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mercredi 10 février 2021

"L’emmerdeur" et l’apogée des trente glorieuses


Bonjour à tous. 
Quand Edouard Molinaro réalise L’emmerdeur en 1973, il associe ces deux monstres sacrés après le succès de L’aventure c’est l’aventure un an auparavant. L’un est devenu un champion du box office dans des comédies de Lautner tout en alternant avec des films d’action et dramatiques. Le second a été le maître de la chanson française et s’est lancé dans une carrière cinématographique en tant qu’acteur mais aussi réalisateur. Le scénario de Francis Veber constitue ce qui allait devenir sa marque de fabrique en faisant s’affronter deux personnages aux personnalités opposées, l’un étant pénible et l’autre une forte personnalité. Le film fonctionne d’autant mieux que Ventura joue le rôle de Ralph Milan avec autant de sérieux que Brel joue François Pignon avec fantaisie. Ce duo mal assorti est écrit dans une période particulièrement bénéfique pour le pays et tout le film va illustrer cela avec tous les rêves que trente ans de croissance économique ont permis aux Français

BANDE ANNONCE



Le monde des VRP

Avec François Pignon, c’est le monde de la France qui travaille telle que les années d’après-guerre l’ont développé. Des activités industrielles, ici le textile, envoient leurs représentants de commerce vendre les collections dans les magasins. L’ère de la voiture bat son plein, nous y reviendrons, et les Voyageurs Représentants Placiers, les fameux VRP, l’utilise pour sillonner tout le pays.

Là est l’ingéniosité de Francis Veber, le scénariste. S’ils sont de caractères différents, si leurs missions ne sont pas les mêmes, leurs professions recouvrent en fait les mêmes caractéristiques

Ainsi François Pignon est un VRP qui vend des chemises. Il a son stock avec lui et propose même à Monsieur Milan de lui en offrir une en vérifiant s’il en a à sa taille. En bon VRP, il connaître son produit, les gammes, identifie le modèle qui lui siéra. Milan est également en quelque sorte un VRP. Il doit honorer un contrat, identifier son client, adapter son matériel à lui… puis l’éliminer. Milan est un tueur à gage.

Ces deux VRP ont le même fonctionnement. Leurs activités nécessitent de trouver du confort sur les trajets qui les amènent à leurs clients. Les hôtels bien sûr, comme celui où Pignon et Milan se retrouvent, mais aussi les stations essences proposant de la restauration rapide afin de pouvoir reprendre la route. C’est ainsi que Milan se retrouve dans un de ces snacks-station essence pour prendre un café, bloquant un chauffeur-routier avec son véhicule. Par cette séquence, c’est tout un symbole de l’activité des flux économiques que Molinaro met en scène. Les stations essences pour remplir les réservoirs des automobiles sont des lieux de convergences des différents professionnels sillonnant les routes.

Un pays libéral

Autour d’une simple séquence, le film montre combien la France est passée des restrictions d’après-guerre à une société de consommation. Ainsi, alors que Pignon conduit Milan en voiture, celui-là réalise qu’il n’a plus d’essence. Pourtant, il va passer devant plusieurs stations sans s’arrêter. Milan lui demande de s’arrêter mais Pignon refuse car il ne prend que de la Fina. Derrière cette bêtise sans nom se cache une logique. Pignon fait la collection des santons en plastique pour son petit neveu et ceux-ci se trouvent donc dans les stations Fina.

En quelques secondes, le film entre en connivence avec les spectateurs. Sans rien leur expliquer puisqu’ils savent déjà. On ne reconnaît que ce qu’on connaît. Ainsi, la multiplication des marques de distributeurs d’essence montre que l’économie française est concurrentielle, une des caractéristiques des économies libérales. Cette concurrence joue donc sur une guerre des prix – ceux-ci sont affichés à l’extérieur de la station et visibles de la route – par une identification aux marques par leurs logos, et par des pratiques commerciales de fidélisation de la clientèle. Ici, des cadeaux offerts aux clients pour tout plein d’essence effectué. Cette stratégie de fidélisation peut paraître archaïque mais elle est encore pratiquée aujourd’hui par les entreprises de tous les secteurs, y compris dans le numérique !

L’objet de la fidélisation est également intéressant puisqu’il s’agit de santons en plastiques. Cela montre d’abord une industrialisation de produits qui autrefois étaient des objets en terre cuite ou céramique. Comme l’essence, ils sont fabriqués à partir de produits pétroliers importés. Le pétrole est donc transformé par les raffineries pour en faire du carburant ou dans des usines de plasturgie pour en faire du plastique que des usines mouleront pour les transformer ici en santons. Cette production de masse réduit les coûts unitaires et démocratisent des objets qui étaient souvent conservés précieusement et transmis de génération en génération.

Cette fidélisation montre enfin que la France reste encore, en 1973 du moins, un pays foncièrement chrétien. Mais il s’agit d’un christianisme culturel où les objets religieux se vendent ou se gagnent dans des commerces sans aucun lien avec le culte. La crèche que réalise le neveu de Pignon a peu de chance d’être conservée. Il ne la fait que parce qu’elle est devenue objet de consommation et non de piété. Ces santons en plastique montrent également le peu de valeur conférés par ceux qui les collectionnent. Par une dévaluation des valeurs chrétiennes et de ses symboles, devenus objets de marketing !

Une France de la promotion soc iale

Enfin, le film met en avant ce qui caractérise les Trente glorieuses. Certes la femme de Pignon (Caroline Cellier) le quitte pour un notable neurologue (Jean-Pierre Darras) ce qui ressemble quand même à une ascension sociale plus classique par mariage. Mais l’idéal de Pignon est bien de pouvoir offrir à sa femme un pavillon individuel, symbole de la réussite sociale pour ceux qui n’étaient que des employés et à qui la croissance économique a permis d’accéder au statut de propriétaire. Cette ascension sociale se caractérise donc par des signes extérieurs de richesse qui passent par la voiture mais aussi par la maison.

Cette promotion sociale est aussi celle que permet l’école. Pignon veut des enfants pour qu’ils occupent un métier plus prestigieux que le sien, un avocat ou un pharmacien. Il y a cette idée que chaque génération peut progresser par rapport à la précédente. Loin des stéréotypes des décennies précédentes dans lesquelles les fils poursuivent le métier de leur père, Pignon n’envisage donc pas que son fils soit lui aussi un VRP. Cela est dû au fait qu’il n’est certainement qu’un employé. Il n’est pas artisan et n’a donc pas de succession patrimoniale en lien avec son métier à transmettre. IL est d’ailleurs curieux que les métiers qu’il cite soient à la fois des métiers intellectuels plutôt prestigieux mais également des professions libérales, donc indépendantes. Cette période ne fait donc pas la part belle aux métiers manuels mais au contraire aux métiers intellectuels à forte valeur ajoutée. Ceci s’explique entre autre encore une fois par la substitution des productions artisanales par la production industrielle qui démocratisent les produits, concurrencent les artisans et où les travailleurs se trouvent au bas de l’échelle sociale.

 

Avec L’emmerdeur, c’est une sorte d’instantané des derniers instants d’une confiance absolue des classes moyennes dans la prospérité. Cette même année allait éclater la première crise pétrolière qui allait secouer toutes les certitudes du film. L’industrialisation connaîtra un déclin du fait du renchérissement de l’énergie pétrolière, le chômage gagnera et rendra aux artisans leur prestige progressivement et l’école cessera également d’être cet ascenseur social dont se glorifiait les gouvernements successifs.

À très bientôt

Lionel Lacour

lundi 22 octobre 2018

Lumière 2018: Netflix et le cinéma de demain

Bonjour à tous,

les deux derniers Festivals de Cannes avaient été l'occasion d'un débat enflammé entre les amoureux des projections des films sur grand écran et ceux qui ne voyaient l'avenir de la production audiovisuelle de moins en moins en salle, de plus en plus sur des écrans personnels. Et de fait, les productions des films par des plateformes audiovisuelles étaient rejetées de la programmation par les premiers tandis que les seconds dénonçaient une forme d'ostracisme anachronique. Or, en septembre 2018, voilà qu'Alfonso Cuarón recevait le Lion d'or au Festival de Venise pour son film Roma produit par Netflix, qui n'avait pas été sélectionné justement à Cannes. De quoi raviver le débat et mettre un peu plus les choix de Cannes sur la sellette.

Pourtant, un mois plus tard, du 13 au 21 octobre, ce même Alfonso Cuarón est l'un des invités principaux de la 10ème édition du Festival Lumière à Lyon, dirigé par Thierry Frémaux, celui-là même qui dirige le Festival de Cannes. Et les spectateurs lyonnais ont pu alors découvrir en avant-première le film de Cuarón lauréat de Venise. Tout ceci pourrait paraître étrange, une sorte de reculade ou de retournement de veste. Or à bien y regarder, la programmation de Roma s'insère dans une programmation beaucoup plus subtile qu'il n'y paraît, avec un enjeu à plusieurs volets.

Tout d'abord, Roma n'était pas le seul film de Cuarón à l'affiche du Festival Lumière qui est un événement faisant la promotion du cinéma classique international. Ainsi, c'est une rétrospective de la filmographie du réalisateur mexicain qui a été proposée aux festivaliers, avec notamment Gravity ou Y tu mamá también, ainsi qu'une Master Class lui étant consacrée. Roma apparaît donc non pas comme une continuité de canal de diffusion des films de Cuarón sur une plateforme audiovisuelle numérique mais plutôt comme une évolution d'exploitation mais aussi de production d'une œuvre filmique chez le cinéaste. J'y reviendrai plus tard.

Ensuite, Roma ne fut pas le seul film produit par Netflix a bénéficié de la programmation du Festival Lumière. En effet, le film The other side of the wind, inachevé par Orson Welles, a été finalement produit par Netflix qui en a financé le montage définitif et la promotion. Ce à quoi a été rajouté la production d'un documentaire au sujet de l'histoire de ce film et intitulé They'll love me when I'm dead réalisé par Morgan Neville en 2018. Or ces deux films, celui de Welles comme le documentaire, ont été projeté dans des salles combles.

