mercredi 27 mars 2013

Dead Man Talking: un pays vraiment imaginaire?

Bonjour à tous,

Quelle joie d'avoir eu en avant première lors des 4èmes Rencontres Droit Justice Cinéma le premier film de Patrick Ridremont Dead man talking. Si la salle a aimé ce film baroque, les intervenants, un juge, Alfred Lévy, un rédacteur en chef de France 3, Antoine Armand et un professeur de droit, Edouard Treppoz ont tous reconnu les mérites évidents de ce long métrage. A en lire les critiques des différents titres de presse, il est évident qu'ils n'ont pas été les seuls. Seul le journaliste de Télérama émet des réserves sur ce qu'il appelle la partie "mélo" du film (http://www.telerama.fr/cinema/films/dead-man-talking,435577,critique.php). Mais en même temps, comme il prétend que le film est une "dénonciation de la peine de mort...", il est à demander s'il a compris le film ou même seulement vu.
Car s'il est une chose que le film ne cherche pas à soulever, c'est bien la question de la peine de mort. En plaçant son histoire dans un pays imaginaire, qui, comme le dit Patrick Ridremont à qui veut l'entendre, pourrait être "la Belgique, la France, le monde, quelque part au cinéma", le réalisateur propose cette peine de mort comme un fait qui ne fait pas débat dans le pays dans lequel se passe l'histoire, pays aux contours manifestement très réduits. Car le personnage principal, William, n'est pas un innocent. Il n'est pas victime d'une erreur judiciaire. Ni même d'une sévérité extrême de la justice. Il aurait été condamné à mort en France avant 1981.
La peine de mort n'est donc ici qu'un moyen de parler de liberté et de contraintes. De montrer combien la vie d'un homme peut servir les intérêts électoralistes d'un gouverneur fantoche et grotesque. De montrer combien  les personnes de média ou de communication savent jouer avec les sentiments les plus vils des individus, flattant leur voyeurisme jusqu'à mettre une exécution capitale en scène, mêlant feuilleton et télé-réalité, et ce dans le seul but de garder ou conquérir un pouvoir, politique ou médiatique.
Dans cet Etat imaginaire, tout le monde se reconnaîtra donc un peu... ou beaucoup. Dead Man Talking est le genre de film qui, revu à des moments différents, renverra forcément à des points d'actualité contemporains du spectateur. Patrick Ridremont, réalisateur belge, était certainement loin d'imaginer que deux présidents de la République française, un ancien et le nouveau, allaient jouer avec la justice mexicaine autour d'une prisonnière française, usant des médias télévisés pour faire valoir leur action. La richesse du scénario permet d'envisager bien d'autres téléscopages futurs avec l'actualité. C'est là toute la force de ce film si étonnant, où tout sonne à la fois faux, puisque les personnages, les situations semblent ubuesques au fur et à mesure que nous les découvrons à l'écran, du curé (grand Christian Marin pour son dernier rôle) qui demande s'il a manqué quelque chose de l'exécution du condamné au producteur de télé réalité qui s'appelle Godwin mais qui veut se faire appeler God, sans oublier l'inénarrable Gouverneur, grotesque à souhait. Mais où tout sonne juste tant nous comprenons que chacun de ces personnages n'est finalement qu'à peine une exagération de ceux que nous connaissons dans "la vraie vie".
Le paradoxe est donc ici: en plaçant ouvertement son film sous l'angle de la fable et du conte (Ridremont invite les Mille et une nuits, les contes de Perrault et autres références notamment esthétiques), en ne cessant de joncher son récit de citations chrétiennes, en faisant du respect de la loi, de la constitution et de la justice une pierre angulaire de l'Etat dans lequel ses personnages vivent, Ridremont fait passer le spectateur par différents sentiments, par différentes appréciations, du réalisme à la "strip-tease", émission belge culte, au surréalisme, autre invention artistique belge. Ridremont bouscule tous les codes cinématographiques, n'en respecte de fait aucun et crée une oeuvre jubilatoire, dans laquelle les personnages sont sincères, dans leurs qualités comme dans leur cynisme. Il porte un véritable regard amusé mais lucide sur notre société où tout est spectacle et dans laquelle un "rien" peut devenir "tout" parce qu'il passe à la télévision, jusqu'à influencer ce peuple si manipulable, obnubilé par ce que la télévision diffuse et qui devient une valeur en soi (l'épisode de Nabila aux Anges de la Téléréalité n'en est qu'une preuve parfaite).
Le film de Patrick Ridremont est donc une fausse comédie, dans laquelle, si on rit de bon coeur, les personnages ne nous laissent pas aller au populisme racoleur si facile de tant de films. Si des personnages sont cyniques, le film ne l'est pas.
Un film intelligent, drôle, divertissant, avec un vrai propos de cinéaste et une liberté artistique rare. Vive le cinéma belge. Vive Patrick Ridremont.

