samedi 13 juillet 2013

Grand Central: au cœur du nucléaire

Bonjour à tous,

mercredi 10 juillet, Grégory Faes de Rhône-Alpes Cinéma proposait à l'UGC Confluences une avant première du film de Rebecca Zlotowski, Grand Central. Projeté déjà au Festival de Cannes dans la sélection "Un autre regard", Thierry Frémaux, directeur de ce festival, était venu lui aussi présenter ce deuxième long métrage de la réalisatrice, Belle épine (2010), déjà avec Léa Seydoux. L'introduction faite permettait d'orienter notre regard sur ce monde des travailleurs des centrales nucléaires, monde qui, comme celui des autres travailleurs de l'industrie, sont de moins en moins présents dans le cinéma français, ce que ne manqua pas de rappeler Thierry Frémaux.
La distribution est particulièrement flatteuse avec Léa Seydoux donc, mais aussi Tahar Rahim, Olivier Gourmet ou encore Denis Ménochet.



À la suite de la projection, Rebecca Zlotowski a répondu aux diverses questions portant sur l'histoire, le traitement esthétique de son film, recourant tantôt à la pellicule, tantôt au numérique, et encore sur le casting, signifiant que son acteur de base pour ce film était Tahar Rahim, acteur français avant que d'être acteur d'origine maghrébine. Ce qu'elle dit sur le monde du nucléaire fut d'autant plus intéressant que ses explications se retrouvent clairement et explicitement dans son film. Rien de plus normal pourrait-on penser? Sauf que les explications et commentaires par certains cinéastes ne sont pas toujours en adéquation avec ce qui est projeté sur l'écran! Ainsi, le monde du nucléaire est-il décrit du point de vue de ceux qui y travaillent. Avec une projection des spectateurs vers d'autres références, dont celui des mineurs.



Des travailleurs de deuxième catégorie
La réalisatrice s'est donc intéressée à une catégorie de ces employés des centrales nucléaires. Ainsi, ce ne sont pas les salariés d'Areva ou d'EDF dont l'histoire est relatée mais bien ceux travaillant pour des sociétés recrutant de la main-d'œuvre complémentaire aux centrales, pouvant aller d'ailleurs d'une centrale français à une autre. cette distinction est importante car elle est fortement ressentie comme inégalitaire dans le film, plaçant les salariés d'EDF dans la classe des "Aristocrates", payés plus, travaillant moins. Cette inégalité de traitement se comprend aussi par les conditions de recrutement des ces intérims du nucléaire, au niveau de qualification faible, le personnage de Tahar Rahim, Gary, n'ayant qu'une formation en chaudronnerie - et encore, un trimestre de 1ère année de CAP! Peu d'évaluations de compétences pour ces employés formés sur le tas par d'autres de ces employés, plus anciens dans le métier. Les recruteurs ne sont manifestement pas très regardants sur les qualités de leurs intérimaires, même si une enquête par les RG est suggérée dans le film pour vérifier que le travailleur n'est pas dangereux pour l'entreprise et donc la société.

Des conditions de travail oppressantes qui reposent sur le collectif. 
Quand Gary commence son travail dans la centrale, s'impose à lui alors tout un protocole allant de la manière de porter les vêtements de protection au règles élémentaires pour se mouvoir dans les zones critiques de la centrale. En tournant dans une centrale autrichienne n'ayant jamais été mise en fonction, la réalisatrice peut alors proposer des images saisissantes sur le labeur des ces travailleurs qui soumettent leur corps et leur vie pour créer une énergie aussi puissante qu'effrayante. Leur dosimètre dans leur combinaison mesure le taux de radiation subi quotidiennement. Il est une sorte d'alarme individuelle signifiant à chaque employé son exposition nocive pour permettre à ce que la société puisse consommer l'énergie électrique.
Cette alarme individuelle n'est qu'une des nombreuses alarmes représentées dans le film. À chaque sortie du site, chaque ouvrier doit placer ses mains dans une machine relevant son taux de radioactivité pour envisager une mise en œuvre de décontamination. Ces alarmes individuelles sont cependant contournables par les ouvriers, qu'on surexpose volontairement son dosimètre ou qu'au contraire, on le cache pour pouvoir travailler davantage. À ces tests individuels et mesurés par des compteurs se rajoutent aussi des vérifications individuelles, mettant en cohérence les mesures de radioactivité sur les individus, et ayant pour finalité de conserver ou éliminer les employés constituant une menace sanitaire pour eux mêmes et donc nuisant à l'activité nucléaire et sa supposée innocuité. Enfin, le retentissement des sirènes indique aux habitants vivant autour de la centrale si c'est un test ou si un accident plus ou moins grave a eu lieu dans la centrale. Plus le nombre de sonneries est élevé, plus la situation est inquiétante.
Rebecca Zlotowski se prête alors à l'exercice difficile de filmer ces hommes et ces femmes qui s'entraident pour que chacun puisse travailler dans les meilleures conditions, acceptant le risque de l'incident individuel sans pour autant incriminer l'autre. Et malheur à celui qui oserait le faire. La réalisatrice sait filmer ces moments d'héroïsme quotidien dont on comprend que chacun serait prêt à faire la même chose pour l'autre, comme enlever ses gants protecteurs pour sauver son collègue en danger.

