mercredi 30 janvier 2013

La vie est belle: un chef-d'œuvre salutaire

Bonjour à tous,

peut-on rire du génocide des juifs d'une manière ou d'une autre? Si je reprenais une formule célèbre, "on peut rire de tout mais pas avec n'importe qui." Ainsi pourrait-on faire de l'humour anti-sémite dans un cercle de proches qui seraient convaincus que l'auteur de ce trait d'humour n'est justement pas anti-sémite tandis que la même chose dite à l'emporte pièce à un public large laisserait à penser que l'auteur de cette pensée non seulement est anti-sémite et qu'il a vocation à diffuser cette opinion. Benigni réalisa en 1997 La vie est belle. Et si quelques grincheux trouvèrent à y redire, la majorité des spectateurs comprit que si le réalisateur italien fait rire dans son film, jamais le principe génocidaire est montré comme une farce en tant que telle pour les spectateurs. Seul le fils de Guido, le héros joué par Benigni lui-même, est contraint à voir ce qu'il subit comme un jeu.

1. Peut-on faire une fiction sur le génocide? La spécificité de La vie est belle
Le problème du cinéma traitant d'un sujet aussi grave que le génocide juif perpétré par les nazis est que par nature même de cette forme artistique, il s'adresse à un public large, de toutes opinions, de toutes origines et de tous âges. C'est pourquoi l'humour n'a jamais été utilisé, ou très parcimonieusement, dans les films évoquant cette tragédie, et en tout cas, jamais comme la base même du film. En 1998, La vie est belle de Roberto Benigni est donc sélectionné à Cannes. Connu pour ses rôles de personnage lunaire proche de la Comedia dell'arte, le film de l'acteur italien pouvait apparaître pour certain comme une ambition folle et d'un goût douteux. Certains ne manquèrent d'ailleurs pas de protester contre le film, outrageant la mémoire des victimes du génocide. Des réalisateurs comme Claude Lanzmann à Jean-Luc Godard, en passant par des intellectuels comme Serge Klarsfeld, ils sont nombreux à dénoncer toute forme de représentation fictionnalisée du génocide et des camps, notamment parce qu'il n'y aurait pas eu d'images de cet évènement. Ces arguments semblent être d'autorité mais peuvent rapidement être rejetés et même être dénoncés par leur forme de dictature intellectuelle, qui ferait de l'indicible et l'"in-montrable" la règle d'or pour l'évocation de ce drame.
En effet, comment peut-on en soi interdire l'expression, quelle que soit sa forme, de ce à quoi renvoie émotionnellement le génocide à un auteur ou à un artiste? Quelle loi écrite ou divine imposerait cela? De plus, quand Lanzmann s'impose en "garant de la mémoire" de par son film Shoah, il n'oublie jamais de dire que son film est... un film et  par conséquent que son œuvre répond elle aussi à des contraintes temps liées au cinéma lui-même, quand bien même son œuvre durerait près de 10 heures! Il a forcément fait des choix d'images, de cadrages, des ellipses, des montages. Le produit de son travail, contrairement à ce qu'il affirme, n'est jamais autre chose que le résultat de sa subjectivité, qu'elle soit honnête ou pas, là n'est pas la question.
Et quand Serge Klarsfeld affirmait dans Les inrockuptibles que tout le film de Benigni est marqué par le faux, il confond le travail d'un historien avec celui d'un artiste. Or ce dernier n'a pas la même mission que le premier. Dans le cas de Benigni, s'il a pu se nourrir des travaux d'historiens sur l'Italie fasciste et de la solution finale nazie, sa restitution relève de la dramaturgie cinématographique permettant de toucher plus fortement le public. Et l'argument de faux de ceux critiquant Benigni serait valable si et seulement si le discours du film en viendrait à nier les faits, voire à seulement les minimiser. Il n'en est rien, bien au contraire. Tout le film ne fait que montrer, identifier, critiquer et finalement dénoncer le fascisme et le nazisme dans leur idéologie et dans leur application.
Hélas, et de fait, ceux qui critiquent ce film ne le critiquent pas en soi. Soit ils ne comprennent rien au cinéma, ce qui est probable, se contentant de faire un "vrai/faux" de ce qui est raconté dans le film, oubliant que le message cinématographique n'est pas le travail d'un historien, d'un scientifique. Oubliant aussi que la force du média cinéma est de permettre de créer un lien entre les spectateurs et le message et que ce lien est permis par l'incarnation d'une idée, celle de Guido, libraire juif qui n'est pas le naïf comme je l'ai lu dans de nombreuses critiques ou commentaires mais au contraire un personnage très lucide (voir plus loin dans l'analyse). D'ailleurs, dans le film de Lanzmann, ce lien existe aussi par la force de l'interviewer qui va de témoin en témoin nous raconter une histoire. Soit ils jouent le rôle de censeur de la pensée et de l'expression, ce qui est également possible, certain(s) s'étant auto-proclamé(s) comme dépositaire unique de la représentation cinématographique du génocide des Juifs. À ceci près que la puissance du film de Benigni, n'en déplaise à Lanzmann, est supérieure à Shoah en ce sens que le film s'adresse à un public plus large et de fait, a été vu par bien plus de spectateurs. Quand Lanzmann touchait un public de convaincus prêts à rester près de 10h au cinéma ou un public scolaire captif, le film de Benigni attira lui un plus large public, venu peut-être rire, mais au final, ayant reçu un véritable message anti-fasciste que son personnage principal aura distillé sans ambiguïté. Shoah est une œuvre majeure. La vie est belle ne l'est pas moins.