A bientôt
Lionel Lacour


mardi 12 mars 2013

Bande Annonce des 4èmes Rencontres Droit Justice Cinéma

Bonjour,

Le 18 mars 2013 s'ouvriront les 4èmes Rencontres Droit Justice Cinéma à Lyon.
Venez découvrir la bande annonce de ces Rencontres et réservez vos soirées sur le site
www.droit-justice-cinema.fr

A bientôt
Lionel Lacour

samedi 2 mars 2013

Les guerres de la guerre froide au cinéma: Indochine, Corée, Vietnam


Bonjour à tous

Le traitement de la guerre est assez ancien et dès que la caméra a pu être mobile, des services d’opérateurs cinématographiques ont filmé les différents conflits et notamment la 1ère guerre mondiale. Cette même guerre, pour reprendre ce conflit qui fut le premier à avoir été souvent montré sur grand écran, a donné lieu à de nombreux films représentant des faits de guerre imaginaires, romancés, introduisant des personnages fictifs mais qui avaient pour caractéristique de représenter ce que les soldats avaient pu vivre. Du J’accuse ! d’Abel Gance à Sergent York d’Howard Hawks, c’est plus de 20 ans de cinéma qui ont permis de montrer la Grande Guerre dans les salles, la plupart du temps pour en dénoncer les ravages, avec la morale du « Plus jamais ça ». Après 1933, le discours allait changer et le pacifisme se muer en patriotisme voire en ultra-nationalisme.
La seconde guerre mondiale allait modifier un peu la donne en produisant un cinéma pendant cette même guerre mettant en scène « La guerre », quel que soit le camp : Italiens, Soviétiques, Allemands, Britanniques, Français et bien sûr Américains ont représenté leur pays en guerre, développant des histoires mêlant romance parfois à l’eau de rose, épisodes de bravoure et discours idéologiques.
Ce genre fut particulièrement développé aux USA, forts de leur industrie cinématographique puissante au service de l’effort de guerre mené par l’administration Roosevelt qui voyait dans la Warner Bros un soutien indéfectible.
Au lendemain de la Seconde guerre mondiale, ce genre aurait pu sinon disparaître, du moins voir la production de ses films hollywoodiens diminuer. Or il n’en fut rien et ce pour plusieurs raisons :
- ce genre permettait de rappeler aux spectateurs américains l’effort de guerre qu’ils avaient consentis tout en renforçant l’idée que les Américains jouaient désormais un rôle majeur dans le monde grâce à leur intervention sur tous les fronts.
- la guerre s’était certes arrêtée mais les Américains étaient désormais une puissance occupante de l’Allemagne, de l’Autriche et du Japon. C’était autant d’histoires à raconter aux Américains.
- la Seconde guerre mondiale a été suivie presque immédiatement par la Guerre froide dans laquelle le camp occidental se présentait comme celui de la Liberté face à celui du totalitarisme. Dès lors, les films sur la seconde guerre mondiale continuèrent à être produits avec désormais une morale renforcée sur l’aide à la libération des peuples dont les Américains étaient l’instrument la permettant.

