vendredi 26 avril 2013

Les secrets d'Hollywood: une passion des "majors" de l'âge d'or du cinéma


Bonjour à tous,
À l'occasion de la sortie de l'ouvrage de Patrick Brion, historien du cinéma et créateur du "Cinéma de Minuit", hier sur FR3, aujourd'hui France 3, je vous propose cette chronique de ce livre édité par La librairie VUIBERT et dont la cible est évidemment tous ceux qui raffolent du cinéma hollywoodien et qui regrettent que "La dernière séance" n'ait pas été remplacée...

Les secrets d’Hollywood
Patrick Brion – mars 2013 - Librairie VUIBERT

Les secrets d’Hollywood auraient peut-être pu s’intituler « Le Hollywood que j’aime » tant Patrick Brion nous plonge tout au long de ses dix-huit articles dans un univers passionnant dont il est évidemment à la fois un spécialiste et un amoureux.
Ce recueil peut se lire article par article, dans un ordre aléatoire, au gré de sa cinéphilie, de ses envies puisqu’il n’y a apparemment pas de véritables introduction ou conclusion. Du moins formellement. C’est déjà là un plaisir important. Celui de ne pas tomber sur un de ces livres sommes qui dressent des listes exhaustives de films, d’anecdotes destinées de fait aux spécialistes et à eux seuls, oubliant parfois que le cinéma est d’abord un art populaire.
Si Les secrets d’Hollywood offrent cette fantaisie aux lecteurs, il ne s’agit pas non plus d’un ouvrage fait de « potins » qui ravissent tant une certaine presse. Patrick Brion propose des analyses, des témoignages qui satisferont aussi bien érudits du cinéma que simples amateurs du 7ème art, tous heureux de passer d’Orson Welles à Marlon Brando, de Casablanca à Apocalypse now sans transition… apparemment.