2. La dénonciation des totalitarismes bruns
Benigni commence son film en abordant à la fois le sujet et le ton qui sera présent pendant près de deux heures. 1939, en traversant dans une voiture sans freins un village dans lequel la population s'est rassemblée, Guido - Benigni - fait signe à tous de s'éloigner pour ne pas les écraser. Son geste de la main ressemble à s'y méprendre au salut fasciste que tous lui rendent d'ailleurs. Dès cet instant, le propos du film est donné: il traitera de l'Italie fasciste et s'en moquera. Et l'arrivée du roi d'Italie après Guido confirme cela: il est petit et visuellement "écrasé" par sa femme, faisant de lui un personnage ridicule d'autant plus qu'il est salué par le geste symbolisant non la monarchie mais le parti fasciste et donc Mussolini.
Dès lors, toute la première partie du film sera l'occasion d'évoquer la folie fasciste dans ce qu'elle a de ridicule mais aussi d'abject. Par exemple, le salut fasciste sera repris au moment d'une cérémonie de fiançailles par un fasciste manifestement borné. L'administration tatillonne de l'Etat fasciste, l'expansionnisme éthiopien sont raillés avec fantaisie mais avec justesse également, faisant de cette Italie un pseudo Etat puissant. Mais c'est surtout dans sa manière de dénoncer la dérive nazie du l'Italie que Benigni apporte progressivement sa critique. Arrivant chez son oncle, celui-ci est alors victime d'une agression chez lui, traitant les coupables de barbares. Nous n'en saurons pas plus alors. Jusqu'à ce que nous retrouvions ce même oncle avec son cheval peint en vert sur lequel est écrit "cheval juif". Il traite alors ceux qui ont fait cela de barbares. Nous comprenons à cet instant que l'agression première était l'œuvre d'antisémites.


Alors, la séquence dans laquelle Guido, se faisant passer pour un inspecteur pédagogique fait l'apologie de la race aryenne à des petits Italiens tout brun, n'en prend que plus de sels rétrospectivement. Le voir vanter et magnifier toutes les parties de son corps comme autant de preuve de sa supériorité sur d'autres races vient de fait ridiculiser l'idéologie nazie diffusée en Italie. Par la suite, cette première partie du film propose régulièrement des points sur la difficulté de vivre dans un pays anti-sémite quand on est soi-même juif. De la difficulté à s'exprimer librement en critiquant l'administration au risque de se voir dénoncer par des simples citoyens (Guido se reprend notamment quand allant se moquer d'un fonctionnaire, il découvre que son interlocuteur a appelé ses fils Adolfo et Bénito!) aux magasins stigmatisés pour être des magasins tenus par des juifs en passant par les lieux interdits aux chiens et aux juifs, rien n'est occulté par Benigni, et encore moins l'horreur de la rafle dont il est la victime ainsi que son oncle et son fils.