Dans ce contexte de Guerre froide et avec l’expertise d’Hollywood pour produire des films représentant un conflit dans lequel les Américains étaient engagés, il n’est donc pas anormal de voir des films sur la guerre de Corée être alors produits par les studios, même ceux plus Républicains.
Parmi ceux filmant ce conflit se trouvent des réalisateurs ayant participé à la 2nde guerre mondiale ou qui ont fait des films pendant cette guerre.
De fait, les films de guerre qui marquent justement l’après guerre sont particulièrement attachés à évoquer, à retranscrire des batailles, des faits de guerre. Deux aspects alors sont présents à l’écran :
- Le film sur une grande bataille qui montre la partie du commandement prendre des décisions et pour lesquelles les soldats ne sont que des pions de la stratégie des Alliés ou des occidentaux. Ce type de film concerne essentiellement les grandes batailles de la Seconde guerre mondiale.
- le film sur le combat mené par des soldats, des régiments, à hauteur d’homme, montrant l’aspect émotionnel, psychologique des combattants, pouvant remettre en cause le commandement ou leur motivation. Si de nombreux films sur la seconde guerre mondiale reprennent cette approche, il est assez étonnant de voir que c’est celle quasiment exclusive pour les films concernant les guerres menées par les Américains ou Français pendant la guerre froide.

Le film de guerre se reconnaît donc à plusieurs caractéristiques communes :
- Film relatant un conflit armé identifiable par les spectateurs et pouvant montrer les deux belligérants mais privilégiant un camp, généralement celui du pays du cinéaste.
- Image de combats divers (chars, avions, fantassins…) ou résultante des combats (blessés, hôpital de campagne…)
- Exacerbation des valeurs humaines : Bien et Mal
- Message idéologique clairement identifiable par le spectateur.

A ces caractéristiques, certains films peuvent apporter des nuances. Celles-ci sont essentiellement sur la distinction du Bien et du Mal.


Évolution dans le temps des représentations des guerres
Les premiers films sur la guerre de Corée ont été tournés pendant la guerre de Corée tandis que celle-ci a ensuite été filmée plusieurs décennies après par des cinéastes qui ne l’ont pas forcément vécue. Idem pour la guerre d’Indochine ou celle du Vietnam.
L’important à identifier est évidemment les spectateurs qui sont visés par le film.
Les films des années 1950 sont destinés aux spectateurs des années 1950.
Il faut prendre conscience que certains messages présents dans ces films peuvent très bien nous passer devant sans que nous ne les comprenions aujourd’hui. Les allusions à des situations politiques, à des personnages publiques, à des références culturelles signifiantes sont autant d’informations qui s’évanouissent si nous ne connaissons pas l’Histoire du pays où est produit le film.
De même, certaines allusions de films postérieurs à l'événement représenté à l'écran renvoient souvent à ce qui peut se passer au moment de la production et pas à la guerre qui est censée être filmée. C'est particulièrement le cas du film Mash de Robert Altman réalisé en 1970 dont le générique présente des images dont le spectateur pouvait les imaginer tout droit sorties de Life magazine. Et le début de l'histoire pouvait bien affirmer haut et fort que le film traiterait de la guerre de Corée, chaque spectateur pouvait comprendre qu'il s'agissait d'autre chose! Sur ce point, je renvoie à mon article de ce blog sur Mash 

Quoi qu’il arrive, il faut comprendre et admettre que plus l’événement est filmé après sa fin, plus l’analyse de ce film en dit autant si ce n’est plus sur, non pas l’événement en tant que tel, mais sur sa portée pour la population du pays qui a vécu ou subi la guerre.
L’absence de films n’est pas forcément, de ce point de vue un marqueur de la non importance de l’événement mais aussi une preuve de l’impossibilité de produire un film portant sur cet événement. Ce vide cinématographique peut se matérialiser par des informations cinématographiques non filmées : statistique du nombre de films portant sur l’événement donné. C’est particulièrement le cas pour la guerre d’Indochine.