Car s’il n’y a ni introduction ni conclusion au sens classique comme il a été dit plus haut, l’ordonnancement des différents articles n’est évidemment pas anodin. Il est d’abord chronologique, tant du point de vue du temps de l’Histoire du cinéma que de celui de la production même d’un film. Ainsi le premier article « Comment devient-on producteur à Hollywood » est une succession de mini-biographies des pionniers des majors qui ont établi le mythe des studios et des productions établissant une mémoire cinématographique dépassant les Etats-Unis. Le lecteur découvre ainsi qui se cache derrière la Fox, la Warner Bros ou encore la MGM. Dès ce premier article, Patrick Brion peut dérouler sa pelote savante. Derrière le récit de la production du film Les rapaces, il présente par exemple le génie de son réalisateur, Erich Von Stroheim. Puis dans le suivant, il rappelle ses difficultés financières qui émurent le tout Hollywood, rendant à ce personnage mythique une humanité et une dignité peut-être insoupçonnées. Quand deux des plus grands films d’avant guerre tournés en couleur sont décortiqués par l’auteur, à savoir Le magicien d’Oz et Autant en emporte le vent, c’est pour préciser notamment qu’ils connurent plusieurs scénaristes et réalisateurs et des castings laborieux. Ce qui ne les empêcha pas d’accéder à un succès de plusieurs décennies. Enfin, Patrick Brion évoque aussi le « Nouvel Hollywood » au travers de Francis Ford Copolla et Marlon Brando et leurs deux films d’anthologie, que ce soit Le parrain ou Apocalypse now. Mais c’est pour mieux montrer les dernières influences des hiérarques mythiques d’Hollywood.
Cette Histoire du cinéma hollywoodien que raconte Patrick Brion marque ainsi terriblement son amour des producteurs, eux qui savaient, il ne cesse de le répéter tout au long de ce livre, mettre en avant leurs auteurs, leurs réalisateurs et aussi leurs comédiens. Nous pouvons découvrir çà et là comment les studios s’échangeaient leurs acteurs au gré des productions, les diverses stratégies et tractations pour acquérir les droits de romans non encore parus, les acrimonies entre artistes ou encore les excentricités des génies, qu’ils s’appellent Orson Welles ou Marlon Brando. Si l’auteur use avec parcimonie de documents d’illustration, c’est pour mieux capter l’attention de ses lecteurs en proposant des sources originales et souvent stupéfiantes. Ainsi, la grille des salaires des acteurs pour Casablanca ne manque pas de faire sourire au regard de celui des émoluments démesurés de certains comédiens d’aujourd’hui, et ce même en prenant en compte l’augmentation du coût de la vie !
Une des autres qualités du livre est la diversité de natures des différents articles. Présentation de type « glossaire » pour le premier, synthèse sur la genèse de certains films pour quelques uns, exégèse de témoignages pour d’autres. Pour cette dernière catégorie, il faut mentionner l’article « Joseph L. Mankiewicz contre Cecil B. DeMille » dans lequel Patrick Brion rapporte presque in extenso le témoignage du réalisateur de Eve, de Jules César, de La comtesse aux pieds nus ou encore de Cléopâtre sur la manière qu’a eu John Ford de le défendre alors que Cecil B. DeMille souhaitait le destituer de la présidence de la guilde des réalisateurs. À la lecture de ces nombreuses pages, le plaisir gourmand de l’auteur transparaît alors même que les mots sont ceux de Mankiewicz. On y devine son bonheur de voir dans cette histoire une sorte de continuité hors écran de ce que ces monstres sacrés qu’étaient Ford, Mankiewicz mais aussi Hawks ou Walsh pouvaient porter à l’écran. Il y a de l’admiration pour ces personnages qui savaient défendre les valeurs en lesquelles ils croyaient et Patrick Brion la fait partager à ses lecteurs. Il arrive même, chose plus intrigante, sinon à réhabiliter Will Hays, du moins à l’inscrire dans un contexte historique. Il permet ainsi de comprendre comment le code qui allait porter son nom avait pu s’imposer – de manière toute relative comme il le montre parfaitement – aux studios hollywoodiens et avec eux, aux scénaristes et réalisateurs. « Le code Hays : Hollywood censuré » permet, même pour certains croyant bien connaître cette censure fameuse de la production des majors, de restituer la vraie place du code, insistant sur le rôle joué par certaines ligues comme la Legion of decency. C’est elle, et non le code Hays, qui avait été si soucieuse de la durée maximum d’un baiser entre deux amants, un homme et une femme évidemment: 8 secondes ! C’est avec étonnement mais aussi un certain plaisir que le livre évoque le « libéralisme » du code Hays (sic) au regard du nombre de films qui auraient pu (dû ?) être censurés en vertu des interdictions édictées. Et Brion de citer comment producteurs et cinéastes transgressèrent ou jouèrent avec ce code pour finalement faire passer, malgré les contraintes, leurs idées scénaristiques ou de mise en scène, fussent-elles contraire au code !