Ce qui se passe en temps réel et sous nos yeux est donc une sorte d'accélération du temps, faisant de Netflix un acteur désormais obligatoire de la production cinématographique, obligatoire et même nécessaire. Le plus drôle vient alors du fait que Netflix ait été conspué à Cannes par des contempteurs qui poussaient le directeur du Festival à ne pas sélectionné un film Netflix puisque son exploitation aurait eu lieu hors salle. Et cet argument est entendable pour qui aime l'expérience cinéma, c'est-à-dire en salle, l'essence même du cinéma depuis ses origines. Mais si Cannes, Festival de films inédits, a repoussé Netflix, c'est à Lyon et au Festival Lumière que la puissante plateforme a projeté ses programmes sur des grands écrans, sans être critiquée ou huée par quiconque. Quel paradoxe que de voir la mutation numérique trouver une sorte de reconnaissance, ou au moins une acceptation, dans un festival de films du patrimoine!

Ainsi, voici Netflix vilipendé à Cannes, récompensé à Venise et adoubé à Lyon. La réalité est que la venue sur la scène de la production cinématographique de Netflix, mais aussi des autres entreprises du secteur numérique, correspond non pas à l'éviction du modèle traditionnel mais à une mutation avec laquelle le cinéma devra faire avec, au risque de bouleverser un équilibre toujours mouvant reposant sur la chronologie des médias. En produisant ses propres films, avec des cinéastes de renommée internationale, Netflix contourne les limites lui interdisant de programmer des films récents avant un certain temps, celui de l'exploitation en salle, puis en DVD/BluRay/VOD, puis sur les chaînes payantes, puis gratuites. Ainsi, Netflix se crée son propre catalogue d'exclusivité filmique, en plus de celui qu'il s'est constitué avec les films du patrimoine, ce qui correspond d'ailleurs à ce qui était le cœur de métier de la plateforme quand elle n'était qu'un loueur de VHS/DVD!

Netflix entraîne avec lui des concurrents mais aussi et surtout des spectateurs de plus en plus nombreux qui consomment des films et des séries sur tablette ou pc. En intégrant des films produits par Netflix au Festival Lumière, Thierry Frémaux entérine de fait une situation qui s'impose dans le milieu du cinéma: Netflix a besoin de contenus audiovisuels pour satisfaire la demande de ses abonnés. Ces contenus passent par des films classiques mais aussi par des nouveautés et des exclusivités. Si on peut comprendre que ce modèle puisse être répulsif pour les anciens acteurs de la production cinématographique comme pour les puristes de la salle, il serait vain de le rejeter définitivement car le sens de l'Histoire du cinéma passe non par la suppression de la salle mais par l'acceptation qu'il puisse y avoir plusieurs modes d'apprécier ou de voir des œuvres cinématographiques. Certains continueront à ne voir les films qu'en salle, d'autres préféreront les voir confortablement (ou pas) chez eux, d'autres encore auront une attitude hybride, regardant des films en salle ou par leur abonnement.

Ainsi, l'arrivée de Netflix sur le secteur de la production cinématographique ressemble furieusement à ce qui était arrivé avec l'avènement de la télévision dans les années 1950: la crainte de la baisse de la fréquentation des salles et des réponses techniques (le cinémascope par exemple) pour la maintenir. Depuis bien longtemps, les chaînes de télévision co-produisent ou financent les films de cinéma pour bénéficier d'une première exploitation face aux chaînes concurrentes. Parfois même elles financent leurs propres programmes de prestige, comme par exemple Canal Plus avec par exemple Le bureau des légendes dont la 4ème saison débute aujourd'hui. Netflix se cale sur le même modèle. À ceci près que ce modèle s'inscrit à la fois dans la technologie numérique et dans une logique transnationale. Netflix fait donc peur par le caractère hégémonique qu'il peut incarner, représentant comme d'autres grandes entreprises une sorte de symbole de la mondialisation écrasant toute forme d'originalité culturelle.

Vouloir empêcher voire interdire Netflix comme partenaire du cinéma est strictement suicidaire car il dispose des moyens financiers pour attirer à lui les plus grands cinéastes. Mais si les chaînes de télévision qui pouvaient menacer le cinéma pouvaient être contrôlées à l'échelle nationale, la réponse à apporter pour intégrer Netflix dans une chaîne vertueuse de production et d'exploitation des films passe par une réflexion à échelle internationale et sûrement par une redéfinition de la chronologie des médias. Le chantier est donc à la fois ouvert, formidable, terriblement compliqué mais fatalement nécessaire pour que les partenaires historiques de la production de films continuent d'exister et d'apporter leurs spécificités aux spectateurs cinéphiles. Si le Festival Lumière a pu permettre de comprendre cette nécessité, c'est déjà un pas en avant non négligeable.

À très bientôt
Lionel Lacour

mardi 3 janvier 2017

Les festivals Cinésium: Repenser le modèle économique des festivals de cinéma

Bonjour à tous

chaque année, des centaines de festivals de cinéma sont organisés rien que pour la France. Si les plus célèbres font la "Une" des journaux et des médias audiovisuels, les autres ne sont au mieux couverts que par les journaux locaux, relégués en page culture avec une très faible visibilité.
Ces festivals sont souvent fragiles, parce que leurs financements sont faibles, avec quelques partenaires privés locaux et surtout des subventions publiques, mais surtout une très forte mobilisation des bénévoles des associations organisatrices.
Le financement est donc le point essentiel pour

mardi 15 mars 2016

Quelle place a l'économie dans "Star wars"?

Bonjour à tous,

Cela fait donc maintenant 7 fois que nous vivons des aventures qui se passent dans une galaxie bien lointaine, et qui s'étalent sur environ un demi siècle. Et sur l'ensemble de ces épisodes, le moins que l'on puisse dire, c'est que l'environnement idéologique et politique est copieusement décrit et défini. Pourtant, les personnages (et donc, par projection, nous, les spectateurs) évoluent dans un monde économique statique qui se caractérise par des critères immuables et jamais véritablement remis en cause par aucun des protagonistes, et encore moins expliqué.

1. Un monde technologiquement très évolué
Ce qui a fait le succès de la saga Star wars, dès le premier épisode, fut l'aspect "science fiction" avec des vaisseaux interstellaires pouvant voler plus vite que la lumière, faisant la taille de villes géantes, voire de satellites naturels (comme l'étoile noire) et pouvant se protéger des tirs de rayons laser de ceux les attaquant. D'autres véhicules, plus individuels, occupent régulièrement l'écran, avec des performances bien supérieures à celles de ceux d'aujourd'hui, et avec comme caractéristique commune de ne pas être en contact avec le sol, permettant de s'affranchir des obstacles, le tout à très vive allure (cf. course poursuite dans Le retour du Jedi ou le championnat de module dans La menace fantôme).
L'autre attraction fut évidemment la présence de robots ayant diverses fonctions et divers langages. Les plus célèbres sont bien sûr C3PO, le robot de protocole de forme androïde et R2D2, dont les missions sont finalement assez diverses mais permettent de guider les véhicules chasseurs, de réparer les ordinateurs ou de les comprendre, en effectuant si besoin des opérations de maintenance d'urgence.
Ce sont enfin les armes qui dans Star wars montrent un degré de technologie très avancée, abandonnant les projectiles classiques (balles de fusil notamment) par des rayons énergétiques destructeurs.
Ce qui pouvait apparaître au premier épisode comme une vraie avance technologique l'est encore à ce jour, à l'exception de la partie communication. En effet, les progrès des télécommunications sur notre bonne vieille Terre ont rattrapé en grande partie ce qui était présenté alors comme un élément d'une modernité extrême.

2. Un monde qui repose sur la maîtrise des sources énergétiques
Aucun des épisodes ne semble montrer le moindre problème pour l'obtention d'énergie pour mouvoir les véhicules ou construire des bâtiments gigantesques. Or il est manifeste que l'énergie consommée dans cette lointaine galaxie est énorme au regard du nombre de véhicules utilisés, et surtout au regard de leur masse qui dépasse, et de loin, les millions de tonnes!
Cette maîtrise énergétique est également nécessaire pour la construction de ces véhicules, constructions métalliques et immobilières qui sont régulièrement à l'écran. Les villes de la "prélogie" sont à cet égard particulièrement gigantesque et proposent un monde urbain d'une densité et d'une hauteur faramineuse, nécessitant une énergie monumentale tant pour les édifier que pour ensuite leur permettre de fonctionner.

3. Un monde régit par du négoce interstellaire
La trilogie originelle faisait peu état d'une économie de négoce. Il faut attendre que Han Solo se rende sur la planète Bespin pour réparer son vaisseau, le faucon millenium, pour que soit abordé un point essentiel de l'empire. Celui-ci est certes un espace politique, mais également économique. Lando, l'ami de Han Solo, lui explique que Bespin se trouve en dehors de l'espace économique sous influence de l'empire, lui permettant de faire du négoce sans la contrainte impériale, chose qui va de fait évoluer au cours de l'épisode, montrant justement l'aspect impérialiste du régime politique que défend Darth Vader. De fait, on comprend que les échanges économiques sont sous contrôle de l'Empire qui tolère - ou pas - que certains soient affranchis des règles, jusqu'à ce que celles-ci s'imposent  à eux, selon un rapport de force évidemment à l'avantage de l'Empire.
Dans La menace fantôme - 1er épisode de la prélogie - c'est une affaire de commerce et de taxes qui est au cœur de l'histoire, la Fédération du commerce refusant notamment de payer des taxes à la planète Naboo et opérant un blocus. Le conflit commercial doit se régler politiquement même si la Fédération a des volontés de conquérir la planète qui lui résiste.

4. Mais une absence du monde industriel...
Ce qui devrait finalement étonner, c'est qu'en 7 épisodes, jamais le monde de l'industrie n'ait véritablement été montré si ce n'est par les conséquences de cette production. Pourtant, on peut dire beaucoup de choses sur celle-ci. D'abord qu'il y a une production en série, ce que prouve R2D2 qui est un robot comme d'autres robots qui fréquentent l'univers Star wars. Dans La menace fantôme, on voit en effet d'autres droïdes presque identiques à celui qui semble être unique.
De même que pour les robots, le nombre de véhicules semblables (les chasseurs "X wings"), l'armement des troopers ainsi que leur tenue nécessitent une production de masse, de série, pour équiper de manière identique chaque combattant, qu'il soit dans un premier temps pour la défense de la République ou plus tard des soldats de l'Empire. Et on ne parle pas des quadripodes dans L'empire contre-attaque, eux aussi forcément construits en série!