La deuxième partie du film renvoie alors à la déportation en elle-même. Des wagons dans lesquels sont entassés les Juifs au camp lui-même, Benigni reprend avec une économie de moyens et de reconstitution les moyens mis en œuvre pour la solution finale. En faisant arriver le train au cœur du camp, le spectateur averti peut reconnaître Auschwitz. Mais que ce soit ce camp ou un autre, cela importe peu. C'est le système concentrationnaire qui est filmé avec ses différents aspects: baraquements où règne promiscuité, froid, faim et manque d'hygiène, tenues rayées, tatouage des numéros de déportés, brutalisation des corps des déportés travaillant dans des conditions inhumaines, extermination des enfants et des vieillards, évocation des douches dont tous les spectateurs comprennent la réelle fonction, des fours crématoires, transformation sordide des victimes en savon ou autres produits.
Sans en avoir l'air, Benigni montre aussi les stratégies de survie mises en œuvre par les déportés. Se cacher, se substituer à d'autres, aider le camarade en difficulté, communiquer par tous les moyens sont autant de détails certes le plus souvent au service de l'histoire d'amour qui unit Guido à son fils et à sa femme Dora, mais qui incarne de manière subtile la (sur)vie dans ces camps.

Pourtant, malgré tous ces détails, nombreux furent ceux, comme signalé plus haut, qui ont dénoncé les inexactitudes ou erreurs historiques du film. La présence de Josué le fils de Guido apparaît comme effectivement incongrue. De même, il est fort à douter que le charnier que Guido découvre la nuit ait pu être vu par un déporté déambulant dans un camp le soir. Quant à la libération du camp par les Américains, ce fut pour beaucoup le coup de grâce quant à la crédibilité finale du film. Pour ce dernier point, deux explications peuvent être apportées. La légende évoque le fait que, face à cette erreur, Benigni aurait justifié la libération du camp par les Américains par un "Ma, c'est pour l'oscar", qu'il obtint d'ailleurs. Plus sérieusement, il insiste aussi sur l'aspect "anhistorique" du film. Ce qui est important pour lui, au-delà du contenu factuel, c'est bien de dénoncer toute idéologie portant atteinte à la dignité des hommes. Son histoire est une fable, pas une comédie. Et si le spectateur rit, il le fait de moins en moins quand l'action se passe dans le camp. Et quand le rire vient, il n'est jamais à l'égard du nazisme mais bien dans le point de vue adopté par le réalisateur. Seuls les spectateurs rient... et Josué. Jamais les autres déportés ne rient, que ce soit dans le camion après leur rafle, dans le train ou dans le camp. Le discours est même encore plus intense quand l'espoir semble naître pour Guido et sa famille. En effet, nous découvrons que le médecin du camp, interprété par Horst Bucholtz, se trouve être un client avec qui s'était lié d'amitié Guido en Italie et avec lequel ils échangeaient des traits d'esprits. Alors que Guido se trouve dans un camp de la mort, il croit comprendre que ce médecin va pouvoir le libérer avec sa famille. Or il comprend que les signes de compassion du médecin ne sont en fait que souci de pouvoir trouver la réponse à une énigme insignifiante au regard du sort qui attend Guido. Celui-ci comme le spectateur comprend lucidement qu'il n'a rien à attendre d'un nazi et qu'il devra trouver seul une solution pour sauver son fils.