Une vie de violence
Le détail clinique de la vie dans la centrale ne constitue cependant pas un film d'entreprise pour une entreprise développant le nucléaire. La réalisatrice ne cache donc pas chaque situation dangereuse ou traumatisante que le personnel de ces centrales peut subir. Violence de la contamination invisible, sans odeur, dont les conséquences sont multiples, à commencer par la stérilité. C'est ce dont est victime Toni, joué par Denis Ménochet. Violence physique aussi pour ceux contaminés comme Géraldine, interprétée par Camille Lellouche, qui doit être tondue immédiatement suite à une sur-exposition. C'est encore le chef d'équipe, Gilles, incarné par Olivier Gourmet, qui doit subir une douche abrasive après que des déchets radio-actifs lui sont tombés dessus.
Cette violence est à la fois invisible et étonnamment palpable, saisissable. C'est d'abord la centrale elle-même, aux cheminées de refroidissement énormes, imposantes, dominant tout le paysage tandis que les ouvriers demeurent eux dans des mobile homes, semblant serrés dans leur résidence si précaire. Or c'est bien cette précarité que le film montre:
- précarité de l'emploi pour des individus qui sont prêts à tout, y compris être irradiés, pour gagner de l'argent, comme Gary;
- précarité familiale, avec l'éloignement puis la séparation de fait avec sa femme et ses enfants pour Gilles;
- précarité du couple entre Toni et sa fiancée, Karole, jouée par Léa Seydoux, qui cherche à offrir un enfant à son homme qui ne peut le lui faire.
Cette précarité induit une violence collective, des réactions disproportionnées, des tensions extrêmes, imposant de penser au collectif avant que de ne penser qu'à soi. Quand Gary boit l'eau d'une bouteille, il oublie que l'eau était à partager entre ceux de son groupe. Gilles le lui rappelle alors sévèrement, physiquement.

Une histoire d'amour en fil rouge
La relation qui se noue entre Gary et Karole fonctionne autour de l'industrie nucléaire. Leur premier contact mêle l'explication de la sensation d'une sur-dose comparée à une émotion amoureuse physique. La suite de leur relation gravite autour des éléments évoqués précédemment. Enfin, la conclusion reprend une des "alarmes", permettant la confusion des informations entre l'histoire d'amour et le monde de la centrale.
Par cette romance, la réalisatrice peut aborder ce monde fascinant d'une industrie très peu connue des Français bien que constituant une clé de voûte de l'appareil énergétique du pays. Pas de militantisme pro ou anti nucléaire mais d'évidence un intérêt journalistique pour cet univers secret car dangereux, secret car aussi volontairement préservé des questions qui fâchent. Rebecca Zlotowski n'occulte pas les dangers qu'affrontent ces travailleurs mais ne condamne pas non plus cette industrie. Le point de vue choisit ne permet pas de se faire une idée de l'ensemble de cette industrie et de son fonctionnement. Évoquée par Gilles, l'opposition entre les différentes catégories de travailleurs de la centrale n'est pas développée.
Le film ne s'inscrit donc pas dans la logique des films sociaux comme peuvent l'être les films des frères Dardenne ou de Ken Loach. jamais le système ou les dirigeants de l'entreprise ne sont mis en accusation. La seule qui semble exploiter de prime abord ces intérimaires se révèle de fait être plus soucieuse de la législation du travail et de la spécificité de cette activité.

Le film de Rebecca Zlotowski souffre de quelques imperfections scénaristiques sans aucun doute. Mais la réalisatrice nous plonge dans un monde méconnu, mettant en lumière des personnages qui sortent des appartements des jeunes quadras parisiens dont le cinéma français nous abreuve. Oui la France n'est pas peuplée que de personnes sans aucun souci économique ayant des problèmes existentiels tournant autour de relations sentimentales à 2, 3 ou plus, entre personnes de sexes différents ou du même sexes, et dont jamais la vraie précarité n'est montrée. Grand Central est le contraire de ces films qui ne parlent qu'aux mêmes personnes et finalement bien minoritaires, et ce sans misérabilisme ni voyeurisme. Reste à le découvrir en salle le 28 août 2013 dans toutes les bonnes salles de cinéma!

À bientôt
Lionel Lacour

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