Enfin, on imagine combien il a fallu de production sidérurgique ou d'autres métaux pour la construction de ces vaisseaux, satellites et autres monuments gigantesques. La taille des usines et des machines ainsi que la quantité de main-d'œuvre, humaine ou robotisée, doit être absolument invraisemblable pour permettre une telle production, sur un temps si court. Ainsi, les étoiles noires sont construites en quelques mois seulement, ce qui laisse envisager une logistique énorme en terme d'extraction des matières premières, de leur transformation, de leur transport et enfin de leur ajustement.
Or ce monde économique est absolument invisible.

5. ... mais une forte représentation de l'économie parallèle
Au contraire, l'économie interlope, de trafics en tous genres, de récupérations et d'occasion est largement représentée dans tous les épisodes, y compris dans le dernier volet sorti en 2015. Dans cet épisode, l'héroïne récupère sur des épaves de vaisseaux interstellaires des pièces mécaniques ou électroniques qu'elle vend ensuite à un récupérateur.
Dans la trilogie originelle, c'est bien du commerce à la marge qui est montré dans les bars louches que fréquente Han Solo. On comprend d'ailleurs qu'il est un vulgaire trafiquant et qu'il l'est resté par la suite, puisque, toujours dans Le réveil de la Force, il est en conflit avec diverses mafias.
Dans La menace fantôme, Anakin est un esclave et il travaille pour une sorte de receleur exploiteur.
Cette économie de récupération et de ventes d'occasion est en fait présente dès La guerre des étoiles, rebaptisée Un nouvel espoir puisque les deux robots-héros, C3PO et R2D2 sont vendus en lot à l'oncle de Luke Skywalker.
C'est enfin un monde de la bricole où chacun essaie de produire ce qu'il ne peut acheter. Anakin construit C3PO ou son propre module de course. Han Solo pilote un vieux vaisseaux qui nécessite des réparations permanentes, et ce dans tous les épisodes dans lequel il est présent!

6. Et un paradoxe de l'absence du progrès technologique...
Enfin, il faut partir d'un constat assez édifiant et mystérieux: les trilogies s'étalant sur environ un demi siècle, on aurait pu envisager un progrès technologique entre La menace fantôme et Le réveil de la Force. Or, mis à part le nouveau robot BB8, il n'y a aucune trace véritable de progrès technologique quotidien. Pour avoir un élément de comparaison, il suffit de prendre notre civilisation réelle sur la période allant du premier épisode de la saga (1977) au dernier (2015) pour réaliser combien notre environnement technologique a été bouleversé, que ce soit en terme des technologies de l'information et de communication (téléphones portables, smartphone, internet, wifi, écran led, numérique...), de transport (moins spectaculaire a priori mais réelle si on regarde les films des années 1970!), d'armement (hélas), dans la construction...
Au contraire, l'univers de Star wars présente un monde de haute technologie (comparer encore à la nôtre) mais une technologie figée. Les véhicules interstellaires ne sont pas plus performants dans Le réveil de la Force que le Faucon Millenium qui a pourtant plusieurs dizaines d'années. Et les armes ne sont pas plus efficaces non plus.
En fait, une vraie et seule innovation apparaît: l'utilisation de l'énergie du soleil pour détruire les planètes. Mais qui a permis cela? Quel(s) scientifique(s) sont à l'origine de cette découverte? Rien n'est jamais dévoilé. C'est comme si la Recherche et le Développement étaient absents, et que les progrès existaient par principe sans que des individus n'en soient la cause.

7. ... combiné à un espace économique clos
Ce qui fait la force narrative de Star wars est donc de proposer un monde à la fois immense (une galaxie!) et clos à plus d'un titre. Les limites de l'univers sont scientifiquement infinie et les technologies développées dans Star wars devraient permettre de quitter aisément cet empire intergalactique. Pourtant, il n'en est rien. Il est donc à ce titre clos puisqu'il n'y est jamais fait mention d'une émigration, de travail ou de fuite d'un régime dictatorial et liberticide.
Cet espace clos interdit toute concurrence externe, scientifique, technologique ou commerciale, maintenant la galaxie dans une situation figée, celle d'un conte, d'une fable ou d'un récit homérique dont les héros évoluent dans un cadre immuable et dans lequel les aspects économiques ne sont montrés que de manière triviale, marginale et ne sont évoqués que lorsqu'ils permettent de justifier une intervention militaire, une lâcheté individuelle ou une manifestation d'impérialisme.


Ce que montre en fait Star wars au fil des épisodes, c'est le rôle prééminent dans un récit, des idéologies qui s'affrontent, faisant de l'économie un élément secondaire, au service des acteurs défendant leur modèle de société. On imagine combien l'Empire a mis sous tutelle la production industrielle de la galaxie pour servir son dessein hégémonique. En arrive à envisager que la vision économique de la République version George Lucas est une vision plus libérale, plus concurrentielle, moins dirigiste. Mais dans chacun des camps, cette économie est tellement en arrière plan qu'elle en devient invisible à l'écran dans son fonctionnement et au premier plan dans ses conséquences: objets, énergie, communication...
Il ne reste à l'image que les éléments visibles d'une économie entre les individus, des actes interlopes aux achats plus légaux dans des commerces, éléments qui n'ont pas pour objet d'expliquer l'économie mais qui servent à créer une dramaturgie narrative entre les personnages, héros ou seconds couteaux.
Ce que révèle Star wars dans son succès - tout comme L'Iliade et l'Odyssée le faisaient déjà en leur temps - c'est l'importance des idéologies non économiques mais politiques, reposant sur l'équilibre entre les principes de l'autorité, de la sécurité et de la liberté. L'économie n'apparaît alors qu'au service de la défense de ces principes.
Ceci ne peut s'appliquer évidemment que dans un monde clos. Son ouverture à des espaces périphériques bouleverse ces équilibres, crée de la concurrence, provoque des fuites, notamment de main-d'œuvre, qui plus est le plus souvent qualifiée. Dès lors, l'économie devient Économie et supplante les intérêts idéologiques politiques et les valeurs qui y sont associées. On peut s'en réjouir quand l'Économie vient fissurer un régime autoritaire de notre point de vue occidental. On peut le redouter quand ce sont des valeurs démocratiques qui en font les frais.

À bientôt

Lionel Lacour






vendredi 20 juin 2014

2ème Marché du film Classique: pas si classique que ça!

Bonjour à tous,

l'an dernier a été inauguré au Festival Lumière la première édition du Marché du Film Classique (MFC). J'avais à ce propos évoqué tout l'intérêt de ce Marché:

(http://cinesium.blogspot.fr/2013/06/un-marche-du-film-classique-pour-le.html)

La 2ème édition se déroulera donc pendant le 6ème Festival Lumière, du Mercredi 15 au Vendredi 17 octobre 2014. Ce rendez-vous va, à n'en pas douter, devenir un moment incontournable pour parler de l'économie du cinéma patrimonial ou classique. Mais il va surtout être un moment d'échanges entre les différents acteurs de ce marché dans lesquels se trouvent à la fois Majors comme la Warner, indépendants assez puissants comme Wild Side et petits distributeurs relevant presque davantage de la passion de distribuer des films classiques que de celle de l'enrichissement frénétique comme Lost Distribution.

Les conférences et tables rondes organisées lors du MFC, les temps de rencontre entre les professionnels de l'image, de ceux gérant les droits (distributeurs) et ceux voulant projeter ou diffuser les images deviennent d'autant plus important que l'image cinéma devient un enjeu de plus en plus important du fait du développement exponentiel de la puissance des débits internet (fibre, ADSL ou 4G) et des machines traitant les images.

Si posséder un banc de montage numérique coûtait hier un bras aux entreprises, la démocratisation des ordinateurs surpuissants et le développement de logiciels de montage toujours plus performants ont permis aujourd'hui à bon nombre d'entreprises, voire de particuliers, de recourir à des extraits de films pour les utiliser, parfois commercialement, avec toute la facilité que la technologie permet désormais, sans toujours penser aux ayant-droits.
De même, les téléchargements de films sur des sites légaux ou via des plateformes moins scrupuleuses se multiplient, et ce en qualité de plus en plus élevée. Si hier le Divx régnait chez les internautes pirates, la HD n'est désormais plus un obstacle au transfert numérique de fichiers, malgré le volume que peut représenter un long métrage à la qualité Blu Ray.

La pertinence du MFC l'an dernier n'a pas disparu cette année, bien au contraire. L'arrivée sur le marché français de Netflix permettant de voir des films en continu et en ultra HD (!), la stratégie de certains distributeurs de ne plus forcément sortir leurs films en salle, comme ce fut le cas pour Welcome to New York d'Abel Ferrara ont encore accéléré la nécessité de redéfinir l'économie du cinéma. Le plus curieux étant que les affres du cinéma dit classique (consommation pas toujours légale de films sur le net) deviennent de plus en plus ceux des producteurs et distributeurs de films d'actualité: mêmes enjeux, mêmes stratégies à définir.

Ainsi, comme se plaît à le dire Thierry Frémaux, directeur du Festival Lumière, il n'y a pas de "vieux" films comme il n'y a pas de "vieux" Shakespeare. Le développement du numérique a réussi ce tour de force que de donner aux distributeurs des films d'aujourd'hui les mêmes objectifs que ceux des films d'hier:
- maintenir la qualité de la copie
- toucher son public cible
- promouvoir ses films sur tous les supports (en salle ou sur plateforme VOD)
- éviter le piratage

Les enjeux ne sont pas forcément de même ampleur du point de vue économique mais la survie de ces distributeurs dépend d'une même stratégie: défendre ses droits pour toucher ses spectateurs sur des modes légaux de consommation. Si bien que le Marché du Film Classique pourrait finalement vite être rebaptisé le Marché Classique du Film!