3. Et la fable dans tout cela?
Comme toutes les fables, il faut une morale. Celle-ci est distillée dans tout le film et ce dès le début. Le geste pour repousser les piétons pris comme un salut fasciste en est le prémisse. Les gens croient ce qu'ils sont prêts à croire. Le roi étant annoncé en voiture et voyant un homme en voiture semblant les saluer, ils en ont alors déduit qu'il s'agissait de la voiture du roi! Dans ce gag burlesque, le personnage de Guido ne contrôle rien ce qui ne sera plus le cas ensuite. Tout le film est marqué par sa capacité à faire croire aux autres ce qu'ils sont prêts à croire et à la possibilité que chacun a de faire changer les choses. Ironiquement, son ami lui évoque Schopenhauer, philosophe particulièrement apprécié d'Hitler, qui expliquerait que la volonté de chacun permet d'obtenir ce qu'il souhaite. Guido semble alors en déduire qu'il peut ainsi obtenir ce qu'il veut par sa seule force de persuasion. Ainsi séduit-il Dora en se faisant passer pour son fiancé, en lui faisant croire entre autres que les clés lui tombent du ciel ou que son chapeau mouillé est échangé par un homme par un chapeau sec ou encore en l'enlevant le jour de ses fiançailles... avec un autre homme! Cette capacité à arranger son présent n'est jamais montré comme une manipulation perverse mais bien comme une manière optimiste de vivre malgré les difficultés. Cette approche de la vie en société qui relève d'une forme de sagesse, il l'appliquera sans cesse et notamment pour son fils.
En effet, le personnage de Guido ne nie pas la réalité du fascisme et encore moins celle du nazisme. Il aspire juste à faire que son fils ne vive pas l'horreur d'une telle idéologie. Laisser croire que l'Homme est bon en soi, que les insultes anti-sémites quotidiennes ne sont pas sans importance mais qu'elles ne doivent pas entamer le vrai sens de la vie, à savoir l'amour pour ses proches. Celui-ci est immense et passe dans le film par des multiples attentions de Guido ou de Dora l'un envers l'autre, aux conséquences parfois dramatiques. Ainsi Dora ne peut se résoudre à voir son mari et son fils déportés sans qu'elle ne le soit. Il n'y a aucune lâcheté de sa part. Guido quant à lui ne cesse d'envoyer des témoignages de sa survie à Dora dans le camp à ses risques et péril. Cette valeur fondamentale qu'est l'amour de son prochain conduit alors à donner du sens à toute la barbarie nazie du processus d'extermination. La force de Guido réside en cela. En aucun cas il ne fait de la vie en camp un jeu, contrairement à ce que certains critiques ont écrit. Il ne joue pas lui-même, subissant la faim, la dureté du travail à l'usine et d'autres souffrances. Mais il invente un jeu aux règles connues de lui seulement et de son fils et dont le secret permet justement d'atteindre le premier prix: un vrai char! Toute la philosophie de Guido réside alors dans le fait que chacun croit ce qu'il est prêt à croire. Cela relève de la manipulation de l'esprit sans aucun doute puisque ce qui arrive est vécu comme un miracle (comme Guido qui en appelle à une clé venue du ciel devant Dora et qui tombe alors miraculeusement devant les yeux stupéfaits de la jeune femme, ignorant que Guido l'avait manipulée tel un illusionniste!) ou comme une évidence. Si Josué ne voit pas d'enfant dans le camp, cela s'expliquerait donc parce que tous se cachent pour gagner des points pour le premier prix. S'il entend ce qu'on fait du corps des victimes du gazage, cela devient des sornettes pour l'effrayer et lui faire renoncer au jeu. En donnant du sens à la déportation qu'un enfant de cinq ans est prêt à comprendre, Guido n'en occulte pas l'horreur du camp. C'est même exactement l'inverse. C'est bien parce que le sens est insupportable, incompréhensible, inaccessible à l'intelligence qu'il décide de protéger son fils. Avant sa découverte du charnier de corps entassés, Guido se demande s'il ne rêve pas. La vision qui suit le renvoie alors au cauchemar.
Les pitreries de Guido dans le camp nous sont toujours montrées en relation avec son désir de faire "la vie belle" à son fils. Ainsi, jusqu'au bout et alors qu'il est arrêté par un SS, Guido marche au pas tel un pitre devant la mitraillette du nazi, sachant que son fils, caché mais pouvant le voir, le regarde. Il n'y a aucune fanfaronnade de sa part. Mais un jusque boutisme d'un père qui, alors que les nazis sont en débandade, espère que son fils survivra à lui.






Jusqu'au bout, le film s'appuiera alors sur cette idée que chacun croit ce qu'il aura été prêt à croire. Et alors que Guido n'est plus, l'entrée du char américain dans le camp devant Josué lui laisse penser que comme son père le lui avait dit, il a gagné le jeu et que ce char en est sa récompense. Ce qui peut ressembler à une coïncidence relève en fait d'autre chose. Cela revient à ce que Guido a cru apprendre de Schopenhauer. Chacun peut changer les choses et peut importe que ce qui change soit dû à autre chose que sa propre volonté. Quand il essaie de réveiller son ami qui dort en prononçant des paroles relevant des formules de magicien, peut importe que celui qui se réveille le soit par le bruit dans ses oreilles que par la volonté de Guido. Ce que ce dernier a compris, c'est que ce qui compte est la perception finale. Sa volonté a permis de le réveiller.


