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mardi 19 avril 2022

La France des Années 30 vue par son cinéma


Bonjour à tous, 

Mardi 12 avril 2022, je donnais une conférence à l'Institut Lumière sur la France des Années 30 vues par le cinéma.

En voici la retranscription.


Certains pensent que nous vivons une situation économique et politique assez proche des années 30 : crise économique, montée de l’antisémitisme et menaces extérieures par des pays belliqueux. Est-ce que cette situation des années 30 qui a conduit à la guerre s’observait dans les films français ? Et si oui comment ?

 

lundi 13 septembre 2021

"Délicieux" vs "Bac Nord": de la faillite de l'autorité

 

Bonjour à tous,

Cet été sont donc sortis deux films aux antipodes. Bac Nord de Cédric Jimenez sorti le 18 août 2021 a été suivi quelques semaines plus tard de Délicieux d'Eric Besnard, en salles depuis le 8 septembre. Ces deux films ont vu leur sortie repoussée à cause de la crise du COVID. Aucun rapport entre ces deux films puisque le premier relate, même si les faits seraient modifiés, une affaire mêlant des policiers de la Bac de Marseille ayant eu lieu en 2012 et le second se place en 1789 et évoque comment fut inventé le premier restaurant en France.
Au-delà des thèmes et de la période, c'est aussi le style des films qui est radicalement différent. Bac Nord est tendu, sec, la caméra instable, le montage incisif et une surexposition de la lumière créant une sensation de fébrilité permanente. Et puis un vocabulaire évidemment vulgaire, les flics parlent comme les racailles qu'ils arrêtent, le tout sous une musique envahissante, parfois interrompue par les bruits des kalach ou des hurlements des prisonniers. Tout le contraire pour Délicieux où la lumière semble n'être que naturelle, les bougies venant déchirer l'obscurité de la nuit quand les arbres atténuent l'ardeur du soleil. Le montage est plus calme, les plans plus longs, les séquences parfois séparées par des natures mortes. Et la musique renvoie à cette fin de XVIIIe siècle, veille de la Révolution française. Nous sommes loin de la funk et du rap de Bac Nord


BANDES ANNONCES


Deux films, deux ambiances pour reprendre une expression désormais commune. Pourtant, il est quelque chose d'assez étrange en voyant ces deux films. En effet, les histoires aussi éloignées soient-elles témoignent d'une similitude quant au rapport entre la population et les autorités. Que ce soient Manceron le cuisinier du Duc ou Greg, le flic de la Bac, les deux ont été lâchés par ceux censés les protéger, et ce après avoir été encensés. Pour Délicieux, l'affaire est entendue. Les spectateurs comprennent que l'arrière-plan est la Révolution française nourrie par les idées des Lumières, que le fils de Manceron ne manque pas de citer. La contestation populaire est rapportée dans une province loin de Paris. Et les remises en cause du pouvoir par les députés ne sont comprises ni par le roi ni par le duc de Chamfort et les autres nobles qui méprisent ce peuple en leur daignant le droit de manger ce que eux mangent. Ces nobles incarnent les privilégiés à plus d'un titre. Ils sont nobles par leur sang, mais aussi par le droit qu'ils ont d'humilier ceux qui ne le sont pas. Une supériorité morale qui leur permet tantôt de soutenir un roturier puis de l'insulter. Ces représentants d'une société d'ordre vivent sur des valeurs artificielles et ce qui justifiait initialement leur rang ne signifie plus rien qu'une injustice. Habillés et coiffés de manière excentrique, se rengorgeant de bons mots et de traits d'humour, ils ne représentent plus la fonction qui leur est assignée dans cette société hiérarchisée.

Dans Bac Nord, la hiérarchie politique et administrative se fiche du sort de la population sous contrôle d'une voyoucratie organisés en gangs occupant le territoire. Cet abandon des citoyens par le pouvoir politique saute aux yeux de ces flics qui reçoivent l'ordre de reculer face à ceux qui terrorisent les habitants des quartiers nord de Marseille. Certes la société n'est plus officiellement divisée en ordres comme sous l'ancien régime, Jimenez montre pourtant combien chaque strate de la hiérarchie lâche les flics pour mieux se faire valoir de la République qu'ils prétendent incarner. Tout comme le duc de Chamfort accablait Manceron pour montrer combien lui l'aristocrate défendait cette société où un cuisinier était traité comme un moins que rien car non noble. Chamfort est remplacé par l'officier Jérôme, chef de Greg et de ses coéquipiers, prêt à abandonner ses hommes pour sauver sa carrière. Tout comme le Duc pour être reçu à Versailles.

Mais si dans Délicieux, le spectateur connaît la fin de l'histoire avec un grand H, il se trouve dans le même questionnement que celui de Greg qui doit agir sans ordre officiel.  Si en regardant Délicieux nous savons ce qui arrive ensuite en 1789, le spectateur comme le réalisateur ignorent où la faillite du pouvoir et le renoncement de l'autorité à imposer ses valeurs et ses principes mèneront. Manceron a courageusement quitté son protecteur jusqu'à le défier. Et l'Histoire nous a appris que la multiplication des Manceron a donné naissance à un mouvement irréversible renversant un pouvoir dans toutes ses strates qui n'avait pas vu ou su prendre en compte les aspirations nouvelles de son peuple. Bac Nord nous montre Greg, mais aussi Antoine et Yass ses coéquipiers. Eux aussi lâchés par leur hiérarchie. Le spectateur ne peut pas s'empêcher d'imaginer que si les Greg, Antoine et Yass se multipliaient, un autre mouvement irréversible pourrait s'enclencher. Et l'Histoire nous a appris que toute enthousiasmante soit-elle, une révolution porte aussi sa cohorte de violences et d'injustices. Parce que le pouvoir a failli. 

Eric Besnard, lors d'une avant-première lui-même trouvait étrange les similitudes entre la situation en France au moment de faire son film et celle du scénario de Délicieux. Les derniers événements à Marseille ou aux Tarterêts démontrent que Bac Nord tout en étant une fiction n'est pas si éloigné de la réalité. Le cinéma n'annonce jamais rien que ce qui n'existe déjà. 


A bientôt

Lionel Lacour

jeudi 25 février 2021

"Judoka" – Voyage dans l’identité du directeur du Festival de Cannes

 


Bonjour à tous, 

Une fois n'est pas coutume, cet article n'est pas consacré directement au cinéma mais à un protagoniste du cinéma français et mondial: Thierry Frémaux.  Après Sélection officielle  en 2017, le directeur de l’Institut Lumière et des plus prestigieux festivals de cinéma, Cannes et Lumière, ne parle plus de cinéma dans Judoka paru le 12 février 2021 aux éditions Stock. Ou un peu. De manière décalée. Il fait partie de ces célébrités qui ont pratiqué le judo. S’il n’a pas été un champion comme Thierry Rey, David Douillet ou Teddy Riner,  il revendique depuis toujours haut et fort tout ce qu’il doit à cet art martial japonais. Et désormais il l’écrit. Parfois il évoque bien sûr La légende du grand judo d’Akira Kurosawa. Parfois il se permet une comparaison avec Hollywood ou une virée avec Tarantino. Mais là n’est pas son sujet.

