cinéma montrait son ingéniosité à accepter les contraintes de la propagande stalinienne tout en réussissant parfois à apporter des critiques, même en filigrane, au régime stalinien.
Mais au moment de la seconde guerre mondiale, le temps pour la critique allait disparaître et c’est tout le cinéma soviétique qui allait soutenir l’effort de guerre. Et même le cinéma américain allait soutenir l’U.R.S.S.. de Staline. Mais ceci est une autre histoire ! A voir dans un des articles de décembre 2011.

A très bientôt

Lionel Laocur