Il en est donc de même pour le char. Peu importe que Josué n'ait pas gagné un jeu qui n'existait pas. L'important est que la venue du char confirme son existence et que ce qu'il aura vécu dans le camp était effectivement un jeu. En cela, Guido aura, en sacrifiant sa vie, permis à son fils de traverser la barbarie exterminatrice des nazis. Lui seul l'aura vécu ainsi et aucun autre que lui. Pas l'ensemble des déportés. Pas Dora et encore moins Guido. Pas même les spectateurs qui n'auront jamais été mis à l'écart de la vérité des camps. Benigni joue sur ce que savent les spectateurs de ces camps. Il en a montré tous les éléments témoins de la folie de l'idéologie nazie. Si le film est une fiction, si le propos est une fable, en aucun cas Benigni n'aura fait un faux comme l'affirme Serge Klarsfeld puisqu'il na jamais affirmé avoir fait une oeuvre d'historien. C'est au contraire un VRAI film salutaire qui éveille les consciences autrement. Et lui refuser de le faire ainsi est bien plus condamnable que les entorses qu'il a faite à l'Histoire.

A très bientôt
Lionel Lacour


vendredi 11 janvier 2013

4èmes Rencontres Droit Justice Cinéma: le programme se précise!

Bonjour à tous,

pour sa 4ème édition, les Rencontres Droit Justice Cinéma vont proposer 5 journées d'événements mêlant cinéma et débats sur la justice. Organisées par le Barreau de Lyon et l'Université Jean Moulin Lyon 3, elles se tiendront du 18 au 22 mars 2013.

La soirée d'ouverture aura lieu à l'Hôtel de Région Rhône-Alpes qui accueillera le Président de la Cour des Comptes, Didier Migaud, comme président de cette édition. Il donnera une conférence sur "Etat, faillite et cinéma" analysant des extraits de films illustrant cette thématique. Jean-Jacques Bernard, rédacteur en chef de Ciné + Classic le questionnera à cette occasion.
Autre point d'orgue de ces 4èmes Rencontres, la remise du Prix du film français de droit et de justice. Il sera remis à Stéphane Cazes pour son film Ombline. Premier long métrage salué par tous les votants pour désigner le lauréat du prix. Le réalisateur participera ensuite à un débat à l'issue de la projection de son film. Il sera accompagné de son actrice principale, Mélanie Thierry.
Le reste du programme est tout aussi passionnant avec pas mal de nouveautés.
Toutes les informations sur le site www.droit-justice-cinema.fr et sur la page facebook des Rencontres.

A bientôt
Lionel Lacour

jeudi 10 janvier 2013

Anticipation ou science fiction?

Bonjour à tous,

 Régulièrement sortent des films dits de science-fiction ou d'anticipation. Selon certains, il s'agit en fait du même genre désigné de manière différente puisque tous les deux se passeraient dans le futur et que peu importe jusqu'où irait ce futur. Quand Georges Méliès tourna Le voyage dans la Lune en 1902, il proposait un film que certains désignent comme le premier film de science-fiction tant il paraissait improbable, même si rêvé, que l'Homme puisse se rendre véritablement sur la Lune. En s'y rendant de fait en 1969, le film pourrait apparaître aujourd'hui comme un film d'anticipation dans le sens premier puisque qu'il a bien proposé une réalité qui allait se vérifier dans le futur.De fait, les deux genres envisageraient alors à quoi pourrait ressembler ce futur, l'expression "science-fiction" reposant sur des mutations ou bouleversements scientifiques. Pourtant, beaucoup différencient ces deux genres sans toujours pouvoir expliquer la singularité de chacun. S'il existe une vraie originalité pour l'un comme l'autre, cela n'est pas seulement une question cinématographique au sens propre du terme puisque cette distinction existe de fait dans la littérature. La vraie différence, hormis celle que je vais proposer, relève aussi de l'intention du réalisateur dans sa volonté d'aborder une histoire, avec un supplément à la littérature qui est la construction d'un univers visuel qui ne laisse pas court à l'imaginaire du spectateur. Alors? Deux genres différents? Vraiment?