Patrick Brion témoigne donc dans ce recueil d’une véritable nostalgie de cet âge d’or hollywoodien. Une nostalgie qui ne sent ni la poussière ni la naphtaline. Le créateur du Cinéma de Minuit admire l’ingéniosité des producteurs ou des artistes pour produire des films. Certes, ceux-ci sont des produits industriels dont le budget est conçu au regard du potentiel commercial des œuvres tournées. Mais ils constituent petit à petit une véritable mythologie moderne pour les spectateurs du monde entier. L’auteur loue la détermination de ces dirigeants de studios, dont beaucoup finirent ruinés ou évincés de leur propre entreprise, comme par exemple Louis Mayer, pour mener à bien un projet dont ils sentaient qu’il représentait une source d’enrichissement possible mais aussi une valeur d’image positive pour leur studio. Il faut lire les passages consacrés à Albert Lewin organisant un concours de peinture pour le seul plaisir de trouver le tableau qui allait être utilisé dans The private affairs of Bel Ami. Quant aux pages consacrées à Vincente Minelli, elles témoignent des liens parfois fusionnels entre un cinéaste et un studio, le premier trouvant dans le second la confiance, les techniciens et le budget pour exprimer tout son talent. Le second découvrant dans le premier un moyen d’exprimer ses aspirations à dessiner un  monde, même imaginaire voire virtuel, dont il serait le grand ordonnateur. Et la liste des films de Minelli (Brigadoon, Gigi, Un américain à Paris…) ne peut que corroborer ce que Patrick Brion affirme.
Quant aux acteurs, ils ne sont pas oubliés. S’il est émouvant de lire combien Von Stroheim fut d’une dignité magistrale quand il dut accepter que tout Hollywood l’aidât, il est tout aussi touchant de lire combien il mit un point d’honneur à rembourser ses dettes à ses généreux donateurs acceptant ou non d’être remboursés. À ce titre, la lettre de Clark Gable que Patrick Brion donne en illustration est remarquable de sensibilité et de grandeur. D’autres acteurs sont évidemment mis en avant. C’est le cas notamment de Marlon Brando qui s’engagea pour la cause des Noirs des États-Unis ou d’Afrique du Sud,  pour celle des Indiens d’Amérique spoliés ou encore celle des enfants d’Asie et d’ailleurs subissant la loi du capitalisme. Et que dire également d’Elisabeth Taylor dont Patrick Brion souligne avec force comment elle accepta de mettre sa notoriété au service d’une cause si politiquement incorrecte que la lutte contre le Sida, cause honteuse pour beaucoup, et qui avait tué nombre de ses amis, à commencer par Rock Hudson ? Il s’empresse encore de réhabiliter ce que fut Charlton Heston dans les années 1960, un leader de la cause des droits civiques de la communauté noire américaine, quand Michael Moore le réduisait dans son film Bowling for Columbine – film dont Brion ne cite que les prix obtenus à Cannes et aux Oscars mais certainement pas le titre -  à un fanatique assoiffé d’armes à feu et dirigeant de la NRA, association prônant le droit à posséder une arme.