Avec Judoka, 
Thierry Frémaux, jeune ceinture noire
Thierry Frémaux nous emmène oin dans le temps et l’espace, dans une autobiographie kaléidoscopique dans laquelle cet art martial a construit sa personnalité nourrie d’expériences, de compétitions, de succès et d’échecs, de rencontres, d’émotions, d’adrénaline, d’efforts physiques, de renoncements parfois mais aussi, et peut-être surtout, de racines. Dans cette balade autour du judo, certains y apprendront les origines de ce sport de combat, son introduction en France ou sa philosophie. D’autres y découvriront l’influence des maîtres –
sensei – sur les jeunes judokas français. D’autres encore y verront que le destin prestigieux de l’auteur, comme le disait Maxime Le Forestier, est né quelque part. Quelque part en province, à la fois si proche et si loin de Paris. Ce quelque part qui vous renvoie à l’authenticité d’une balade en montagne, de repas entre amis. Mais aussi quelque part ailleurs que dans la manière de penser le monde à la française. Comme si le judo apportait à ses pratiquants en général, à Thierry Frémaux en particulier, un morceau du Japon et de ses traditions, quelque part à Vénissieux, à Lyon ou dans le Vercors. Et dans Judoka, ce quelque part se rappelle à lui.

Par son style alerte, les plus grandes stars de Sélection officielle devenaient soudain accessibles à tous. Plus humains, plus proches, plus communs. Or, comme les frères Lumière rendaient extraordinaires des situations ou des lieux les plus anodins par la simple magie d’être mis en images, Judoka procède exactement de la logique inverse. Ainsi le directeur du festival de Cannes évoque Pierre Blanc de Décines ou Alain Lherbette de Givors et autres très bons judokas de la région lyonnaise, à commencer par ceux de son club de Saint Fons. Mais aucun n’a été champion du monde ou olympique et leurs noms ne sont connus que des plus initiés aux alentours de la capitale des Gaules. Pourtant, Thierry Frémaux les rend extraordinaires par leur volonté de se consacrer totalement à leur discipline, par l’aura qu’ils dégagent à l’échelle locale, et par leur amour de la transmission de leur savoir. Dans Judoka, ils deviennent aussi importants que Jean-Luc Rougé, le premier français champion du monde de judo.

Exotique avec son vocabulaire japonais spécifique, érudit par ses recherches sur Jigoro Kano, fondateur du judo, ou les autres grands noms de la discipline, intimiste dans la plongée de ses souvenirs d’enfant et d’adolescent, Judoka est un cheminement qui intéressera ceux qui veulent comprendre pourquoi tous ceux ayant porté le judogi jusqu’à la fameuse ceinture noire continuent à se considérer comme « judoka » même après avoir arrêté depuis longtemps de fouler les tatamis, qu’ils aient pratiqué ou pas le plus célèbre et populaire des arts martiaux. Parce qu’après avoir été judoka, on est judoka.


Et pour prolonger, vous pouvez découvrir l'entretien exclusif que Thierry Frémaux m'a accordé pour Fild à propos de Judoka.

À très bientôt

Lionel Lacour



jeudi 18 février 2021

« Le cave se rebiffe » Une histoire de management d'un projet d'entreprise!

Bonjour à tous,

Longtemps, Le cave se rebiffe a pu s’enorgueillir d’être le film le plus diffusé par la télévision française. Réalisé en 1961 par Gilles Grangier, il avait toutes les qualités pour rassembler les spectateurs devant l’écran. Le duo Gabin/Blier tout d’abord, les dialogues de Michel Audiard ensuite, et une histoire tirée de la trilogie de Max le menteur d’Albert Simonin dont le premier volet a donné le très sérieux Touchez pas au grisbi en 1954 par Jacques Becker et le troisième le parodique Tontons flingueurs en 1963 par Georges Lautner. De ces trois adaptations complètement indépendant,  Le cave se rebiffe est certainement la plus pittoresque et raconte une histoire de faux-monnayeurs. Pourtant, les bons mots d’Audiard et les performances remarquables de tous les comédiens s’appuient sur une véritable activité d’une  entreprise industrielle cherchant à développer un produit jusqu’à sa commercialisation.


BANDE ANNONCE


L’opportunité d’un marché

Eric Masson (Franck Villard) est un entrepreneur en automobiles américaines. Endetté auprès du banquier Lucas Malvoisin (Antoine Balpétré) et d’un financeur Charles Lepicard (Bernard Blier), ancien patron d’une maison close, vient en rendez-vous pour rembourser ses dettes sur le développement de ses activités auprès de General Motors. Or Masson propose à ses créanciers une affaire plus prometteuse consistant à fabriquer de la fausse monnaie.

Le film aborde alors rapidement sur une réflexion commune des trois potentiels associés sur la faisabilité d’un tel projet. Lepicard les ramène à la raison car cette activité est nouvelle pour eux trois. Mais il connaît un spécialiste qui pourrait valider ou pas un tel projet. L’investissement coûterait un voyage en Amérique latine pour présenter la nature de l’entreprise à un certain Ferdinand Maréchal dit Le dabe (Jean Gabin).

Face aux arguments de Charles, Le dabe lui montre tous les inconvénients d’un tel projet, à commencer par la versatilité d’une devise qui peut être démonétisée sans prévenir ! Il fait valoir d’ailleurs son expérience face à la démonétisation du Florin par la Reine Wilhelmine des Pays-Bas en 1945 !

« Dis-toi bien qu’en matière de monnaie, l’Etat à tous les droits, le particulier aucun ».

Derrière cette boutade, il s’agit bien de voir qu’une entreprise économique doit prendre en compte tous les paramètres, à commencer par la stabilité d’un marché ! Et l’expérience qu’apporte Le dabe est évidemment de première importance.

Malgré ses réserves, Le dabe accepte finalement l’association proposée par Charles Lepicard. Pour des raisons finalement « déraisonnables ». Là encore, l’acceptation du spécialiste prend en compte un autre aspect de l’aventure d’un entrepreneur car si le Dabe sait le risque de la fausse monnaie, il en sait aussi les profits potentiels. Lepicard joue alors la carte de l’affectif. Il change le projet initial de faire des fausses Livres Sterling et affirme au Dabe que la fausse monnaie devait être des Florins. L’entreprise est une prise de risque et un engagement personnel. Le dabe prend donc ce risque.


Un chef de projet véritable chef d’orchestre

Si ce sont les trois associés qui sont à l’initiative de l’entreprise, Le dabe en est le chef de projet car il en a les compétences. Il organise la production en choisissant le lieu, les machines et les individus.

Chaque associé apporte une valeur ajouté. Le banquier et Lepicard apportent les financements, Eric Masson doit chercher le matériel et est transformé en directeur de production, en charge de recruter le graveur. Car si le projet est alléchant pour les premiers associés, c’est qu’il était lié à leur relation avec un graveur hors pair, Robert Mideau (Maurice Biraud). Il est précédé d’une réputation, d’un CV que seul Le dabe peut confirmer

Le dabe se charge aussi de trouver des fournisseurs et des clients. Ainsi va-t-il chez Mme Pauline (Françoise Rosay) pour s’approvisionner en papier. Quant à son client, il s’adresse à lui par un réseau professionnel, dans un vocabulaire codé.

Enfin, le chef de projet établit le planning de la production afin de procéder à l’impression, découpage et conditionnement des billets, nettoyage et destruction des éléments compromettants pour enfin procéder à la livraison et au paiement de la production par le client.


Un management qui repose sur les compétences

Le dabe maîtrise son secteur d’activité, de la production jusqu’au périmètre limité de son marché. Il est en mode B2B (Business To Business) et sait que cette production n’est pas duplicable car elle est en mode « prototype ».  C’est sur ces bases qu’il réclame 50% des bénéfices, sûr de ses compétences permettant de mener à bien l’opération. Le film montre d’ailleurs parfaitement la loi de l’offre et de la demande dans le marché des ressources humaines car c’est Le dabe qui fixe ses conditions à ceux venus le chercher. En contrepartie, il s’engage à une obligation de résultat pour lequel il s’engage.