1. Science fiction face à l'anticipation: une question de science?
A quoi renvoie les termes de science et de fiction dans "science fiction"? Si la science-fiction invente des nouveaux gadgets ou autres produits inexistants à notre présent, il n'y a donc rien de scientifique là dedans. C'est comme imaginer que les hommes puissent voler sur terre parce qu'un scientifique aurait compris comment compenser bio-mécaniquement notre impossibilité à nous élever du sol naturellement. Rien aujourd'hui scientifiquement ne permet de l'imaginer. En revanche, montrer que les hommes volent dans un futur parce que la génétique aurait permis d'introduire des nouveaux éléments allégeant notre squelette et modifiant notre anatomie, ou parce que la cybernétique permettrait des greffes permettant de voler, cela serait en effet le produit de la science, mais celle que l'auteur connaît et dont il envisage un développement concret dans son film, que celui-ci se passe à n'importe quelle époque d'ailleurs. Là se retrouve le terme de "fiction" de science-fiction. Et peu importe que cela soit faisable ou pas. Le spectateur accepterait une réponse scientifique à l'incongruité de voir un homme voler parce qu'il en comprendrait approximativement le principe. Et il importe peu que cela se passe dans le futur. Jurassic park de Steven Spielberg avait comme postulat initial que l'ADN fossile permette de recréer des dinosaures. Ceci est strictement impossible, du moins aujourd'hui. Mais l'idée était envisageable par les spectateurs informés de ce que l'ADN permet et de ce qu'il contient, à savoir le code génétique. Ainsi, les films utilisant les inventions scientifiques se fondent toujours sur une réalité scientifique, certes extrapolée, mais préexistante. La "fiction" relève donc de la mise en scène de la science et de la technologie existante. Sans cette réalité, cela ne devient plus de la science mais du film fantastique, genre dans lequel est donné aux spectateurs des informations invérifiables mais qui doivent être admises pour apprécier l'histoire et, pour revenir à l'homme volant, qu'il faudrait l'accepter en soi et non comme une réalité scientifique. Et pour en finir avec cet exemple, le seul homme volant acceptable en tant que spectateur, c'est Superman. Mais là encore, le spectateur ne l'accepte que parce que justement, ce n'est pas un homme et qu'il vient d'une autre planète. Rien de scientifique en soi puisque aucune civilisation extraterrestre n'a été découverte. Mais la probabilité de l' existence dans d'autres galaxies d'une vie semblable à la Terre ne fait qu'augmenter au fur et à mesure des découvertes des astro-physiciens. Et cela renforce paradoxalement la crédibilité de l'existence de Superman! Pour en revenir donc à la science, ce n'est pas elle qui va différencier les films d'anticipation ou de science fiction puisque les éléments scientifiques des films de science-fiction ne sont jamais qu'une anticipation de ce qu'ils permettraient de créer.