À bientôt
Lionel Lacour





dimanche 15 décembre 2013

Elysium ou le recyclage des angoisses du XXème siècle

 Bonjour à tous,

à l'occasion de la sortie d'Elysium en DVD et Blu Ray, il m'a semblé intéressant de revenir sur ce film de Neill Blomkamp à qui on devait déjà District 9 sorti en 2009. Or la première idée qui me soit venue en regardant la première séquence fut celle d'une sorte de "déjà vu".
En effet, la première séquence présente la Terre comme sur-polluée et surpeuplée. Cela ne rappelle donc rien à personne? Le générique de Soleil vert ne disait pas autre chose. Mais Richard Fleisher réalisait ce film en 1973. Blomkamp n'a donc que poussé la date inéluctable à la fin du XXIème siècle et non au début. Cela voudrait-il donc dire que rien n'aurait changé depuis 40 ans? Science fiction ou Anticipation? (cf mon article sur la distinction entre les deux http://cinesium.blogspot.fr/2013/01/anticipation-ou-science-fiction.html)




samedi 13 juillet 2013

Grand Central: au cœur du nucléaire

Bonjour à tous,

mercredi 10 juillet, Grégory Faes de Rhône-Alpes Cinéma proposait à l'UGC Confluences une avant première du film de Rebecca Zlotowski, Grand Central. Projeté déjà au Festival de Cannes dans la sélection "Un autre regard", Thierry Frémaux, directeur de ce festival, était venu lui aussi présenter ce deuxième long métrage de la réalisatrice, Belle épine (2010), déjà avec Léa Seydoux. L'introduction faite permettait d'orienter notre regard sur ce monde des travailleurs des centrales nucléaires, monde qui, comme celui des autres travailleurs de l'industrie, sont de moins en moins présents dans le cinéma français, ce que ne manqua pas de rappeler Thierry Frémaux.
La distribution est particulièrement flatteuse avec Léa Seydoux donc, mais aussi Tahar Rahim, Olivier Gourmet ou encore Denis Ménochet.

samedi 29 juin 2013

Un marché du film classique pour le Festival Lumière: un coup de maître

Bonjour à tous

Le 20 juin, lors de la conférence de presse annonçant la programmation du prochain Festival Lumière, son directeur Thierry Frémaux a donc proposé d'y organiser un marché du film classique. Au regard de son lauréat connu pour sa cinéphilie, Quentin Tarantino, quoi de plus évident alors que la mise en place ce marché pour cette occasion.

jeudi 30 mai 2013

Le Joli Mai: 50 ans après, un choc culturel

Bonjour à tous, 

comme annoncé dans un précédent message, Thierry Frémaux a donc présenté hier soir à l'Institut Lumière le film de Chris Marker et de Pierre Lhomme Le joli mai. Réalisé en 1962 et sorti en 1963, soit il y a juste 50 ans, ce documentaire est une déambulation dans les rues de Paris s'arrêtant sur quelques témoignages saisissants de Parisiens de toutes origines. Le noir et blanc de la photographie de Pierre Lhomme est d'une beauté étourdissante et fait de la ville-lumière à la fois une série de cartes postales attendues mais aussi des portraits magnifiques de simples citoyens comme des découvertes d'un Paris oublié, celui des quartiers de misère, aux rues sales et sombres.

jeudi 2 mai 2013

Ken Loach ou le cinéma du peuple


Bonjour à tous,

en octobre 2012, le Festival Lumière honorait le réalisateur britannique Ken Loach, à un peu plus d'un mois de la désignation du prochain prix Lumière pour la 5ème édition de ce grand festival lyonnais, je vous propose de revenir un peu sur la filmographie de Ken Loach
dans cet assez long article.

mercredi 1 mai 2013

"MARGIN CALL": une leçon de management?


Bonjour à tous,

En 2011, J. C. Chandor écrivait et réalisait Margin Call. L'histoire, très rapidement résumée, est celle d'une entreprise de trading qui aurait pris des risques inconsidérés dans des investissements complexes, dépassant certaines limites de sécurité du fait d'un modèle mathématique erroné. De fait, pour se sortir de cette situation, les dirigeants décident de liquider leurs actifs et autres produits toxiques pour éviter la faillite, entraînant de fait celle de ceux qui leur achèteraient ces produits financiers.

jeudi 10 janvier 2013

Anticipation ou science fiction?

Bonjour à tous,

 Régulièrement sortent des films dits de science-fiction ou d'anticipation. Selon certains, il s'agit en fait du même genre désigné de manière différente puisque tous les deux se passeraient dans le futur et que peu importe jusqu'où irait ce futur. Quand Georges Méliès tourna Le voyage dans la Lune en 1902, il proposait un film que certains désignent comme le premier film de science-fiction tant il paraissait improbable, même si rêvé, que l'Homme puisse se rendre véritablement sur la Lune. En s'y rendant de fait en 1969, le film pourrait apparaître aujourd'hui comme un film d'anticipation dans le sens premier puisque qu'il a bien proposé une réalité qui allait se vérifier dans le futur.De fait, les deux genres envisageraient alors à quoi pourrait ressembler ce futur, l'expression "science-fiction" reposant sur des mutations ou bouleversements scientifiques. Pourtant, beaucoup différencient ces deux genres sans toujours pouvoir expliquer la singularité de chacun. S'il existe une vraie originalité pour l'un comme l'autre, cela n'est pas seulement une question cinématographique au sens propre du terme puisque cette distinction existe de fait dans la littérature. La vraie différence, hormis celle que je vais proposer, relève aussi de l'intention du réalisateur dans sa volonté d'aborder une histoire, avec un supplément à la littérature qui est la construction d'un univers visuel qui ne laisse pas court à l'imaginaire du spectateur. Alors? Deux genres différents? Vraiment?

1. Science fiction face à l'anticipation: une question de science?
A quoi renvoie les termes de science et de fiction dans "science fiction"? Si la science-fiction invente des nouveaux gadgets ou autres produits inexistants à notre présent, il n'y a donc rien de scientifique là dedans. C'est comme imaginer que les hommes puissent voler sur terre parce qu'un scientifique aurait compris comment compenser bio-mécaniquement notre impossibilité à nous élever du sol naturellement. Rien aujourd'hui scientifiquement ne permet de l'imaginer. En revanche, montrer que les hommes volent dans un futur parce que la génétique aurait permis d'introduire des nouveaux éléments allégeant notre squelette et modifiant notre anatomie, ou parce que la cybernétique permettrait des greffes permettant de voler, cela serait en effet le produit de la science, mais celle que l'auteur connaît et dont il envisage un développement concret dans son film, que celui-ci se passe à n'importe quelle époque d'ailleurs. Là se retrouve le terme de "fiction" de science-fiction. Et peu importe que cela soit faisable ou pas. Le spectateur accepterait une réponse scientifique à l'incongruité de voir un homme voler parce qu'il en comprendrait approximativement le principe. Et il importe peu que cela se passe dans le futur. Jurassic park de Steven Spielberg avait comme postulat initial que l'ADN fossile permette de recréer des dinosaures. Ceci est strictement impossible, du moins aujourd'hui. Mais l'idée était envisageable par les spectateurs informés de ce que l'ADN permet et de ce qu'il contient, à savoir le code génétique. Ainsi, les films utilisant les inventions scientifiques se fondent toujours sur une réalité scientifique, certes extrapolée, mais préexistante. La "fiction" relève donc de la mise en scène de la science et de la technologie existante. Sans cette réalité, cela ne devient plus de la science mais du film fantastique, genre dans lequel est donné aux spectateurs des informations invérifiables mais qui doivent être admises pour apprécier l'histoire et, pour revenir à l'homme volant, qu'il faudrait l'accepter en soi et non comme une réalité scientifique. Et pour en finir avec cet exemple, le seul homme volant acceptable en tant que spectateur, c'est Superman. Mais là encore, le spectateur ne l'accepte que parce que justement, ce n'est pas un homme et qu'il vient d'une autre planète. Rien de scientifique en soi puisque aucune civilisation extraterrestre n'a été découverte. Mais la probabilité de l' existence dans d'autres galaxies d'une vie semblable à la Terre ne fait qu'augmenter au fur et à mesure des découvertes des astro-physiciens. Et cela renforce paradoxalement la crédibilité de l'existence de Superman! Pour en revenir donc à la science, ce n'est pas elle qui va différencier les films d'anticipation ou de science fiction puisque les éléments scientifiques des films de science-fiction ne sont jamais qu'une anticipation de ce qu'ils permettraient de créer.