Le dabe évalue également les compétences du graveur. Robert est d’abord montré comme un professionnel aguerri connaissant parfaitement les machines sur lesquelles il devra travailler. Mais c’est surtout sur son travail de gravure que Le dabe identifie le talent de Robert. Une scène mémorable permet alors de comprendre que Le dabe se fait passer pour le commanditaire de la gravure pour faire de Robert l’homme important de l’opération de fausse monnaie. D’abord par la flatterie dans sa comparaison de Robert avec les grands artistes « Laissez-moi vous appeler Robert comme on dit Léonard ou Raphaël » puis valorisant talent « Ne pas reconnaître son talent c’est faciliter la tâche des médiocres ».

Quant aux associés, hormis leur statut d’associés, Le dabe les traite seulement en fonction de leurs seules compétences. Soit financier. Soit physique. Ainsi Eric Masson, bien qu’étant celui à l’initiative du projet, se retrouve à faire de la manutention pour récupérer les rames de papier pour les billets de banque. Ce qui en dit long sur l’appréciation que Le dabe en a. D’où sa description à Madame Pauline : « Un grand, l’air con, avec des petites moustaches. […] Un gabarit exceptionnel, si la connerie se mesurait, il servirait de mètre étalon, il serait à Sèvres. » Mais peu importe, Le dabe a besoin de Masson pour les basses besognes. Et il l’emploie.

Mener à bien le projet

Comme tout film de gangsters ou d’aventure, il y a des conflits et des traîtrises. La qualité d’un chef est de pouvoir les identifier et de les neutraliser. Or le film montre combien l’entreprise économique, même illégale, crée des tensions entre les différents protagonistes. Ainsi, parce que les trois associés se sentent floués par leur chef de projet qui s’accapare 50% des bénéfices, ils décident de le doubler en produisant davantage de faux billets, s’approvisionnant chez un autre fournisseur – de moindre qualité – et impliquant le cave – Robert dans leur combine.

Ainsi, les modalités du projet ont été modifiées au risque d’aboutir à son échec. Pourtant, Gilles Grangier met en scène une rencontre entre Le dabe et Robert durant laquelle le premier va estimer le temps de production des faux billets. Le film a présenté Le dabe comme un professionnel de la fausse monnaie et donc ses évaluations de délai pour chaque opération (impression, massicotage, destruction des chutes…) ne sont pas des approximations. Or Robert, lui aussi caractérisé comme un vrai spécialiste, annonce des délais plus longs. Pour produire plus que ce que le plan de travail avait envisagé ?

De fait, chaque spectateur peut se projeter dans ces luttes d’influences mêlant les différents cadres et les employés. Chacun comprend que Le dabe s’est rendu compte de l’entourloupe qui se prépare et invite Robert à ne pas faire d’heures supplémentaires.  Ainsi, les compétences du chef de projet ont permis au Dabe d’identifier le dysfonctionnement dans la production et l’a fait comprendre à son technicien. Les deux seuls vrais professionnels  du projet se sont donc reconnus en tant que tels.

Par cette rencontre, Le dabe rétablit le plan de production initialement décidé, élimine du projet ceux ayant risqué de le faire échouer et finalise la distribution avec son client. Robert le rejoint pour profiter des bénéfices tandis que les trois autres compères ont tout perdu.

« Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras ».

Si le film se finit par la réussite d’une affaire illégale, il finit surtout par le succès d’une entreprise économique dans laquelle l’efficacité et le professionnalisme l’ont emporté. C’est ainsi que les trois associés se sont fait doubler par l’employé qu’ils avaient eux-mêmes essayé de détourner de sa mission. Leur échec est celui de leur incompétence combiné à leur quête du profit. En effet, ils ont voulu produire davantage de faux-billets avec un papier de médiocre qualité ce que Le dabe a identifié au premier regard quand les trois autres s’en satisfaisaient, au risque de faire capoter l’entreprise. Mais surtout, c’est cette incompétence qui leur a finalement fait tout perdre plutôt de de se partager les 50% de bénéfices restant. C’est la morale de toute activité économique qui doit rémunérer ceux apportant la plus grande valeur ajoutée au projet.  

Ici, les actionnaires ont voulu gagner autant que ceux qui ont les compétences sur toutes les parties opérationnelles. Dans le film, ce sont ces derniers qui l’emportent – même si les auteurs ajoutent un carton final affirmant que Robert et Le dabe seront arrêtés justifiant le « bien mal acquis ne profite jamais » – sur les premiers. Vu aujourd’hui, cette morale apparaît incongrue tant le rapport de force semble parfois renversé entre les productifs et les financeurs au sein des entreprises. Du moins dans les grandes entreprises. Mais pour les petites entreprises, il est fort à parier que la morale du film est toujours d’actualité !

 

À très bientôt

Lionel Lacour

mercredi 10 février 2021

"L’emmerdeur" et l’apogée des trente glorieuses


Bonjour à tous. 
Quand Edouard Molinaro réalise L’emmerdeur en 1973, il associe ces deux monstres sacrés après le succès de L’aventure c’est l’aventure un an auparavant. L’un est devenu un champion du box office dans des comédies de Lautner tout en alternant avec des films d’action et dramatiques. Le second a été le maître de la chanson française et s’est lancé dans une carrière cinématographique en tant qu’acteur mais aussi réalisateur. Le scénario de Francis Veber constitue ce qui allait devenir sa marque de fabrique en faisant s’affronter deux personnages aux personnalités opposées, l’un étant pénible et l’autre une forte personnalité. Le film fonctionne d’autant mieux que Ventura joue le rôle de Ralph Milan avec autant de sérieux que Brel joue François Pignon avec fantaisie. Ce duo mal assorti est écrit dans une période particulièrement bénéfique pour le pays et tout le film va illustrer cela avec tous les rêves que trente ans de croissance économique ont permis aux Français

BANDE ANNONCE



Le monde des VRP

Avec François Pignon, c’est le monde de la France qui travaille telle que les années d’après-guerre l’ont développé. Des activités industrielles, ici le textile, envoient leurs représentants de commerce vendre les collections dans les magasins. L’ère de la voiture bat son plein, nous y reviendrons, et les Voyageurs Représentants Placiers, les fameux VRP, l’utilise pour sillonner tout le pays.

Là est l’ingéniosité de Francis Veber, le scénariste. S’ils sont de caractères différents, si leurs missions ne sont pas les mêmes, leurs professions recouvrent en fait les mêmes caractéristiques

Ainsi François Pignon est un VRP qui vend des chemises. Il a son stock avec lui et propose même à Monsieur Milan de lui en offrir une en vérifiant s’il en a à sa taille. En bon VRP, il connaître son produit, les gammes, identifie le modèle qui lui siéra. Milan est également en quelque sorte un VRP. Il doit honorer un contrat, identifier son client, adapter son matériel à lui… puis l’éliminer. Milan est un tueur à gage.

Ces deux VRP ont le même fonctionnement. Leurs activités nécessitent de trouver du confort sur les trajets qui les amènent à leurs clients. Les hôtels bien sûr, comme celui où Pignon et Milan se retrouvent, mais aussi les stations essences proposant de la restauration rapide afin de pouvoir reprendre la route. C’est ainsi que Milan se retrouve dans un de ces snacks-station essence pour prendre un café, bloquant un chauffeur-routier avec son véhicule. Par cette séquence, c’est tout un symbole de l’activité des flux économiques que Molinaro met en scène. Les stations essences pour remplir les réservoirs des automobiles sont des lieux de convergences des différents professionnels sillonnant les routes.