Les secrets d’Hollywood étrillent enfin une génération de fossoyeurs du cinéma et de sa mémoire. Ainsi, régulièrement, Patrick Brion rappelle que certains producteurs seraient bien inspirés de faire ce que ceux du passé glorieux réalisèrent pour produire tant de chef-d’œuvres. Le dernier article intitulé « La mort du lion » confirme alors les regrets de l’auteur d’avoir vu disparaître ou vendre ce qui faisait l’âme de la MGM. Cette major de légende, la plus grande d’Hollywood, passa en 1969 dans les mains d’hommes d’affaires préoccupés exclusivement par la rentabilité et non par le cœur même d’un studio de cinéma : la production de films. Cet article, sorte de conclusion du livre, ferme manifestement la parenthèse de ce qui fit rêver Patrick Brion. Et on ne peut que le suivre tant son raisonnement est limpide, surtout pour des spectateurs européens. Cette histoire d’Hollywood est d’ailleurs une histoire d’Européens partis aux Etats-Unis, avec l’« American dream » comme moteur mais avec encore l’idéal culturel du vieux continent. Tous ces grands producteurs et réalisateurs venaient presque exclusivement d’Europe et ce depuis moins d’une génération. En 1970, les nouveaux producteurs se sont complètement intégrés dans le moule américain, négligeant toute ambition culturelle dans l’industrie cinématographique et se concentrant seulement sur les comptes d’exploitation. L’idéal culturel européen s’était effacé, une forme de cupidité du Nouveau monde l’avait emporté.
Et c’est peut-être là une des limites du livre de Patrick Brion. Son amour pour Hollywood est celui d’un Européen qui se reconnaît dans des comportements d’Européens qui ont su tirer profit de ce que les Etats-Unis permettaient et su oublier ce que l’Europe empêchait : l’idée qu’un « moins que rien » puisse devenir un maître de grand studio, avec la logique créatrice que celui-ci impliquait. Cet âge d’or des majors constitue de fait une synthèse entre deux modèles, celui du risque de l’entreprise, qui correspond si bien au mythe américain et du self made man, combiné au souci de produire une œuvre, que les Européens ne cesse de valoriser au nom peut-être de « l’exception culturelle », même si cette expression est postérieure à l’âge d’or d’Hollywood. Cette synthèse ne pouvait durer bien longtemps et la MGM en fit les frais en premier, soumise aux desiderata d’un capitaliste peu soucieux de préserver un patrimoine dont un Américain moyen a finalement si peu à faire. En concluant par « La mort du lion », Patrick Brion semble cependant occulter, même s’il évoque Coppola et le Nouvel Hollywood, que les studios ont connu sinon une renaissance, du moins une métamorphose, usant des mêmes méthodes que celles qui leur avait permis de prospérer,  c’est-à-dire en recrutant les talents venant du monde entier. Hier d’Europe, aujourd’hui d’Asie ou d’Amérique latine. La bibliographie indicative suivant chaque article est d’ailleurs également à l’image du contenu de son livre. Souvent datée, avec peu d’ouvrages récents. Ce pourrait être un reproche car l’Histoire du Cinéma, comme l’Histoire tout court, ne s’écrit jamais définitivement. Et bien des historiens du cinéma ont travaillé récemment sur la période couverte par Patrick Brion dans son ouvrage. Cependant, l’objet même du livre est de partir des témoignages les plus directs des protagonistes des « secrets ». Or peu sont encore en vie aujourd’hui et leurs mémoires ou entretiens ont été rédigés il y a déjà bien longtemps. Ceci peut expliquer le parti pris de Patrick Brion à recourir aux ouvrages recensant en première main ces sources directes puisque son livre n’est pas véritablement un travail de chercheur. Point de procès d’intention donc à l’encontre de l’auteur de ce livre qui enchantera tout cinéphile et amateur de ce cinéma, capable de faire croire à tout, même en l’existence d’un singe de plusieurs mètres de haut terrorisant New York ! Juste l’idée que, en finissant par « La mort du lion » sans évoquer ce qui a pu être fait depuis, Patrick Brion ne s’est pas remis de la fin de cette période dorée durant laquelle un film pouvait se construire sur la seule confiance entre un producteur, un réalisateur et d’autres artisans du cinéma. Période où un John Ford pouvait en toute humilité, à deux heures et demi du matin, dire à Cecil B DeMille face à une assemblée de réalisateurs réunis pour décider du sort du président de leur guilde : « […] je ne vous aime pas, je n’aime rien de ce que vous défendez, et de ce que vous représentez. » Assurément, Patrick Brion regrette le panache de ces hommes, panache qui a nourri la légende du cinéma en général, d’Hollywood en particulier. N’était-ce pas d’ailleurs ce qu’un journaliste dans L’homme qui tua Liberty Valance rappelait au sénateur interprété par James Stewart ? « Quand la légende est plus belle que la vérité, publiez la légende ». Il ne reste plus à Patrick Brion qu’à illustrer encore et encore ce panache, quitte à en rappeler voire à démythifier les aspects légendaires, en donnant une suite – ou plusieurs - à ses Secrets d’Hollywood. Parce qu’il y en a tant que nous aimerions encore découvrir. Des tournages d’Howard Hawks, de Raoul Walsh, de Robert Parrish, aux mystères de Grace Kelly, Eva Marie Saint, Paul Newman, Steve Mc Queen, Paul Muni, John Garfield, sans oublier La prisonnière du désert, West side Story, Les trois lanciers du Bengale, Scarface, Du silence et des ombres, Mogambo,….

À très bientôt
Lionel Lacour

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