2. Science fiction face à l'anticipation: une question de temps filmé?
À quelle époque un film de science-fiction est-il censé se dérouler? Dans le présent? Dans le futur? Dans le passé? Retour sur Jurassic Park. L'action est contemporaine à celle des spectateurs. Rien dans le film n'indique d'ailleurs une autre période. Tous les éléments technologiques présentés dans le film existent, des véhicules aux matériels de laboratoire. Spielberg joue alors sur toutes les échelles temps, évoquant un passé révolu, le temps des dinosaures étudié par des paléonthologues du présent des spectateurs et "ressuscités" par un scientifique se projetant dans le futur. Ces trois temporalités se superposent dans l'île accueillant les dinosaures. Quel statut alors donner à ce film? Film de science-fiction puisqu'il s'agit bien d'une application supposée d'une technologie issue des découvertes scientifiques? Film d'anticipation puisque justement est envisagé ce qui pourrait avoir lieu dans l'avenir, même si Spielberg situe l'action de son film au présent de ses spectateurs de 1993. Dans ce cas précis, la différence entre les deux genres est bien difficile à faire. D'autant que le réalisateur rajoute de fait d'autres genres à son film par l'évolution de son scénario, transformant son film en film d'horreur!
Dans Retour vers le futur et ses suites, Robert Zemeckis proposait de 1985 à 1990 une logique inverse de celle de Spielberg en éclatant justement les unités de temps, permettant aux héros du films de voyager dans le temps et de modifier le cours de l'histoire des personnages, voire de l'Histoire tout court! Le film relève bien de la science-fiction puisqu'il part de principes scientifiques de l'existence d'une dimension temporelle à l'intérieur de laquelle il serait possible de voyager. Je passe sur les moyens utilisés par Doc pour le faire mais qui, bien que farfelus, s'appuient sur une démonstration qui se veut scientifique! Mais pour autant, le film évoque de nombreuses anticipations sur ce que sera le futur. Ainsi, quand Marty Mc Fly interprété par Michael J. Fox, projeté dans les années 1950 à l'époque où ses parents se sont connus, entame un solo de guitare électrique à la fête du lycée de son père, il stupéfie l'assistance par la dissonance et la violence de son interprétation. Il ne fait pourtant qu'anticiper ce qui va se passer quelques années plus tard pour les contemporains de 1955, ce qu'il affirme d'ailleurs en s'adressant au public: "vos enfants vont adorer!" Dans le troisième volet, Marty et Doc vont dans le futur et le premier va involontairement provoquer une modification du cours de l'Histoire, faisant des USA un monde voué à l'anarchie et dominé par un être richissime sans aucune morale. Le spectateur peut y voir une certaine appréhension du futur si rien n'est fait pour empêcher que les plus riches dirigent le monde sans contre pouvoir. Dans ce cas précis, ce n'est pas la science qui directement transforme le monde. Elle n'aura été qu'un catalyseur puisque c'est Marty qui, par ses voyages dans le temps, a interféré le cours de l'Histoire. Mais, en enlevant la cause (pseudo)scientifique, ce qui est présenté aux spectateurs est un bouleversement crédible et à la fois effrayant. La réponse de Marty et de Doc apparaît comme en fait double: celle liée au film dans lequel les personnages veulent corriger l'erreur commise; et celle proposée aux spectateurs qui sont censés comprendre que sans vigilance démocratique de leur part, la destinée de leur pays pourrait être prise en main par des puissants et immoraux capitalistes sans scrupules.


LA tempête electromagnétique et transtemporelle
de Nimitz, retour vers l'enfer
Dans Nimitz, retour vers l'enfer de Don Taylor en 1980, l'action plonge un Porte-avion nucléaire américain de 1980 vers le passé, le 7 décembre 1941 par une tempête électromagnétique qui aurait bouleversé le continuum temps. Il ne peut s'agir en aucun cas d'un film d'anticipation pour les spectateurs puisqu'il n'est pas annoncé ce qui arrivera après 1980. L'anticipation peut au mieux être pour les Américains de 1941 qui voient sous leurs yeux des machines de guerre dotées de technologies qui n'existent pas encore ou qui en sont seulement dans leur phase de développement. Ce qu'ils voient relève donc aussi de la science-fiction. Le spectateur doit accepter lui aussi un fait scientifique supposé, expliqué dans un vocabulaire lui aussi scientifique par différents membres de l'équipage du porte-avions. Ce film, dont la qualité n'est pas le sujet dans cet article, n'est que de la science-fiction bien que l'action n'évoque que le présent et le passé tout en évoquant aussi le futur... mais celui de certains personnages du film, jamais des spectateurs!
Ainsi, dans l'approche de définition par l'époque qui est représentée, il est difficile d'établir ce qui distingue science-fiction de l'anticipation quand il s'agit du futur voire du présent. C'est déjà plus clair quand il s'agit du passé.



3. Science fiction face à l'anticipation: une question de rapport au présent
La dernière différence qui pourrait être faite entre les deux genres serait alors une question de rapport au présent du spectateur qui se retrouve dans les films. Comme je l'ai déjà évoqué dans de nombreux articles, le spectateur, quel que soit le film qui lui est destiné, projette obligatoirement son présent dans les films qu'il voit, quelle que soit la période filmée. Et, paradoxalement, un Français comprendra mieux un film dont l'action est censée se passer dans un système solaire distant de milliers d'années lumière si le film est fait par un Français ou un Américain qu'un film réalisé par un Turkmène racontant le présent de son pays, tout simplement parce que le premier film est réalisé par un metteur en scène s'adressant à des spectateurs de sa civilisation et qu'il insère des codes identifiables par ceux-ci, quand bien même l'action se passerait dans une civilisation extraterrestre extrêmement lointaine. Les codes turkmènes ont en revanche peu de chance d'être compris, surtout s'ils renvoient à une culture historique ou politique du pays.
Une fois admis cela, il suffit désormais de regarder deux exemples de films célèbres classifiés chacun dans un des deux genres. Soleil vert, réalisé par Richard Fleischer en 1973, est identifié habituellement comme un film d'anticipation. Quant à La guerre des étoiles, réalisé par George Lucas en 1977, elle fait partie incontestablement des films dits de science fiction. Ce dernier se passe à une époque et un lieu absolument pas en lien avec notre temps et notre espace. L'aspect scientifique est largement présent dans toutes ses dimensions: androïdes, intelligence artificielle, moteurs permettant d'atteindre la vitesse de la lumière, énergie utilisée en rapport, véhicules étranges mais aussi développement des forces mentales, sabres laser et autres inventions à partir de matériaux ou produits plus ou moins imaginaires. L'aspect extra-terrestre permet des fantaisies dans le bestiaire et pourtant, beaucoup de ressemblance avec notre monde, y compris et surtout dans les relations entre les individus, de races (on peut parler ici de races) ou de sexe différents, et dans les rapports de pouvoir. De tels récits confèrent à ces films un statut de parabole sur le présent et n'envisagent en fait pas que notre monde se transforme ainsi. Loin d'imaginer que le futur pourrait être comme dans La guerre des étoiles, le spectateur reconnaît assurément son présent dans le film, par principe d'analogie, de "projection-identification" comme l'écrirait Edgar Morin dans Le cinéma ou l'homme imaginaire (1956). Et chacun est libre de reconnaître dans Darth Vader tel ou tel dictateur. En fait, parler d'un futur nettement différencié du présent du spectateur est comme représenter un passé lointain. Science fiction et film "historiques" ne seraient pas si différents en soi dans l'approche. Et plus le temps montré s'éloigne du présent, dans le passé ou dans le futur, plus il parle du présent.
Soleil vert: Film d'anticipation dont l'aspect "innovation scientifique"
n'allait pas plus loin que des jeux vidéos dépassés
15 ans plus tard alors que l'action se passe au XXIème siècle!
Et c'est sûrement dans ce point que réside la différence avec le film dit d'anticipation. En effet, ce genre de film part justement du présent pour reconnaître dans ce cas un futur proche du spectateur. L'action du film de Richard Fleischer se passe à peine à 60 ans du présent du spectateur de 1973. En prenant une photographie économique, scientifique, sociale et sociétale du monde occidental, il en fait alors une extrapolation en caricaturant ce que chaque problème du présent pourrait donner dans le futur, futur que certains des spectateurs connaîtrait soit directement, soit par ce que leurs enfants le vivront. Cette caricature est alors généralement transposée dans un univers reconnaissable, avec des éléments du présent du spectateur et des modifications technologiques pas aussi remarquables que dans les films de science-fiction. L'univers urbain de Soleil vert est très proche de celui des contemporains de la sortie du film. Peu de technologie d'avant garde, si ce n'est un jeu vidéo novateur pour 1973 mais dépassé depuis les années 1980, ce qui montre bien que l'imagination ne peut envisager la puissance des progrès technologiques. L'anticipation relève en fait de l'évolution des relations entre les groupes sociaux, des conséquences de l'économie capitaliste et des progrès entraînant la sur-consommation. Le film est apocalyptique et accumule les réquisitoires contre les excès de la surproduction sur la vie sur Terre, celle des hommes en particuliers, cette de toutes les espèces vivantes en général. La différence avec le film de science-fiction réside alors dans le fait que le spectateur peut avoir la main sur ce à quoi peut ressembler son futur. Ce n'est absolument pas le cas dans des films comme La guerre des étoiles ou Dune et autres films de science-fiction. En corrigeant le comportement des individus, en agissant sur la surconsommation, l'avenir promis par Fleischer peut ne pas avoir lieu. Le film d'anticipation  a pour volonté de provoquer une prise (crise?) de conscience chez le spectateur, espérant qu'il adhère au message et qu'il agisse ensuite. Rien de tel dans le film de science-fiction.


4. Science-fiction, anticipation ou les deux à la fois?
Pour reprendre les deux exemples précédents, il est assez clair que l'un et l'autre appartiennent chacun à un genre différent. En revanche, certains exemples précédents peuvent correspondre à deux genres en même temps. Ainsi Jurassic Park, outre son caractère horrifique est à la fois de la science-fiction dans l'application des technologies appliquées à des découvertes archéologiques et biologiques, mais aussi de l'anticipation dans ses aspects éthiques sur la manipulation génétique et ses conséquences non maîtrisées. Dans retour vers le futur III, la virée spatio-temporelle dans le futur et la perturbation du continuum historique est bien un mélange de science-fiction, application farfelue de la relativité d'Einstein notamment, et d'anticipation avec le recul de la démocratie au profit d'un potentat lié à l'argent. Et c'est bien Marty, personnage contemporain des spectateurs, qui agit pour rétablir le cours de l'Histoire (et de l'histoire) qui se trouve être celle des mêmes spectateurs.
Certains films peuvent même se transformer en passant d'un genre à l'autre. Dans La planète des singes de Franklin J. Schaffner réalisé en 1968 (voir article sur les différentes versions de La planète des singes: "La planète des singes: le mythe régénéré; Le retour de la planète des singes?) l'ensemble du récit relève de la science-fiction puisque l'action amène des astronautes américains contemporains des spectateurs sur une planète située à des milliers d'année de leur présent, grâce à une technologie aérospatiale que ni la Nasa ni les agences spatiales soviétiques ne maîtrisent encore. Dominée par des singes, l'action relève clairement de la parabole. Et même si les spectateurs peuvent se reconnaître dans le personnage de Taylor, humain interprété par Charlton Heston, en aucun cas ils ne peuvent se sentir impliqué dans la possibilité de changer le destin de la planète en agissant dès 1968! Tout au mieux peuvent-ils se demander ce qu'ils feraient à sa place! Et malgré les éléments d'identification pouvant permettre de trouver un lien entre les humains de la Terre et ceux de cette planète, les spectateur reste plongé dans la certitude d'appartenir à un autre monde. Pourtant, dans la célèbre scène finale du film, le spectateur passe du film de science-fiction à celui d'anticipation en quelques secondes, par un choc à la fois esthétique mais surtout symbolique. Par cette statue de la liberté ensablée, les spectateurs font le lien entre cette planète et la leur puisque c'est la même. Ils comprennent alors que la guerre atomique a détruit leur civilisation, permettant à une civilisation simiesque de dominer une humanité retournée à l'état sauvage. Film d'anticipation donc et surtout parce qu'à ce moment là,  il y a une prise de conscience que pour éviter ce spectacle, l'Homme de 1968 peut agir.