Un pays libéral

Autour d’une simple séquence, le film montre combien la France est passée des restrictions d’après-guerre à une société de consommation. Ainsi, alors que Pignon conduit Milan en voiture, celui-là réalise qu’il n’a plus d’essence. Pourtant, il va passer devant plusieurs stations sans s’arrêter. Milan lui demande de s’arrêter mais Pignon refuse car il ne prend que de la Fina. Derrière cette bêtise sans nom se cache une logique. Pignon fait la collection des santons en plastique pour son petit neveu et ceux-ci se trouvent donc dans les stations Fina.

En quelques secondes, le film entre en connivence avec les spectateurs. Sans rien leur expliquer puisqu’ils savent déjà. On ne reconnaît que ce qu’on connaît. Ainsi, la multiplication des marques de distributeurs d’essence montre que l’économie française est concurrentielle, une des caractéristiques des économies libérales. Cette concurrence joue donc sur une guerre des prix – ceux-ci sont affichés à l’extérieur de la station et visibles de la route – par une identification aux marques par leurs logos, et par des pratiques commerciales de fidélisation de la clientèle. Ici, des cadeaux offerts aux clients pour tout plein d’essence effectué. Cette stratégie de fidélisation peut paraître archaïque mais elle est encore pratiquée aujourd’hui par les entreprises de tous les secteurs, y compris dans le numérique !

L’objet de la fidélisation est également intéressant puisqu’il s’agit de santons en plastiques. Cela montre d’abord une industrialisation de produits qui autrefois étaient des objets en terre cuite ou céramique. Comme l’essence, ils sont fabriqués à partir de produits pétroliers importés. Le pétrole est donc transformé par les raffineries pour en faire du carburant ou dans des usines de plasturgie pour en faire du plastique que des usines mouleront pour les transformer ici en santons. Cette production de masse réduit les coûts unitaires et démocratisent des objets qui étaient souvent conservés précieusement et transmis de génération en génération.

Cette fidélisation montre enfin que la France reste encore, en 1973 du moins, un pays foncièrement chrétien. Mais il s’agit d’un christianisme culturel où les objets religieux se vendent ou se gagnent dans des commerces sans aucun lien avec le culte. La crèche que réalise le neveu de Pignon a peu de chance d’être conservée. Il ne la fait que parce qu’elle est devenue objet de consommation et non de piété. Ces santons en plastique montrent également le peu de valeur conférés par ceux qui les collectionnent. Par une dévaluation des valeurs chrétiennes et de ses symboles, devenus objets de marketing !

Une France de la promotion soc iale

Enfin, le film met en avant ce qui caractérise les Trente glorieuses. Certes la femme de Pignon (Caroline Cellier) le quitte pour un notable neurologue (Jean-Pierre Darras) ce qui ressemble quand même à une ascension sociale plus classique par mariage. Mais l’idéal de Pignon est bien de pouvoir offrir à sa femme un pavillon individuel, symbole de la réussite sociale pour ceux qui n’étaient que des employés et à qui la croissance économique a permis d’accéder au statut de propriétaire. Cette ascension sociale se caractérise donc par des signes extérieurs de richesse qui passent par la voiture mais aussi par la maison.

Cette promotion sociale est aussi celle que permet l’école. Pignon veut des enfants pour qu’ils occupent un métier plus prestigieux que le sien, un avocat ou un pharmacien. Il y a cette idée que chaque génération peut progresser par rapport à la précédente. Loin des stéréotypes des décennies précédentes dans lesquelles les fils poursuivent le métier de leur père, Pignon n’envisage donc pas que son fils soit lui aussi un VRP. Cela est dû au fait qu’il n’est certainement qu’un employé. Il n’est pas artisan et n’a donc pas de succession patrimoniale en lien avec son métier à transmettre. IL est d’ailleurs curieux que les métiers qu’il cite soient à la fois des métiers intellectuels plutôt prestigieux mais également des professions libérales, donc indépendantes. Cette période ne fait donc pas la part belle aux métiers manuels mais au contraire aux métiers intellectuels à forte valeur ajoutée. Ceci s’explique entre autre encore une fois par la substitution des productions artisanales par la production industrielle qui démocratisent les produits, concurrencent les artisans et où les travailleurs se trouvent au bas de l’échelle sociale.

 

Avec L’emmerdeur, c’est une sorte d’instantané des derniers instants d’une confiance absolue des classes moyennes dans la prospérité. Cette même année allait éclater la première crise pétrolière qui allait secouer toutes les certitudes du film. L’industrialisation connaîtra un déclin du fait du renchérissement de l’énergie pétrolière, le chômage gagnera et rendra aux artisans leur prestige progressivement et l’école cessera également d’être cet ascenseur social dont se glorifiait les gouvernements successifs.

À très bientôt

Lionel Lacour

mercredi 3 février 2021

"La cité de la peur" : there is no business like show-business

 

Bonjour à tous.

Les comédies transgénérationnelles, celles que les parents montrent à leurs enfants et que les enfants intègrent dans leur propre culture, ne sont pas si nombreuses. Il en va des Tontons flingueurs, de La grande vadrouille ou du Père Noël est une ordure  et quelques autres, souvent des mêmes auteurs d’ailleurs. En 1994, Alain Berbérian réalise La cité de la peur sur un scénario écrit par les Nuls alors au sommet de leur gloire après le succès des deux saisons de Les Nuls, l’émission de 1990 à 1992. Ces stars comiques de la chaîne Canal + ont donc décidé de projeter leur talent sur grand écran, montrant que leur drôlerie inspiré des plus grands humoristes anglo-saxons pouvait être transposé en salle et sur la durée d’un film entier tout en conservant leur verve et leur spécificité reposant sur le décalage, le mauvais goût et l’implication des autres artistes dans leur délire. Mais c’est surtout dans l’univers du show-business qu’Alain Chabat, Chantal Lauby et Dominique Farrugia plongent leur histoire. Et quoi de mieux que le festival de Cannes pour incarner le temple du show-business avec ses stars de cinéma, ses journalistes et ses groupies.

1.     Le star system revisité

Un nanar absolu Red is dead est projeté en séance de presse au premier jour du festival de Cannes.  Hormis un jeu d’acteur exécrable, une réalisation pitoyable et un discours politique d’un simplisme confondant avec son fameux « meurs, pourriture communiste », les Nuls posent clairement les faits. Ce film est nul tout comme son acteur principal. Pourtant, à la suite d’un fait-divers en lien avec le tueur du film. Le projectionniste de la salle de cinéma où est projeté Red is dead est assassiné comme le fait le tueur du film, avec un marteau et une faucille. Or, malgré le rejet du film par la critique, l’attachée de presse Odile Deray (Chantal Lauby) décide de tirer avantage de ce meurtre et attirer l’attention des médias sur son film. Elle décide de faire venir au festival l’acteur Simon Jérémi (Dominique Farrugia). Les spectateurs découvrent médusés un personnage qui vomit quand il est heureux, a des goûts alimentaires répugnants et ressemble dès son arrivée davantage à un enfant attardé qu’à un adulte accompli. L’objectif d’Odile est de le mettre en scène comme n’importe quelle star du 7e art. Pour cela, elle le fait accompagner d’une voiture, d’un garde du corps et procède à un relooking surtout après qu’un deuxième projectionniste a été assassiné selon les mêmes circonstances. Simon se retrouve alors sous les feux des projecteurs alors même que son talent d’acteur ne le justifie pas.