ANALYSE CRITIQUE DE LA FILMOGRAPHIE POUR CES GUERRES
La guerre d’Indochine
Cette guerre aurait pu être marquée par de nombreux films tant le théâtre des opérations était propice à des films à grand spectacle (le cinéma américain l’a bien démontré pour la guerre du Vietnam).
Pourtant, la liste est assez courte (14 films notoires) des films réalisés sur ce conflit et près de la moitié l’a été par 2 réalisateurs seulement !
Cette faible production cinématographique est à mettre en relation avec le sentiment évident d’humiliation vécue par la France au lendemain de la Seconde guerre mondiale. Elle démontrait qu’elle n’était plus cette grande puissance coloniale et que surtout, elle n’avait plus les moyens de mener une guerre outre-mer. A cette première humiliation s’en est suivie une autre, celle de la guerre d’Algérie qui fut une autre cruelle défaite, non militaire mais finalement diplomatique, idéologique et politique. Ces deux événements conjugués ont fait que cette guerre d’Indochine a peu été montrée sur grand écran et la grande bataille de Dien Bien Phu a mis près de 40 ans à être le sujet d’un film de cinéma, par un des réalisateurs français qui a le plus montré cette guerre, Schœndœrffer !


Séquence finale du film La gloire et la peur de Lewis Milestone (1959)
La guerre de Corée
Comme l'illustre La gloire et la peur de Lewis Mileston en 1959, le positionnement idéologique américain est assez clair : cette guerre est menée au nom du Containment imposé par Truman. Ainsi, la fin du film de Milestone affirme que ce que les soldats américains ont fait a permis à des millions de Coréens (et peut-être d'autres?) de vivre libres car ils ont repoussé les communistes "rouges" de la Corée du Nord. Les films qui représentent cette guerre sont essentiellement tournés durant les années 1950 et si certains films évoquent la dureté du conflit, notamment due aux combats en zone difficile et pour des motivations difficiles à évaluer pour des soldats américains, il y a peu de films qui remettent en cause cette guerre et ce pour plusieurs raisons :
- 1. Les USA n’ont pas perdu cette guerre
- 2. L’environnement politique américain était globalement très anti-communiste
- 3. La guerre marquait un moment de suprématie des USA sur l’autre bloc et globalement sur le monde,

Curieusement, les films sur la guerre de Corée n’ont quasiment pas produit de grands films au discours dépassant le cadre des spectateurs américains. Pourtant, la liste des réalisateurs est assez prestigieuse : Ford, Walsh, Brooks, Mann, Sirk ou encore Milestone. Mais aucun n’a véritablement produit de réel chef-d’œuvre concernant cette guerre. Samuel Fuller s’est au contraire certainement révélé par deux films qui montraient la guerre dans ses aspects les plus quotidiens, ôtant l’héroïsme si fréquent des films de guerre classiques.
C’est finalement Robert Altman qui allait aussi se révéler aux yeux des critiques, du jury de Cannes et des spectateurs avec MASH. Pourtant le film, s’il évoque bien le conflit de la guerre de Corée, en révèle un autre, en filigrane : celui mené au Vietnam à la même époque où est sorti le film.
Cette guerre sert souvent de référence et est associée à celle du Vietnam, notamment dans Le maître de guerre.