La liste est donc longue de tous ces films qui jonglent avec ces deux genres. Andrew Niccol, que ce soit dans Bienvenue à Gattaca en 1997 ou plus récemment dans Time out en 2011, s'est fait un malin plaisir d'associer les deux. On y retrouve à la fois l'application de technologie extrapolée sur des êtres humains, la génétique associé à la nanno-informatique notamment, à des éléments du présent, voire d'un proche passé des spectateurs. Il est amusant à ce propos de voir des Citroën DS dans ces deux films!




Pour conclure, il est donc évident que la distinction entre les deux genres que sont la science-fiction d'un côté et l'anticipation de l'autre est délicate à faire en ce sens où l'un peut servir l'autre. Mais il y a une réelle différence puisque certains films peuvent être de pure science fiction tandis que d'autres ne sont que de l'anticipation. Ce qui change est donc le rapport au présent et la volonté du scénariste et/ou du réalisateur de l'évoquer. Dans la science-fiction, c'est le présent du spectateur qui est présenté sous forme de parabole, de conte ou de fable. Dans l'anticipation, c'est le futur qui est décrit à partir du présent des spectateurs qui sont impliqués à la fois dans le film lui-même - que feraient-ils à la place des héros - et dans leur présent - peut-on éviter que ce monde présenté dans le film n'advienne? Pour ces spectateurs, l'aspect "science-fiction" des films d'anticipation passe finalement au second plan car les références à leur propre monde sont trop fortes. Le contre-exemple étant peut-être Jurassic Park et autres du genre car ce type de films mêle finalement d'autres genres encore: film d'horreur, comédie...
Il est donc important pour tous ceux qui travaillent sur les films comme source, que ce soit en Histoire, en Géographie, en Sociologie, Philosophie et autres sciences humaines de bien distinguer ces genres, quand bien même ils s'entremêleraient dans les films. Le message n'est pas le même, que ce soit celui émis par le réalisateur ou reçu par les spectateurs.

A bientôt
Lionel Lacour

Poursuivez la thématique avec ces trois articles:
Soleil vert au Festival Lumière 2011
La planète des singes: le mythe régénéré
Le retour de la planète des singes?

mercredi 11 avril 2012

Ma part du gâteau: A mort les traders

Bonjour à tous,

lors des troisièmes Rencontres Droit Justice Cinéma de Lyon, une conférence était proposée en clôture avec le thème suivant:
Droit Justice et Cinéma face aux crises.
A partir de nombreux extraits de films, des échanges avec des juristes ont permis de voir comment le cinéma relatait le fonctionnement de la justice et du droit en période de crise. Mais surtout, il a été remarqué qu'un autre droit pouvait parfois être proposé par les cinéastes qui préféraient la légitimité à la légalité.
Dans le film de Cédric Klapisch, la situation est particulièrement intéressante.


1. Une fable plutôt qu'un film réaliste
Le scénario ancre l'histoire dans un réalisme terrible en mettant en situation des employés d'une entreprise de Dunkerque dont le sort est lié à la mondialisation et à la délocalisation que cette dernière semble imposer. Si l'opération a pour conséquence de licencier massivement les employés de l'entreprise, elle permet l'enrichissement de traders dont celui à l'initiative de la spéculation sur la faillite de la dite entreprise, provoquant le chômage de ses employés.
L'une d'entre eux, Karin Viard, doit élever ses enfants alors qu'elle est divorcée. Elle trouve un emploi de femme de ménage à Paris pour un trader odieux interprété par Gilles Lellouche qui s'avère être celui qui a coulé l'entreprise pour laquelle elle travaillait. Mais elle n'en sait rien.

Après le choc culturel et économique entre ces deux personnages, ceux-ci semblent finalement se plaire, le trader étant présenté comme finalement un peu plus humain que ce que nous pouvions imaginer. Jusqu'à un voyage en Angleterre durant lequel, après avoir couché avec sa femme de ménage, le trader réalise qu'elle vient de Dunkerque et qu'elle travaillait pour l'entreprise qu'il a contribué à ruiner. Il le dit avec désinvolture sans réaliser le désastre humain qu'il a engendré, à commencer par son employée. Celle-ci décide alors d'enlever le fils du trader et de l'emmener à Dunkerque afin de forcer le trader à venir face à ceux qui ont été licenciés par sa faute.
Je passe les différents détails assez risibles du film qui relève parfois de la comédie lourde plutôt que du film réaliste. Qu'une licenciée de Dunkerque trouve du travail à Paris chez LE trader qui a coulé son sentreprise, c'est déjà fort. Entendre le trader hurler par téléphone qu'il s'est baisée la bonne alors qu'il est sur la terrasse de sa chambre, au premier étage de l'hôtel, au-dessus de l'entrée de celui-ci et bien sûr juste au moment où Karin Viard sort de l'hôtel ne manque pas d'étonner quant au discours du film qui se veut une fable sociale.
Les invraisemblances sont légions. Cela ne serait pas si grave si, comme dans les films du réalisme poétique de Marcel Carné, il y avait justement de la poésie. La situation de Jean Gabin dans Le quai des brumes n'est pas très réaliste non plus. Mais il n'y a pas de ridicule dans les relations humaines. Le film de Klapisch n'a rien de poétique. Ce n'était pas son propos. Mais il n'est pas réaliste non plus tant les situations relèvent parfois de la comédie de boulevard ou de café théâtre.
Alors soit, le film est une fable jouant sur l'exagération des situations, une comédie à l'italienne. Attendons la morale de la fable.

2. Les petits contre les puissants
Revenons donc à la situation finale.
Karin Viard, la gentille employée baffouée a enlevé le fils du méchant trader Lellouche. Le deal est clair: il vient récupérer son fils à Dunkerque sans prévenir la police. Et que fait-il ce salaud? Il appelle la police. Klapisch est malin. Il nous a montré au préalable que ce père se désintéressait totalement de son fils avant que la gentille Karin Viard ne lui explique qu'il fallait s'occuper de lui. Donc là, le voir s'inquiéter pour son fils, quelle supercherie! Forcément, il n'a pas le droit moral d'appeler la police puisqu'il ne s'occupe pas bien de son fils! CQFD.

Bon, la police arrête Karin Viard qui assiste, avec le fils de l'autre, à un spectacle de danse auquel participe une de ses filles en présence de tous les licenciés de l'usine fermée. Ah! les "prolos" qui se tournent vers la culture quand tout va mal! Karin Viard est embarquée et mise dans le "panier à salade" de la police venue avec deux autres véhicules puisque c'est une dangereuse enleveuse d'enfants, le tout devant le trader, sa copine forcément belle et futile et son coupé mercédès forcément hyper luxueux. Sauf que la plus jeune fille de Karin Viard voit la scène, appelle les spectateurs qui se mobilisent pour empêcher la camionnette de police d'avancer. La fillette désigne aussi le trader comme étant celui qui a causé la perte de leurs emplois.


Et là, devant toute la police médusée et inactive, deux mouvements vont se conjuguer. Le premier est d'empêcher la camionnette de la police d'avancer et d'emmener l'odieuse enleveuse d'enfant qui est bien évidemment une victime de la société comme le film nous l'a bien montré. Ainsi, les hommes et les femmes se mettent devant les véhicule qui ne peut avancer malgré ses accélérations, le tout devant d'autres policiers qui n'interviennent pas.
La deuxième réaction est tout aussi puissante. Quelques uns des chômeurs se voient désigner par la petite fille le trader à l'origine de la faillite de leur entreprise. Celui-ci protège sa maîtresse et son fils dans sa mercedes. Il doit affronter physiquement la colère des ouvriers, et, lâche bien sûr, affirme qu'il n'est pas le seul à avoir permis la liquidation de l'entreprise. Quel trouillard ce trader, lui qui frimait tant en affirmant à sa bonne - maîtresse d'une nuit qu'il était à l'origine de la ruine de sa boîte! Il se prend donc une gifle, tombe à terre, se relève et court. Ou plutôt fuit. Les autres le poursuivent prêts à le lyncher.

Et la police dans tout ça? Elle n'intervient pas.
Après avoir vu Lellouche courir dans la nuit sur la plage de Dunkerque - que va-t-il devenir? - le film se finit sur le visage de Karin Viard, heureuse du soutien de sa famille et de ses anciens collègues, unis pour l'empêcher d'être arrêtée par la police.