Cette notoriété soudaine ne touche d’ailleurs pas seulement Simon. En effet, dans plusieurs séquences, le film illustre comment certaines personnes deviennent des sujets d’attention pour ce qu’elles sont et pas pour ce qu’elles font. Ainsi le commissaire Bialès (Gérard Darmond) est-il accueilli telle une rock star par les  journalistes quand il arrive sur les lieux d’un crime. Cette notoriété est à la fois suscitée par une presse en quête de sensationnel et par ceux qui voient l’opportunité d’être mis en avant. Ainsi le commissaire s’inquiète de la tenue qu’il porte et remercie son adjoint d’avoir prévenu la presse. Mais ce sont surtout d’autres personnages qui troublent le plus, provoquant le rire. En effet la veuve du premier projectionniste assassiné se retrouve être désormais invitée dans tous les événements people du festival jusqu’à remonter les marches, telle une star connue de tous. Même par les journalistes commentant cette montée. La sous-préfète au look de cougar est citée deux fois comme si cela était important. En revanche, les deux animateurs de la soirée peinent à reconnaître le premier ministre, qui ressemble vaguement à quelqu’un qui passe à la télévision.

Derrière l’humour se cache malgré tout une critique d’un système médiatique s’intéressant davantage à ce qui fait l’actualité sensationnelle qu’au contenu. Ainsi l’animatrice reconnaît explicitement qu’elle n’a pas le temps de voir les films, toute occupée qu’elle est à se préparer et à paraître. C’est également le public qui est moqué, celui qui se presse voir un film dont ils ne savent rien et dont l’actualité sanglante confère une valeur n’ayant aucun rapport avec sa qualité cinématographique. Cet engouement est d’autant plus factice que les spectateurs réclament le remboursement de leurs invitations car la projection a un peu de retard. A contrario, les vrais artistes acceptent d’être ridiculisés dans des rôles mineurs. Il en est ainsi des quatre projectionnistes interprétés par Tchecky Karyo, Jean-Pierre Bacri, Daniel Gelin et Eddy Mitchell.

 

2.    Un focus taquin sur l’industrie cinématographique

Ainsi, c’est bien l’industrie cinématographique et ceux qui en vivent qui est gentiment, mais sûrement moquée dans La cité de la peur. Et notamment ce qui concerne l’après-production. Ainsi, il s’avère que le rôle des attachés de presse est primordial pour le succès d’un film. C’est ce que fait d’ailleurs avec passion Odile Deray en essayant de vendre un film calamiteux par l’organisation d’une séance réservée aux journalistes. Mais c’est également elle qui utilise le « buzz » autour de Red is dead et des assassinats de projectionniste pour relancer la promotion jusqu’à l’organisation d’une séance en clôture du festival. Rien n’indique d’ailleurs que ce film était prévu en projection dans la salle du Palais du festival. Le succès de cette promotion que le réalisateur montre une montée en puissance dans la communication, avec une attachée de presse gérant en quelques jours et dans des bureaux flambant neufs une équipe de communiquant déployant toutes les possibilités de marketing. Car derrière le succès médiatique du film, c’est la carrière d’Odile qui est en jeu. Peu importe le sort des personnes qu’elle côtoie, elle ne pense qu’aux retombées médiatiques. Et le « bad buzz » autour des meurtres n’est que du buzz pour le film dont elle a la charge. Jusqu’à ce qu’elle intéresse même des cinéastes étrangers !

Ainsi, le rôle des journalistes-critiques de cinéma est relégué au second plan. Ceux qui ont vu le film le premier jour du festival n’en ont pas parlé parce que trop mauvais, ou ne sont pas allés jusqu’au bout de la projection. À aucun moment il n’est mentionné dans La cité de la peur que le film ait été mal accueilli par eux. L’aspect qualitatif est donc relégué derrière des considérations autres. Et si le film des Nuls insiste à ce sujet, c’est aussi pour se moquer d’une cinéphilie parfois pointue que représente Cannes. Ainsi sont régulièrement cités les films projetés en compétition, avec des titres improbables, de réalisateurs inconnus venant des pays d’Europe centrale ou d’Asie. Ces films sont sélectionnés pour des critères qualitatifs mais si la lecture de leurs titres des films fait rire les spectateurs de La cité de la peur, c’est que cela renvoie aussi à un certain snobisme du festival de Cannes, sélectionnant parfois des films qui ne seront que peu programmés en salle et très peu vus. De fait, Red is dead peut être très mauvais. Sa carrière ne sera pas moins calamiteuse que certaine des films sélectionnés mentionnés.

En fait, les Nuls montrent surtout que le cinéma, et avec lui, le festival de Cannes – comme les autres événements du 7e art – sont surtout un business. Et au-delà des salles de projection, La cité de la peur insiste sur l’organisation du festival. Car s’il y a une sélection de films en compétition, Cannes est surtout pour les professionnels un moment privilégié pour faire connaître leurs projets, leurs productions. À plusieurs moments d’ailleurs apparaît un panneau indiquant « marché du film ». Il s’agit bien de quelque chose de choisi par la réalisation car Berbérian tourne en dehors de la période du festival. En effet, les habitués de cet événement auront remarqué l’absence des installations éphémères à proximité du palais et qui accueillent toutes les grandes institutions privées et publiques de l’industrie cinématographique. En disposant plusieurs fois ce panneau « Marché du film », le réalisateur rappelle que le cinéma est certes un spectacle – la preuve, il en fait une œuvre lui-même – mais aussi et surtout un business. Cela se traduit donc par des salles réservées aux professionnels ayant des badges spécifiques, des services de sécurité etc.

 

3.     Le business où tout est spectacle

Quand Serge (Alain Chabat) arrive à l’aéroport de Nice en tant que garde du corps du comédien Simon, il présente la voiture dans laquelle ils vont rejoindre comme une vraie publicité, ce que le réalisateur s’empresse de représenter ainsi avec des plans pastichant les spots publicitaires des véhicules censés vendre du rêve plus qu’une voiture. Il y a donc, au détour d’un gag, une confusion entre réalité, ils vont prendre une voiture, et l’illusion donnée par la mise en scène d’un véhicule ordinaire devenu un spectacle en soi.

Cette confusion va aller crescendo avec le spectacle que représentent les assassinats des projectionnistes. Les protagonistes, directs ou indirects, de ces crimes en série deviennent des personnages à part entière. Les veuves sont scrutées comme des héroïnes et acclamées sur le tapis rouge à égalité avec les artistes. Jusqu’à Emile le projectionniste amoureux d’Odile et le véritable assassin, qui montant les marches du palais pour projeter Red is dead attire l’attention des fans comme des animateurs. Il est un spectacle à lui tout seul car il pourrait être la prochaine victime. Le réalisateur insiste avec l’utilisation du ralenti et d’une musique de thriller. Tout est spectacle donc dans le cinéma, en dehors même du contenu des films.

D’ailleurs, Berbérian signifie cette omniprésence du spectacle par l’utilisation de procédés suscitant l’émotion à tous propos. Ainsi, quand Serge Karamazov doit éviter des mimes en faisant un saut sur la Croisette, le réalisateur utilise le gros plan sur le visage du garde du corps, le tout au ralenti pour accentuer encore plus les sensations. Quand il atterrit, des juges sortis de nulle part viennent mesurer la longueur du saut avec un record du monde ! Certes le décalage de la situation crée l’hilarité. Cela manifeste pourtant aussi que la réalisation audiovisuelle des compétitions sportives insiste de plus en plus sur l’émotion au-delà de la performance pure. Ce qui montre bien que ce « tout spectacle » est présent partout, pas seulement au cinéma. Et que ce « tout spectacle », comme pour l’industrie cinématographique,  ne prend pas en compte seulement le qualitatif !