La guerre du Vietnam
Cette guerre doit être comprise par le cinéma comme celle la plus montrée à l’écran depuis la seconde guerre mondiale. Faire une liste exhaustive des films montrant, évoquant ou citant la guerre du Vietnam serait quasiment impossible tant ce conflit a marqué les mémoires collectives des Américains et, paradoxalement, les spectateurs des autres pays. Si la guerre d’Indochine ou de Corée n’ont pas donné de films majeurs (à l’exception de MASH), celle du Vietnam a au contraire donné naissance à des films d’une très haute qualité cinématographique, mêlés il est vrai à d’autres films beaucoup plus médiocres.
Au regard de la production, pléthorique, il faut d’abord constater que cette production est assez limitée pendant le conflit lui-même et John Wayne est finalement un des seuls à produire un film de fiction sur ce conflit alors même que les USA sont encore engagés au Vietnam. Il faut dire que les studios ont souvent été des soutiens sinon inconditionnels mais disons loyaux du gouvernement américain en guerre. Ce fut le cas pour la seconde guerre mondiale. Ce le fut aussi pour la guerre de Corée. En pleine guerre froide, la production cinématographique ne manqua pas de soutenir Truman et ses successeurs pour dénoncer le communisme et son impérialisme sous toutes ses formes, réel ou supposé. Les films maccarthystes furent légion et s’il y a bien eu des films anti-maccarthystes, ils furent souvent postérieurs et/ou par des angles indirects : Les sorcières de Salem (film français adapté de Miller en 1957) ou Johnny Guitar (Nicolas Ray, 1955) ne sont pas forcément des films qui s’adressent à un public populaire et qui attaquent frontalement et nommément les dépositaires des lignes les plus conservatrices des USA.
Il n’est donc pas inintéressant de prendre en compte cet état de fait pour réaliser que peu de films ont dénoncé ou critiqué l’engagement américain au Vietnam alors même que la presse américaine a progressivement puis radicalement pris fait et cause pour un arrêt de cette guerre. Le plus important est cependant ce que le cinéma ne montre pas plutôt que ce qu’il montre. En effet, le nombre de films sur la guerre du Vietnam pendant que celle-ci a lieu est assez faible alors même que l’engagement américain est bien plus important que pour la guerre de Corée que ce soit en durée ou en nombre d’hommes envoyés. Cette quasi inexistence de films, comparée à la surabondance de films produits pendant la seconde guerre mondiale, montre bien que les studios américains restent à la fois fidèle à leur position patriotique mais que cette position ne les entraîne pas non plus dans un enthousiasme débordant à produire des films favorables à l’intervention américaine. De fait, le film de John Wayne se trouve bien esseulé dans la production cinématographique américaine. En revanche, les dénonciations de cette guerre se retrouvent bien au cinéma mais, comme pour la dénonciation du maccarthysme, par des paraboles, des moyens détournés.
Ainsi; Rosemary's baby de Roman Polanski (voir article de ce blog sur ce film) montre l'héroïne en pleine ville entendant un bruit de moteur dans le ciel et, levant les yeux au ciel, aperçoit un hélicoptère à deux rotors. Pour un spectateur américain de 1968, il ne pouvait pas y avoir de doute quant à l'intrusion de la guerre du Vietnam en plein film, sous-entendant que ce conflit dépassait finalement les limites du simple territoire vietnamien. Quant à la séquence montrant la revue du Times dont la une indiquait que Dieu était mort, elle renvoie évidemment aux valeurs pour lesquelles les USA étaient partis en guerre. 
La séquence du mariage dans Voyage au bout de l'enfer de Michael Cimino tourné en 1978 ne disait pas autre chose: les soldats américains partaient pour la gloire de la patrie et pour Dieu!  




