3. Une morale nauséabonde
Ainsi donc, le film se termine avec plusieurs idées fortes: on peut enlever un enfant quand sa cause est juste et la police ne doit pas enpêcher cela. En jouant sur la victime de licenciement qui travaille beaucoup pour gagner peu face à un trader qui gagne énormément en nous le montrant travailler peu, Klapisch joue sur du velour. Qui pourrait avoir de l'empathie pour Lellouche. Et même quand il nous le rend plus humain, disons plus sensible, il n'attend pas longtemps pour nous révéler sa vraie nature: un être égoïste et forcément incapable d'aimer. Il ne peut avoir que du mépris pour sa bonne! Le réalisateur met le spectateur dans le principe que l'amour que le trader peut avoir pour son fils n'est qu'une parodie d'amour. Il ne voudrait finalement que se venger de celle qui a osé s'opposer à sa volonté. Son appel à la police est donc présenté comme immoral. Ou plutôt digne de lui. Il ne comprend toujours pas pourquoi cette femme a enlevé son fils alors qu'il est évident qu'elle ne lui veut aucun mal puisque elle est gentille!
Mieux, quand il récupère son fils et qu'il est désigné par la fille de Karin Viard comme étant le trader liquidateur, Klapisch semble valider qu'on a le droit de le frapper. Les ouvriers auraient pu détruire l'objet représentatif de la fortune du trader: la mercédès. Non, ils s'en prennent à lui. La morale est forte. On peut lynché un salaud, un trader. Il y a presque une logique pléonasmique. Un trader est un être à éliminer, à poursuivre. La preuve, la police, pourtant présente en nombre, ne retient pas les lyncheurs ni ne les poursuit. On reste avec un plan de Lellouche courant seul sur la plage sans savoir ce qui va lui arriver. Ce n'est plus l'affaire de Klapisch ni celle des spectateurs. Son sort est déjà réglé.
Quant à celui de l'héroïne, il est voué au triomphe. Elle est celle qui a lutté contre la finance, contre la city. Elle a résisté à l'oppresseur. Elle lui a enlevé son fils et ce n'est pas mal, puisqu'elle est gentille!







Conclusion
Si le film pose de bonnes questions quant à la place de l'individu dans une économie mondialisée symbolisée par les conteneurs transportés sur les cargos, il dérive dans son approche morale qui dépasse la caricature. Klapisch fait valoir la légitimité sur la légalité. Soit. Il ne fut pas le seul. Et Les aventure de Robin des bois de Michael Curtiz ne faisait pas autre chose en 1938. Mais les assassinats de Normands par les hommes de la forêt de Sherwood étaient une parabole qui symbolisaient la violence du combat social durant la grande dépression américaine projetée à la fin du XIIème siècle anglais. Le problème de Ma part du gâteau est qu'il n'y a justement pas de distanciation entre la morale et ce qui est montré. De fait, le discours proposé conduit à accepter non seulement la violence, mais aussi à se substituer à la justice. Le trader s'est conduit en salaud, certes, mais aux yeux de qui? Etait-ce illégal? Et au nom de cela, peut-on tuer cet homme?
Ce qu'il a fait est peut-être immoral mais ce n'est pas illégal. En donnant la possibilité de lyncher un homme plutôt que de s'en prendre au système qu'il représente, le message du film ressemble furieusement à un message extrêmiste conduisant à l'effacement du droit et de la justice et à sa substitution par des comités non élus qui eux sauront éliminer les nuisibles de la société.
Parti avec de bons sentiments et une approche sociale, le film dérive donc vers une morale populiste pour finir par une morale qui n'est pas si éloignée de la morale des régimes totalitaires (voir la conférence que Robert Bardinter a donné en 2011 lors des 2èmes Rencontres Droit Justice Cinéma quand il commentait le film soviétique Les dentelles).

A bientôt

Lionel Lacour

mardi 15 mars 2011

La crise dans le cinéma français (3): comparaison années trente et aujourd'hui - TROISIEME PARTIE

Bonjour à tous
Suite et fin

3. Une république malade ?
Ce qui saute aux yeux dans le cinéma français de cette fin des années 30, c’est que les personnages positifs finissent plutôt mal. Pire que ça. Ils sont souvent contraints de faire le Mal, au sens judiciaire, pour faire valoir le Bien, au sens moral.
Jean Gabin se trouve de très nombreuses fois dans la situation de celui qui élimine ceux qui enfreignent la loi ou sont ce qu’on appellerait aujourd’hui des délinquants.
Quand dans Le jour se lève de Marcel Carné il tue l’infâme Jules Berry qui était d’ailleurs lui-même venu tuer Gabin, c’est bien un être amoral qu’il tue. Un personnage qui n’hésite pas à séduire les très jeunes femmes. Or cet homme bien qu’est Gabin devient lui le criminel. C’est lui que la police vient arrêter, alors que tout le monde sait que Gabin est un homme bien et que Berry est un nuisible pour la société.
Ce même Gabin doit également affronter Michel Simon qui lui propose d’éliminer Pierre Brasseur dans Quai des brumes, toujours de Marcel Carné en 1938. « Chaque fois qu’un vaurien disparaît, c’est la société qui s’en porte mieux » dit Michel Simon. Une justice parallèle donc pour suppléer ce que la police puis la justice légales sont incapables de faire. Et malgré la nouvelle colère de Gabin, c’est bien lui qui élimine Brasseur, un vrai vaurien. Mais dans les deux cas, Gabin meurt, suicidé ou tué.
Jean Renoir n’est pas en reste non plus pour montrer combien la société française va mal. Son héros du Crime de Monsieur Lange (1936) croit que le patron du journal pour lequel il travaille est mort. Il monte une sorte de coopérative avec tous les employés et fait de ce journal proche de la ruine une affaire florissante. Or le patron, interprété toujours par Jules Berry, s’était fait passé pour un ecclésiastique et sachant que son journal rapportait à nouveau, réclame au héros de lui rendre ce qui légalement lui appartient. On se rend donc bien compte que la loi protège le malhonnête. L’honnête, poussé dans ses retranchements par le patron voyou (déjà ?) est contraint de le tuer. Si contrairement à Gabin le héros ne meurt pas, il n’en est pas moins contraint à fuir la police.
Tous ces exemples montrent que ceux qui représentent la vertu semblent abandonnés par la société qui défend davantage les droits des malfaisants comme aurait dit plus tard Audiard.
Pas de happy end donc dans bien des films. Et ce n’est pas Renoir dans sa Règle du jeu (1939) qui dit le contraire avec un crime couvert par l’ensemble des témoins et maquillé en accident de chasse.
Peu de comparaison possible avec le cinéma français de ces dernières années dans lequel ce serait les être bons qui ne seraient pas défendus par la société.
La haine de Kassovitz en 1995 est peut-être un des rares films qui puissent présenter un personnage aux vraies valeurs positives, Hubert joué par Hubert Koundé, qui commet soudain un crime parce qu’il a été poussé à bout. Là aussi, la police ne peut faire sortir ceux qui occupent illégalement le toit des immeubles. Les jeunes se sentent observés par la presse tels des animaux de zoo. Mais alors que Hubert est celui qui retient ses amis de recourir à la violence et à utiliser leur pistolet, c’est lui qui, provoqué une fois de trop, tuera un policier Cette fin relève du même sentiment que pour Gabin dans Le jour se lève. Mais cette fois, ce n’est pas un citoyen qui a provoqué le héros, c’est un policier. Si Gabin est un gars des faubourgs, Hubert et ses amis sont de banlieue, plus éloignée de la ville, plus pauvre encore, et tellement plus violente.
C’est cette violence qui se retrouve dans de nombreuses morales de films. Ainsi, on trouve des personnages qui sont parfois de vrais criminels et dont la fin du film laisse présager que le crime paie. Pour ne prendre que deux exemples, José Garcia dans Le couperet (2006) de Costa Gavras se met à tuer toutes les personnes qui pourraient être embauchées à sa place. Si la police intervient, il n’est pourtant pas pris. Sa femme le couvre même. Le film se finit avec une morale très étonnante car si le film passe clairement du registre du réaliste à celui de conte moral, c’est justement la morale qui est absente du conte. Ou plutôt une morale individualiste qui pourrait se résumer par « pas vu pas pris » combiné à « la fin justifie les moyens, fussent-ils criminels ». Cette morale fait bien sûr réagir le spectateur en comprenant la dénonciation du réalisateur du struggle for life poussé à son extrême. Mais que dire d’ Un prophète de Jacques Audiard en 2009 ? Le spectateur suit l’histoire d’un gamin emprisonné, illettré, qui devient un assassin, certes à son corps défendant mais qui continue à l’être même quand les contraintes du clan corse qui le protège n’existent pas. Audiard manipule le spectateur avec une grande habileté au point de lui faire ressentir de l’empathie, voire de la sympathie pour son héros qui devient de plus en plus violent et de plus en plus puissant. Devenu véritable caïd, il quitte la prison en ayant non seulement réussi son business quand il était incarcéré mais également en ayant créé un véritable réseau criminel en dehors. Ce personnage si charmant, attendu par une jeune femme tendre, est devenu un chef de gang de tueurs et de trafiquants de drogue. La réussite coût que coûte, qu’importent les moyens. Le succès de ce film s’explique bien sûr par la maestria de la mise en scène. Mais il correspond aussi à une dose d’acceptation des spectateurs vis-à-vis d’un tel message qui aurait été impossible dans les années 1950 ou 1960. Car un bandit auquel on s’était attaché ne pouvait malgré tout qu’être à la fin mis hors d’état de nuire. Il suffit de se souvenir qu’après avoir accompagné Maurice Biraud et Jean Gabin dans Le cave se rebiffe de Gilles Grangier en 1961 dans leur production et écoulement de fausse monnaie, le générique de fin rappelle que bien sûr, ils ont été arrêtés par la police. La morale était sauve. Elle ne l’est plus aujourd’hui. Mais si dans les années 30, elle poussait les héros vertueux à se défendre illégalement et violemment parce que la société ne les défendait plus, désormais, ce sont des héros négatifs qui réussissent face à une société trop faible pour les empêcher de nuire.