Le spectacle est donc une clé de la société contemporaine. Et cela est relayé par les médias de l’immédiateté de 1994 dans un film qui ne connaît pourtant pas encore les réseaux sociaux. C’est ainsi que la télévision est omniprésente, que ce soit sur les lieux d’un crime avec foison de caméras relayant en direct l’arrivée du commissaire ou interviewant des victimes. La presse écrite se nourrit également de ces crimes en série pour « feuilletonner » et proposer chaque jour des titres plus accrocheurs pour vendre leurs journaux.

Comme un pied de nez arrive alors la séquence de la Carioca sur une musique latino génialement adaptée par Philippe Chany, longtemps compositeur attitré des films avec Alain Chabat. Elle doit occuper les spectateurs en salle face au retard de la projection du film Red is dead. Serge Karamazov entame ainsi un solo de trompette enchaîné par une chanson, bientôt rejoint par le commissaire. Séquence improvisée dans la narration du film, Berbérian en fait une sorte de réplique de comédie américaine avec des décors certes minimalistes mais créant une ambiance exotique, le tout mis en scène avec une vraie élégance artistique, le rire étant suscité par ce couple improbable de deux hommes effectuant une chorégraphie ambiguë. Cette séquence magistrale et mémorable au point d’être rejouée en 2019 au Festival de Cannes pour les 25 ans du film est de fait le seul moment de spectacle artistique de La cité de la peur - hormis la séquence finale de Red is dead – tout le reste n’étant que spectacle médiatique reprenant les codes des spectacles artistiques.

 

Le succès de La cité de la peur repose donc sur le talent de l’équipe des Nuls, de leurs acolytes habituels et des seconds rôles prestigieux. Les auteurs ont su transposer leur imaginaire fécond télévisuel sur un format plus long, enchaînant humour potache, gags et incises aussi efficaces sur petit écran que sur le grand. Mais le succès est aussi dû au regard porté par ces humoristes sur un univers dont ils connaissent parfaitement les contours et les limites, créant des notoriétés sur une exposition télévisuelle qui ne dure que le temps de l’émotion et de l’événement. Un système où personne n’est dupe du jeu et où chacun essaye de tirer profit. Car si les télévisions se précipitent sur les faits divers et les individus, la célébrité qui en découle vient aussi que chacun recherche ce que Warhol définissait par le quart d’heure de célébrité permis par les médias de masse. Depuis ce film, rien n’a changé. Au contraire. Les réseaux sociaux créent même le phénomène de viralité amplifiant la notoriété immédiate de parfaits inconnus. Et ce n’est pas Tomy, le pêcheur de coquilles Saint-Jacques de Saint Malo qui pourra dire le contraire après le reportage lui étant consacré en décembre 2020 par France 2, créant un engouement inouï autour de sa personne !

À très bientôt

Lionel Lacour

mardi 26 janvier 2021

"Les Bronzés font du ski" : une leçon d’économie !

 


Bonjour à tous

Tous les hivers, une chaîne de télévision programme le film culte de Patrice Leconte Les bronzés font du ski sorti en 1979. Si les spectateurs retrouvent les héros du premier opus Les bronzés sorti un an auparavant, ils vont aussi assister à un ensemble de situations renvoyant à la production, au management et à la relation client. Une base de travail formidable pour toutes les écoles de commerces en quelque sorte !


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Une société de services et de loisirs

Dès le début du film, Jean-Claude Dusse (Michel Blanc) se trouve dans une gare parisienne pour partir en vacances dans une station de ski. Il a donc recours au service des transports collectifs pour rejoindre ses amis pour faire du ski. Et tout le film va décliner ensuite les services qui gravitent autour de cette activité touristique.

Ainsi Jean-Claude dort dans un hôtel et prend des leçons de ski avec un professionnel, Bernard et Nathalie (Gérard Jugnot et Josiane Balasko) louent leur matériel de ski dans lequel travaille Popeye (Thierry Lhermitte). Quant à Gigi (Marie-Anne Chazel), elle tient un restaurant dans la station de Val d’Isère où tous se retrouvent donc. Quant à Jérôme (Christian Clavier), s’il est médecin, il passe aussi son temps libre à skier et à emprunter les remontées mécaniques, un autre service loué aux touristes.

Ainsi, tout au long du film, c’est une bonne partie de l’économie touristique qui est déclinée reposant essentiellement sur des services mis en place pour les résidents éphémères. À ces services globaux s’ajoutent des services désignés aujourd’hui comme « premium » proposés en plus ou spécifiquement aux clients souhaitant des prestations moins ordinaires et forcément plus chères. Ainsi Popeye donne des cours particuliers à des clientes fortunées. De même, la bande d’amis organise une journée hors-piste avec dépôt de chacun en hélicoptère au sommet d’une montagne. Le surcoût de ces prestations est censé apporter un progrès plus rapide dans la maîtrise du ski ou des sensations plus fortes que celles de dévaler des pentes damées !

Une société de consommation

Le développement de la société de loisirs a entraîné une consommation lui étant spécialement dédiée. Mais si l’équipement pour le tourisme d’été est assez limité, ce n’est pas le cas pour le tourisme en montagne. Et le film va là encore déployer toutes les consommations spécifiques et les moyens pour pousser à la consommation.

Ainsi, le tourisme en montagne est clairement un tourisme de classes moyennes ou supérieures ayant les moyens de s’équiper. Vêtements chauds et adaptés à la neige, matériel pour rouler sur la neige comme les chaînes aux roues, matériel pour skier… L’arrivée de Bernard et Nathalie montre même des parvenus s’habillant avec des vêtements de marque à la mode comme Daniel Hechter. Si la marque est un critère de consommation, il en est un autre qui est celui de l’identification à des champions. Ainsi Jérôme est fier de skier avec des skis qui ont fait deuxième à Crans Montana, faisant référence aux compétitions du championnat du monde de ski. Mais Val d’Isère est montrée comme une station accueillant un tourisme de masse. Aussi les personnages du film ne sont pas ceux fréquentant les stations huppées des Alpes. Val d’Isère n’est pas Courchevel ou Megève. C’est pourquoi le film insiste sur les éléments rappelant que si le tourisme se démocratise, il touche des touristes n’étant pas encore des grands bourgeois. Cela passe par l’uniformisation des objets de consommation comme la Renault 20 de Bernard qu’il confond avec la même Renault 20 d’un autre touriste.  Ce sont aussi les skis qui se ressemblent tous car étant tous de même marques. Ce qui est d’ailleurs à l’origine d’un gag entre Bernard et un autre skieur lui ayant pris ses skis neufs au lieu des siens plus anciens !

Cette uniformisation des produits industriels se voit pourtant opposer l’existence de produits plus locaux et plus authentiques que recherchent ces touristes. Bien sûr la fondue savoyarde fait partie de ceux-là et il faut voir la colère de l’équipe quand Marius (Maurice Chévit) met du fil dentaire dans la préparation pour faire un gag mais gâchant le repas. Cette authenticité se retrouve aussi quand des Italiens rencontrés dans un refuge cuisinent pour tous des « spaghetti al pesto ». 

Le terroir se retrouve enfin quand les amis sont réfugiés chez des vrais montagnards. Gigi est subjuguée par un napperon fait à la main loin des standards des textiles industriels. Mais ce terroir offre également des produits non aseptisés aux goûts très prononcés et fabriqués artisanalement. Cette découverte donne lieu à une double séquence où les héros du film doivent manger un plat fait de restes de couennes et de fromages, puis boivent un alcool très fort. L’authenticité est parfois violente et ne correspond plus aux goûts désormais normés des citadins !