Le chef-d'oeuvre de Francis Ford Coppola
Palme d'or à Cannes, 1979
C'est véritablement après la guerre que  le cinéma américain semble s’être senti poussé des ailes dans la critique et l’analyse de cette guerre. La production est assez importante et même les séries télévisées ont repris ce thème de diverses manières. Pour rester sur cet aspect, ce sont surtout les vétérans qui étaient le centre d’intérêt des séries télévisées. Ces personnages étaient doté d’une épaisseur psychologique très exploitable dans diverses intrigues quelles qu’elles pouvaient être : Magnum est un vétéran du Vietnam ainsi que ses amis, dans Les feux de l’amour (soap américain connu sous le nom de The young and the restless, un des personnages principaux, Jack Abott, a été soldat au Vietnam où il a eu un fils longtemps caché ! dans les premiers épisodes de Dallas, un vétéran vient perturber la relation entre Bobby et Pamela…).
Pour en revenir au cinéma, l’angle d’approche n’est pas si différent mais les moyens donnés beaucoup plus importants. La représentation de la guerre du Vietnam est alors assez proche des reportages de Life magazine, montrant les conditions difficiles pour des soldats envoyés extrêmement jeune si loin de chez eux pour commettre des atrocités au nom des valeurs américaines. Les chef-d’œuvres de Cimino, de Coppola dans les années 70 témoignent de cela sans pour autant vraiment filmer un fait de guerre particulier. C’est davantage le désarroi des troupes qui est montré, les traumatismes psychologiques qui sont filmés que la guerre menée par les USA. Cette approche est possible car Hollywood a changé et, ce qu’on a appelé « Le nouvel Hollywood » est désormais aux commandes des studios, proposant des films plus critiques, moins serviles vis-à-vis de Washington. Le travail entamé par Dennis Hopper dans Easy rider va donc continuer dans les années 1970 et les décennies suivantes.
La guerre du Vietnam au cinéma devient autre chose que cette guerre. Elle va cristalliser d’autres thématiques sur ce conflit, elle va générer sa propre mythologie avec ses héros déchus et ses caricatures. Ainsi, Rambo représente-t-il un personnage absolument profond dans le premier opus de la série (Ted Kotcheff, 1982), vétéran surpuissant et véritable allégorie des USA tandis que le Rambo des autres épisodes représente un autre personnage. Celui de Rambo 2 (réalisé en 1985 par George Pan Cosmatos) fut celui de la libération de prisonniers américains restés depuis des années au Vietnam. Il permettait de montrer la présence (exagérée) des Soviétiques et de culpabiliser une administration américaine trop attentiste et passive, voire bien peu patriotique.

Par cet exemple, c’est bien l’utilisation de cette guerre par différents acteurs qu’il faut identifier. Les soutiens de Reagan vont utiliser la guerre du Vietnam comme un événement repère de ce qu’il ne faut plus faire. Ainsi, quand Rambo libère des Américains dans un camp vietnamiens après qu’ils y sont restés des années, Reagan déclara : « maintenant, je saurai quoi faire dans une telle situation ». On est bien dans l’idéologie « America is back » qui s’observe par de nombreux films montrant le retour d’Américains au Vietnam sous la forme de commandos pour libérer des prisonniers ou défendre les intérêts des Etats-Unis. Ce cinéma regorge de valeurs patriotiques, dénonce les atermoiements de politiciens trop velléitaires ou couards, vante le courage et la force. Il correspond cependant à un vrai sentiment d’humiliation vécu par les Américains. Il faut savoir que la scène de Rambo II le conduisant à sortir les prisonniers américains du camp vietnamien était applaudie par les spectateurs aux USA. On pourrait facilement imaginer qu’il s’agissait d’un public fait de spectateurs de classes très populaires. Ce serait ne pas comprendre la portée même symbolique de cette séquence sur le public. Celui-ci n’était pas dupe et savait pertinemment qu’il s’agissait de cinéma. Mais le film faisait écho à plusieurs années d’humiliation internationale (au Vietnam avait succédé la crise en Iran avec une ambassade américaine prise en otage pendant plus de 1 an) et à l’élection d’un ancien acteur qui promettait un retour des USA sur le devant de la scène internationale.
A cette récupération politique de la guerre du Vietnam répond cependant un autre cinéma, davantage dans la ligne du cinéma des années 1970, développant finalement ce que Cimino et Coppola avaient proposé. De Kubrick à Stone en passant par Eastwood et De Palma, les cinéastes vont apporter chacun leur interprétation de la guerre du Vietnam, que ce soit par une dénonciation de l’armée en tant que tel (Full metal jacket de Stanley Kubrick en 1987) ou de ses exactions couvertes ou encouragées par l’état-major (Platoon d'Oliver Stone en 1988 ou Outrages de Brian de Palma en 1989) ou le sentiment d’humiliation vécue par les vétérans (Le maître de guerre de Clint Eastwood en 1986).