Un autre aspect des films des années 1930 est la dénonciation de la montée des idées racistes et antisémites ou xénophobes, d’autant plus que de l’autre côté du Rhin, ces idées devenaient même des idées portées par un Etat.
Si Renoir rappelle la définition du citoyen français dans La marseillaise (1938), celle d’une citoyenneté choisie par ceux qui se reconnaissent des valeurs communes et un destin commun, il en profite pour faire dire à une émigrée réfugiée bien sûr en Allemagne qu’ «à la vue du roi de Prusse, le plus borné des jacobins ne pourrait croire en l’égalité des hommes » !
Cette idée de race se retrouve sous différents aspects. Ainsi, dans Le jour se lève, une habitante d’un immeuble trouve à un certain Gerbois une tête de coupable parce qu’ « il a une sale tête ». Le coupable reconnaissable à sa tête. Dans La règle du jeu, Renoir va encore plus loin en étant beaucoup plus direct. Un domestique rappelle que son maître était d’origine métèque avec une aïeule du nom de Rosenthal. « C’est tout ». On demande alors à un autre domestique son avis sur la question. Un certain Schumacher. Le doute n’est plus permis quant aux allusions. Et le cuisinier de rajouter : « en parlant de juif… ». Ainsi Renoir, après nous montre un antisémitisme qui ne se trouvait pas que dans les classes bourgeoises mais également dans les classes les plus populaires. Ce film dynamitait en fait toutes les valeurs républicaines en montrant combien certains principes étaient oubliés de puis longtemps. Quand un personnage remercie son maître « Monsieur le marquis, vous m’avez réhaussé en faisant de moi un domestique » - peut-on être moins qu’un domestique ? Renoir montre que loin d’être égalitaire, la société républicaine a conservé et peut-être même accentué la société hiérarchique de classe. Mais c’est Renoir lui-même qui dit que depuis trois ans, tout le monde ment, du gouvernement aux journaux.
Sur quoi leur ment-on notamment. Bien sûr sur ce qui se passe en France, mais aussi sur ce qui se passe ailleurs. Dans La belle équipe, Gabin rabroue son ami qui a des ennuis avec la police parce qu’il s’occupe d’affaires en Espagne. Cette indifférence est encore plus manifeste dans Hôtel du Nord de Marcel Carné (1939) quand un policier reproche à un ami de s’occuper d’un enfant venu de Barcelone : « c’est un étranger ». Cette indifférence se retrouve dénoncée même dans des films anodins comme le film de 1939 d’Henri Decoin Retour à l’aube. Dans un film qui se passe en Autriche alors que l’action pourrait se passer n’importe où, Danièle Darrieux dit à un ami qui se demandait si le fait de dormir près de la gare ne la dérangeait pas à cause du bruit des trains, elle dit avec candeur qu’in s’habitue au bruit et qu’après on apprécie mieux le silence. Cette allusion à l’entrée des troupes allemandes en Autriche montrait toute l’indifférence des Français à cet événement majeur mais qui n’avait pas suscité plus de réaction de quiconque.

Le racisme ordinaire est montré lui aussi dans de nombreux films des années qui suivent la crise des années 1970 jusqu’à aujourd’hui. Ce racisme vient notamment du chômage. On fait alors porter la faute sur l’étranger. Mais il vient aussi et peut-être surtout d’un passé non digéré d’ancienne puissance coloniale. C’est ainsi que dans Dupont Lajoie d'Yves Boisset en 1975, des vacanciers font une ratonnade pour punir ceux qu’ils croient coupables d’un viol et ce malgré l’enquête policière qui disculpe les travailleurs algériens parlant à peine le français. Les relents racistes viennent pour certains des rancoeurs liées à la guerre d’Algérie amenant à l’indépendance. Le personnage de Victor Lanoux incarne ici le parfait raciste. A ce racisme primaire qu’on retrouve également dans des films comme Train d’enfer de Roger Hanin en 1985 dénonçant un autre crime raciste tiré d’un fait divers suivent des films où le racisme est moins montré comme une réaction idéologique d’extrême droite ou de nostalgiques des colonies mais comme une réaction sociale primaire contre ceux qui pourraient prendre le travail ou les logements des Français. Dans La crise, Coline Serreau fait jouer en 1992 à Patrick Timsit le rôle d’un SDF qui se proclame raciste. Dans une séquence incroyable, il est interrogé par un député socialiste vivant dans un hôtel particulier des beaux quartiers. Celui-ci lui dit que ce n’est pas moral d’être raciste. Et quand Timsit lui dit que sa belle sœur est en phase terminale de cancer, qu’il n’a pas de logement ni d’emploi et que tous les malheurs du monde lui sont tombés sur la tête, la seule interrogation du député est de savoir s’il vote Le Pen. Cette séquence a ceci de fascinant qu’elle montre juste 10 ans avant la rupture entre les élus de gauche et leur électorat : « vous voyez, vous vivez dans cette belle maison et vous n’êtes pas raciste, et moi je vis à Saint Denis et je suis raciste ». Dans cette réplique apparemment simpliste voire populiste ressort en fait une situation qui va se traduire politiquement en 2002. Au lieu de se soucier de comment venir en aide au SDF, la seule interrogation de l’élu réside dans le bulletin de vote mis dans l’urne. Cette rupture entre l’élite et le peuple se retrouve encore dans La haine. Voir un gamin insulter le maire « Le maire Ta mère ! » montre à quel point l’autorité politique est décrédibilisée. Cela ne signifie pas que les jeunes n’insultaient pas les maires dans les années 1950. Mais cela n’aurait pas pu être montré au cinéma. Plus que de racisme, le cinéma va montrer les exclus de la cité. Paradoxalement, ils habitent ce qu’ils appellent justement la cité. Et ceux-ci vont de plus en plus être des exclus sont présentés parmi ce qui va être appelé les minorités visibles. A la suite de La haine, c’est toute une suite de films de banlieue, de Ma 6-T va crack-er, tourné dans un style vidéo en 1987 par Jean-François Richet se voulant entre la fiction et le genre documentaire, à Raï de Thomas Gilou en 1995. Ces communautés d’origines essentiellement africaines sont montrées souvent comme en décalage avec les comportements et les règles de la société. Ces films parlent des jeunes de cité, s’adressent aussi à eux mais l’image qui est renvoyée les renvoie à ce qu’ils ne sont pas, c'est-à-dire des citoyens en plein.
Dans Le ciel, les oiseaux... et ta mère, c’est une autre image de ces jeunes de banlieues qui est donnée par le cinéma de Djamel Bensalah en 1999. Les jeunes des quartiers se reconnaissent dans ces personnages dont Jamel Debbouze. Mais ce sont surtout les autres, ceux qui ne vivent pas dans ces quartiers qui les voient évoluer ailleurs que dans ces grands ensembles hostiles. Cette projection dans des lieux apaisés rend alors ces jeunes banlieusards touchant pour d’autres spectateurs que ceux des cités.
Ainsi, sans le dire ouvertement, le cinéma qui aborde les difficultés des quartiers évoque en creux le racisme ordinaire dont ces victimes ces populations, comme dans les films de Kechiche, que ce soit L’esquive en 2003 ou La graine et le mulet en 2007. De même, Laurent Cantet dans Entre les murs en 2008 montre les difficultés d’enseigner dans des quartiers avec une proportion élevée d’enfants issus de populations immigrées.
Mais finalement, le racisme n’est plus dénoncé de manière aussi directe que dans le film d’Yves Boisset. Il peut l’être sous l’angle de la comédie, comme le personnage de médecin d’Omar Sy dans Tellement proches en 2009 d'Olivier Nakachehe et Eric Toledano, dans lequel tout le monde le prend pour moins que ce qu’il n’est sous prétexte de sa couleur de peau. Mais ce racisme est dénoncé surtout dans des films qui évoquent un racisme ou un antisémitisme passé. Pour le racisme, on peut citer la Venus noire de Kechiche en 2010 qui renvoie à un racisme passé mais qui ne manque pas d’interpeller le racisme contemporain. Quant à l’antisémitisme, il est devenu une source quasi inépuisable de films dénonçant celui criminel de la seconde guerre mondiale, de Monsieur Batignole de Gérard Jugnot en 2002 à La rafle de Rose Bosch en 2010. Pour ce film, la réalisatrice affirmait dans ses interventions à la presse que cela permettrait d’avoir un document pour les enseignants pour raconter cet événement. Ce souci de toucher les enseignants et par la même les élève montre encore, s’il fallait une nouvelle fois le démontrer, qu’un film est un document d’histoire du temps de sa production. Et ce film s’inscrit dans cette logique comme les autres. Parler de l’antisémitisme d’hier ou d’avant-hier, c’est une manière de parler de celui d'aujourd'hui, car les questions sur une possible reproduction de tels événements ne manquent jamais à la sortie de ces films. Or la multiplication de films sur ce sujet montre que le sujet est plus que jamais d’actualité. Et la force de Kechiche est de rappeler que n’existe pas seulement l’antisémitisme mais bien le racisme dans ce qu’il a de plus simpliste et de plus révoltant aussi.

Conclusion

La crise des années 30 pouvait-elle se comparer avec celle qui dure maintenant depuis près de 40 ans dans sa représentation au cinéma ? Si bien des points ont des ressemblances, que ce soit le chômage, le radicalisme des réponses et l’espérance en des politiques plus sociales, ceci est dû au fait que les crises produisent par exemple du chômage. Et que donc, un chômeur est appelé chômeur, dans les années 30 comme dans les années 80. La difficulté de comparer ces deux périodes au cinéma réside surtout en deux points. Le premier est la durée de la crise, finalement à peine dix ans pour celle des années 30, et près de 40 pour celle que nous connaissons depuis la fin des trente glorieuses. Le second est lié à la production cinématographique beaucoup plus importante aujourd'hui qu’il y à 70 ou 80 ans.
Cependant, le vrai point commun entre les deux périodes est la mise en avant du recul des valeurs de la République. Si le racisme est un fait dans les année s30, il est idéologiques et centré surtout sur l’antisémitisme. Aujourd’hui, l’antisémitisme n’a pas disparu mais il est montré en rappel de ce qu’il a produit. Quant au racisme, il est l’héritage post colonial et de plus en plus un racisme social ressemblant davantage à de la xénophobie.
Mais là où le cinéma nous apporte un point de vue éclairant, c’est bien dans la représentation de héros négatifs qui prospèrent sur les terres et sur les piliers de la République. Le héros de Jacques Audiard, ce prophète est devenu quelqu’un grâce à ce que la prison lui a apporté. Mais pas la réhabilitation, pas le retour dans le droit chemin. Elle lui a appris à lire pour mieux commander ; elle lui a appris à être un dur. Elle l’a rendu plus fort contre les valeurs de la République quand Gabin lui se suicide dans Le jour se lève pour être devenu finalement un assassin, c’est-à-dire avoir bafoué les lois de la République.

Le cinéma d'aujourd’hui ne nous montre rien de bien réjouissant de ce que devient notre société modèle !

A bientôt

Lionel Lacour