Mais c’est aussi dans le logement que se révèlent plusieurs stratégies de consommation. Si Jean-Claude réside à l’hôtel, la croissance économique des Trente glorieuses a amené à l’idée que le luxe était de devenir propriétaire de son logement puis d’une résidence secondaire. Des solutions ont donc été trouvées pour permettre d’atteindre ce rêve de classe moyenne à moindre coût. Ainsi Bernard et Nathalie ont acheté un appartement en « Time share », achetant non un bien immobilier mais une période d’utilisation de ce bien. De fait, ils sont copropriétaires avec jouissance du bien selon une période définie par contrat. L’illusion de la propriété est maintenue avec la possibilité de mettre sa carte de visite à la porte d’entrée et de disposer d’une décoration personnelle à son arrivée ! On est donc loin des chalets et des palaces de certaines stations luxueuses. Enfin, si Jérôme et Gigi vivent dans un petit chalet, Popeye, bien que saisonnier, doit vivre chez ses clientes au gré de ses aventures amoureuses, preuve que le coût du logement est aussi un problème pour ceux travaillant dans les stations le temps des périodes touristiques.

Relation clients et management des équipes

Le plus étonnant dans ce film reste la représentation du management et de la relation avec la clientèle, montrant de fait combien ces questions se posent déjà dans une France en pleine crise économique et devant repenser son modèle économique en s’adaptant.

La relation clientèle est montrée à différents moments dans l’écoute des professionnels à l’égard des clients. C’est par exemple la réceptionniste de l’hôtel qui doit faire face à la demande de chambre double de Jean-Claude. Ce sont les conseils donnés par le professeur de ski à ce même Jean-Claude pour qu’il améliore sa technique de ski et son fameux « planté de bâton ». C’est enfin Popeye qui conseille ses clients pour l’achat de matériel de ski, notamment des chaussures pour Nathalie.

Mais le film montre que cette relation positive avec la clientèle ne semble pas toujours aller de soi. Ainsi Gigi s’agace face à un client demandant une crèpe au sucre non présente sur la carte de son restaurant. Si la situation fait rire et l’exigence du client (Bruno Moynot) paraît exagérée, la réponse violente de Gigi et de son cuisinier témoigne de l’incapacité d’un commerçant à répondre à une demande simple d’un client aux arguments pourtant limpides : « vous avez de la pâte, vous avez du sucre… » Dans le même couple, le médecin Jérôme doit faire face à des clients peu ordinaires amenant leur cochon malade. Dans une colère semblable à celle de Gigi, Jérôme refuse de servir son client, rappelant qu’il est médecin et pas vétérinaire. Mais cela montre aussi qu’il a su un jour s’adapter vis-à-vis de personnes n’ayant manifestement pas de vétérinaires à proximité. Or cette adaptation entraîne chez ses clients une habitude. Ce qu’il a fait une fois, pourquoi ne le referait-il pas ? Quant aux activités de sport d'hiver, le service client laisse à désirer. Quand Jean-Claude Dusse prend son télésiège, il ne le prend pas en douce ou hors délai. Or l'employé des remontées mécaniques interrompt leur fonctionnement alors que Jean-Claude se trouve au milieu du trajet. Certes cela permet un gag devenu célèbre où il attend la nuit pour se laisser tomber dans la neige. Mais cela montre un service défaillant et peu précautionneux de ses clients. Il est évident que cela entrainerait aujourd'hui une poursuite en justice! 

Mais Les bronzés font du ski montre aussi les rapports entre patron et employé. Et c’est avec le personnage de Popeye que les situations sont déclinées. D’abord dans le magasin dans lequel il travaille. Employé par son ex-femme et son ex-beau-frère, il est régulièrement raillé et dénoncé devant les clients. Le malaise généré est montré par les postures prises par les clients, Bernard et Nathalie et les explications que Popeye trouve pour justifier les propos à son encontre. Or il apparaît manifeste pour le spectateur que le patron n’a pas le bon comportement, réglant un problème avec un employé devant des clients. Certes ceux-ci sont des amis de Popeye, mais ils peuvent être aussi des prescripteurs du commerce. Cette attitude managériale est évidemment moquée dans le film et influe sur la relation client puisque le patron refuse une remise aux clients s’étant pourtant largement équipés. Popeye est encore au cœur d’une relation patron-employé quand il se fait renvoyer par le mari d’une de ses clientes, de fait son employeur. Le spectateur identifie évidemment le licenciement pour faute lourde puisqu’on comprend que Popeye n’a pas seulement donné des leçons de ski. Si la séquence est drôlement filmée et interprétée, elle montre aussi la violence qui peut exister dans les relations employeurs et employés.

Enfin, Popeye est aussi montré comme un manager de projet quand il guide ses amis dans la sortie hors-piste qu’il organise. Tel en entreprise, il doit amener son équipe d’un point A à un point B en les aidant et en faisant valoir ses qualités d’expert. Or il s’avère que ses compétences ne sont pas à la hauteur créant une situation de désagrégation du groupe, chacun remettant en cause violemment, verbalement ou physiquement, l’autorité du chef d’équipe. Que ce soit face à une concurrence – des Italiens accaparent la meilleure partie d’un refuge – ou que ce soit dans la connaissance du terrain – Popeye se trompe pour rejoindre la station de ski.

De fait, Popeye ressemble à ces managers qui s’appuient sur leur charisme mais dont les compétences pour diriger une équipe sont vite remises en cause. En revanche, il apparaît meilleur dans l’action pure plutôt que dans la décision, mettant ses qualités individuelles au service du groupe perdu. De fait, ces qualités sont importantes dans une équipe et c’est finalement Jérôme qui va reprendre le management du groupe, se servant des compétences de Popeye, sélectionnant ceux pouvant mener l’action de secours à bien et veillant à l’efficacité de celle-ci. Jérôme, loin de son attitude suffisante et prétentieuse observable dans tout le film a réussi à montrer ses qualités de leader tout en ménageant son ami Popeye pour conserver ses réelles qualités.

 

Ainsi, cette comédie culte développe tout un discours autour de l’économie. Elle identifie un secteur d’activité, le tourisme d’hiver, et l’inscrit dans un propos plus large en intégrant ceux qui participent globalement à l’économie : les clients, les employés et les patrons. Hormis les services publics des trains, montrés cependant comme un service commercial comme un autre, le grand acteur économique absent de ce film reste donc la puissance publique. Jamais celui-ci n’intervient. Nous sommes clairement dans un film libéral dans lequel les enjeux économiques ne sont pas encadrés par  les collectivités territoriales ou les aides de l’État, pourtant présentes pour le développement de ces stations. Si ce film devait être tourné après la pandémie, pas sûr que l’État puisse être autant absent et que les relations clientèles soient montrées ainsi !

À très bientôt

Lionel Lacour

mardi 19 janvier 2021

Le corniaud ou le temps de la France heureuse

 

Bonjour à tous

En 1965, Gérard Oury, jeune réalisateur, mettait en scène Bourvil et Louis de Funès dans un film qui allait créer un des duos comiques préférés des Français et qui allait triompher un an après dans La grande vadrouille. Ce n’est pas la première fois que les deux comédiens partagent l’affiche. Il s’était affronté en 1956 dans le film de Claude Autant-Lara La traversée de Paris. Mais de Funès n’y tenait qu’un rôle secondaire quand Bourvil partageait la vedette avec Jean Gabin. Ainsi est-ce la première fois que les deux acteurs comiques partagent l’affiche tout au long du film, de Funès réussissant à s’imposer à égalité avec Bourvil après le succès du Gendarme de Saint-Tropez et de Fantômas en 1964. Ainsi, Le corniaud partait avec tous les atouts pour réussir sa carrière sur grand écran. Mais celui-ci s’appuyait aussi sur un scénario qui transpirait la France du cœur des Trente glorieuses et du gaullisme triomphant !