Après 1991, le cinéma américain n’a pas abandonné la guerre du Vietnam mais la production concernant ce conflit a diminué. Plusieurs raisons à cela :
- L’URSS et le bloc communiste s’étant effondré, le discours sur les valeurs américaines ont changé d’angle et d’ennemis : les Serbes, parfois les Français, souvent des extra-terrestres !
- Les USA ont mené d’autres guerres depuis (victorieuses ou pas) : guerre du Golfe, intervention en Somalie… : le récit de ces conflits a alors pris le relais sur les critiques de l’interventionnisme américain et ses réelles motivations.
- Si la guerre du Vietnam marque encore les esprits (cf. 2ème élection de Bush en 2004 face à John Kerry, héros du Vietnam devenu ensuite pacifiste !), d’autres vétérans sont aujourd’hui au cœur des débats, d’autres opposants à la guerre en Irak notamment cristallise les opinions américaine, comme le montrait une des premières séquences du film Les rois du désert de David O. Russel en 1999, évoquant l'exorcisme de la guerre du Vietnam par la victoire de la guerre du Golfe (en 1991). 

Pour conclure, le cinéma montrant ces trois conflits est un cinéma dont il faut déterminer plusieurs aspects :
- A quel moment le film a-t-il été tourné : pendant le conflit, après le conflit
- Quel discours politique majoritaire est mis en avant au moment de la sortie du film ? Est-il en cohérence avec la morale/la théorie du film ?
- Quelle est la portée du film ? Dans le temps – dans l’espace.

Le discours d’un film doit être analysé à l’aune de ces considérations sans oublier que plus un film nous est éloigné, plus il recèle des éléments d’analyse qui nous échappent. De même, plus un film évoquant une guerre passée est contemporain des spectateurs du présent, plus il a des éléments renvoyant au présent des spectateurs, proposant une grille d’analyse du passé pas forcément fausse mais forcément différente d’un document de l’époque étudiée et largement modifiée par les travaux des historiens et les considérations politiques et idéologiques du temps de sa production.
Enfin, certains films ne semblant pas centrés sur le sujet étudié sont des sources très intéressantes car elles témoignent de l’état d’esprit, du reflet du discours global sur la perception de telle ou telle guerre par l’opinion publique à un moment donné.Taxi driver de Martin Scorcese en 1976 ou L'année du dragon de Michael Cimino en 1985 sont des témoignages très puissants sur ce qu'ont pu vivre les Américains partis combattre au Vietnam et qui pourraient être mis en comparaison avec Rambo de Ted Kotcheff.
Il faut donc être particulièrement vigilant dans la présentation de la source (réalisateur, année mais aussi société de production, pays d’origine) pour éviter tout interprétation fallacieuse. Pour éviter ces confusions, il faut de fait toujours se poser la question principale :
QUE DIT LE FILM AUX SPECTATEURS ? Et pour y répondre, il faudra passer aussi par le COMMENT !

Mais ceci fera l'objet d'un autre message, présentant plusieurs approches sur ces guerres, que ce soit par la présentation des valeurs occidentales et américaines, la manière d'évoquer les adversaires asiatiques, de témoigner des exactions perpétrées par les troupes américaines au Vietnam mais aussi dans la spécificité de la guerre du Vietnam dans le traumatisme vécu par tous les Américains.

A bientôt
Lionel Lacour