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Sorti le 24 mars 1965, le film ouvre sur une promesse, celle de vacances. Et il faut dire que la promesse est belle ! Antoine Maréchal (Bourvil) part pour l’Italie. Et en effet, le film va se transformer en road movie allant de l’Italie jusqu’à la France grâce aux semaines de congés payés, les Français ayant droit à 3 semaines depuis 1956 et même 4 semaines au mois de mai 1956, soit quelques semaines après la sortie du film ! Le film s’ouvre cependant sur une séquence amusante ou Maréchal remplit sa voiture de bagages. La concierge lui demande s’il va aller à Carcassonne comme chaque année. En répondant qu’il allait en Italie, il signifie qu’il prend un risque, celui de rompre avec ses habitudes. Le risque est à l’écran autant que dans les dialogues. Rejoindre l’Italie en partant de Paris en 2CV était en effet une aventure tant le confort du véhicule peut sembler spartiate, même en 1965.  Et la robustesse tout aussi douteuse comme la séquence mythique entre Saroyan (de Funès) et Maréchal en atteste ! Mais cela montre surtout la démocratisation de ce tourisme lointain, facilité par l'accès aux voitures pour tous avec des modèles produits à la chaîne avec des prestations minimales, certes mais permettant aux moins fortunés de posséder un véhicule. Le tourisme est également facilité par l'amélioration des voiries et par la création d’autoroutes permettant de rejoindre rapidement les territoires méridionaux.

Ce tourisme démocratisé s’observe d’ailleurs aussi par d’autres aspects dans le film. Tout d’abord en termes de transport. Maréchal voyage en voiture – plus en 2CV mais désormais en Cadillac – mais d’autres pratiquent l’autostop. Plus risqué mais ne coûtant rien aux voyageurs les plus jeunes. Et si les personnages du film dorment régulièrement à l’hôtel, une séquence les montre dormir dans un camping dans lequel se retrouvent ceux venus profiter à bas prix de l’Italie. Or si cette forme de tourisme est bon marché, c’est pour des raisons objectives. Tout comme la 2CV, les économies se font sur le dos du confort. 

Et Oury de montrer la promiscuité dans les tentes, le manque d’intimité entre les vacanciers pouvant se parler d’une tente à l’autre. Mais c’est surtout au moment de la douche que la démocratisation touristique se paye ici, avec l’existence de douches collectives remisant la pudeur aux oubliettes !

La France du Corniaud, c’est aussi la France du progrès et du rêve américain permis par la Libération et le Plan Marshall. La Cadillac tout d’abord. Le modèle DeVille convertible de 1964 fait rêver les Français. En 1961, Robert Dhéry tournait d’ailleurs La belle américaine et la même année, dans Le cave se rebiffe de Gilles Grangier, le personnage d’Eric Masson tenait un garage de voitures américaines et subjuguait le personnage interprété par Martine Carol. En 1968, Grangier récidivait avec L’homme à la Buick avec Fernandel. Sans compter la passion de Jean-Pierre Melville pour l’Amérique qui se retrouvait dans chacun de ses films comme dans Le Doulos en1962 ou dans L’aîné des Ferchaux en 1963. Ce mythe américain fait tourner les têtes et assoit le statut social de ceux qui possède ce genre de voiture ! Que représente d’ailleurs cette voiture américaine ? Le luxe évidemment. La puissance des grosses automobiles surdimensionnées. Celle des vainqueurs de la guerre. Mais aussi souvent les gadgets et équipements comme par exemple la présence du téléphone dans la voiture permettant à Maréchal d’être en contact avec Saroyan. 

Chose banale aujourd’hui puisque nos sociétés contemporaines sont synonymes de mobilité des communications. Si la technologie existait depuis la fin des années 1940 aux USA, elle est évidemment quasi impossible en 1965 et extrêmement limitée. Peu importe, cela permet à la fois de créer un gag – Saroyan parlant au téléphone à quelques mètres de Maréchal – mais témoigne aussi de ce rêve américain dont on pressent qu’il est finalement accessible, tout comme le sont les fameuses cigarettes « américaines » ! C’est enfin le film en tant que tel. Car Le corniaud est un pastiche des films de gangsters dans lesquels se retrouvaient Humphrey Bogart ou James Cagney. Le récit renvoie à la mafia, aux trafics en tous genres, de la drogue en passant par l'or et les pierres précieuses aux dépens d’un "corniaud" utilisé par le syndicat du crime. Le film d’Oury renvoie à cet imaginaire culturel qui a inondé les écrans français après 1945 et qui a enchanté tant de cinéastes français, à commencer par Melville.

Pourtant, derrière cette France de la croissance économique favorisant le tourisme et idéalisant le modèle américain même dans ses travers, Le corniaud témoigne aussi des identités des pays européens. Italienne d'abord avec son mode de vie, sa musique avec l'utilisation de la Tarentelle de Rossini dans une séquence hilarante mais aussi les traditions familiales et l'amour à l'italienne! Entre l'Italie et la France, ce sont donc deux cultures différentes, séparées par une frontière certes tournée en dérision mais qui est pourtant bien présente et accompagnée de douaniers vérifiant le passage de ceux venant du pays voisin. Pas d’Union européenne ni d’espace Schengen en 1965. Juste la CEE dont la France et l’Italie font partie depuis 1957. Il ne s’agit bien que d’une communauté économique. L’identité française passe dans le film notamment par le fait que, bien que parisien, Maréchal soit originaire de province. De Carcassonne plus précisément. 

Et le film nous emmène dans cette cité médiévale qui sent bon les patrimoines historique et gastronomique, dont s’enorgueillissent les Français. Que ce soit celui restauré au XIXe s. par des architectes comme Viollet-le-Duc ou mis en valeur par les grands chefs des restaurants étoilés. Pittoresque aujourd’hui, les gendarmes qui aident Maréchal face aux mafieux italiens correspondent aussi à une réalité des années 1960, celle dont de Funès fut lui-même l’incarnation. Identifiables à leur tenue à connotation militaire mais également au recrutement local, tous ont l’accent de la région, justifiant des solidarités entre les forces de l’ordre et les habitants puisque tous se connaissent. Une sorte de police de proximité avant l’heure en quelque sorte. Et là encore, un élément de l'identité française. Loin des banlieues naissantes créant des cités où l’on se perd et qui constituent de vrais dédales, la séquence à Carcassonne regarde vers la France traditionnelle, celle sur laquelle s’est construite la France moderne des Trente glorieuses.

Ainsi, avec ce Corniaud, Oury signe un film qui va installer le genre de la comédie comme le genre qui attirera désormais les foules au cinéma, repoussant les grands drames loin derrière. Après ce film, Oury poursuivra  jusqu’à Rabbi Jacob en 1973, dernier de ses grands films à succès et fin de cette période de croissance économique insolente qu’a connue la France depuis l’après-guerre. Revoir Maréchal et Saroyan rend forcément nostalgique. Cela renvoie aux comédies légères d’antan portées par des comédiens rares et complémentaires. Mais cela renvoie aussi à une période où se côtoyaient une identité française autour de sa culture et l’espoir dans la modernité synonyme de prospérité. Un film positif, tout comme l’éclat de rire final entre le trafiquant et le simple citoyen.