2. Science fiction face à l'anticipation: une question de temps filmé?
À quelle époque un film de science-fiction est-il censé se dérouler? Dans le présent? Dans le futur? Dans le passé? Retour sur Jurassic Park. L'action est contemporaine à celle des spectateurs. Rien dans le film n'indique d'ailleurs une autre période. Tous les éléments technologiques présentés dans le film existent, des véhicules aux matériels de laboratoire. Spielberg joue alors sur toutes les échelles temps, évoquant un passé révolu, le temps des dinosaures étudié par des paléonthologues du présent des spectateurs et "ressuscités" par un scientifique se projetant dans le futur. Ces trois temporalités se superposent dans l'île accueillant les dinosaures. Quel statut alors donner à ce film? Film de science-fiction puisqu'il s'agit bien d'une application supposée d'une technologie issue des découvertes scientifiques? Film d'anticipation puisque justement est envisagé ce qui pourrait avoir lieu dans l'avenir, même si Spielberg situe l'action de son film au présent de ses spectateurs de 1993. Dans ce cas précis, la différence entre les deux genres est bien difficile à faire. D'autant que le réalisateur rajoute de fait d'autres genres à son film par l'évolution de son scénario, transformant son film en film d'horreur!
Dans Retour vers le futur et ses suites, Robert Zemeckis proposait de 1985 à 1990 une logique inverse de celle de Spielberg en éclatant justement les unités de temps, permettant aux héros du films de voyager dans le temps et de modifier le cours de l'histoire des personnages, voire de l'Histoire tout court! Le film relève bien de la science-fiction puisqu'il part de principes scientifiques de l'existence d'une dimension temporelle à l'intérieur de laquelle il serait possible de voyager. Je passe sur les moyens utilisés par Doc pour le faire mais qui, bien que farfelus, s'appuient sur une démonstration qui se veut scientifique! Mais pour autant, le film évoque de nombreuses anticipations sur ce que sera le futur. Ainsi, quand Marty Mc Fly interprété par Michael J. Fox, projeté dans les années 1950 à l'époque où ses parents se sont connus, entame un solo de guitare électrique à la fête du lycée de son père, il stupéfie l'assistance par la dissonance et la violence de son interprétation. Il ne fait pourtant qu'anticiper ce qui va se passer quelques années plus tard pour les contemporains de 1955, ce qu'il affirme d'ailleurs en s'adressant au public: "vos enfants vont adorer!" Dans le troisième volet, Marty et Doc vont dans le futur et le premier va involontairement provoquer une modification du cours de l'Histoire, faisant des USA un monde voué à l'anarchie et dominé par un être richissime sans aucune morale. Le spectateur peut y voir une certaine appréhension du futur si rien n'est fait pour empêcher que les plus riches dirigent le monde sans contre pouvoir. Dans ce cas précis, ce n'est pas la science qui directement transforme le monde. Elle n'aura été qu'un catalyseur puisque c'est Marty qui, par ses voyages dans le temps, a interféré le cours de l'Histoire. Mais, en enlevant la cause (pseudo)scientifique, ce qui est présenté aux spectateurs est un bouleversement crédible et à la fois effrayant. La réponse de Marty et de Doc apparaît comme en fait double: celle liée au film dans lequel les personnages veulent corriger l'erreur commise; et celle proposée aux spectateurs qui sont censés comprendre que sans vigilance démocratique de leur part, la destinée de leur pays pourrait être prise en main par des puissants et immoraux capitalistes sans scrupules.


LA tempête electromagnétique et transtemporelle
de Nimitz, retour vers l'enfer
Dans Nimitz, retour vers l'enfer de Don Taylor en 1980, l'action plonge un Porte-avion nucléaire américain de 1980 vers le passé, le 7 décembre 1941 par une tempête électromagnétique qui aurait bouleversé le continuum temps. Il ne peut s'agir en aucun cas d'un film d'anticipation pour les spectateurs puisqu'il n'est pas annoncé ce qui arrivera après 1980. L'anticipation peut au mieux être pour les Américains de 1941 qui voient sous leurs yeux des machines de guerre dotées de technologies qui n'existent pas encore ou qui en sont seulement dans leur phase de développement. Ce qu'ils voient relève donc aussi de la science-fiction. Le spectateur doit accepter lui aussi un fait scientifique supposé, expliqué dans un vocabulaire lui aussi scientifique par différents membres de l'équipage du porte-avions. Ce film, dont la qualité n'est pas le sujet dans cet article, n'est que de la science-fiction bien que l'action n'évoque que le présent et le passé tout en évoquant aussi le futur... mais celui de certains personnages du film, jamais des spectateurs!
Ainsi, dans l'approche de définition par l'époque qui est représentée, il est difficile d'établir ce qui distingue science-fiction de l'anticipation quand il s'agit du futur voire du présent. C'est déjà plus clair quand il s'agit du passé.



3. Science fiction face à l'anticipation: une question de rapport au présent
La dernière différence qui pourrait être faite entre les deux genres serait alors une question de rapport au présent du spectateur qui se retrouve dans les films. Comme je l'ai déjà évoqué dans de nombreux articles, le spectateur, quel que soit le film qui lui est destiné, projette obligatoirement son présent dans les films qu'il voit, quelle que soit la période filmée. Et, paradoxalement, un Français comprendra mieux un film dont l'action est censée se passer dans un système solaire distant de milliers d'années lumière si le film est fait par un Français ou un Américain qu'un film réalisé par un Turkmène racontant le présent de son pays, tout simplement parce que le premier film est réalisé par un metteur en scène s'adressant à des spectateurs de sa civilisation et qu'il insère des codes identifiables par ceux-ci, quand bien même l'action se passerait dans une civilisation extraterrestre extrêmement lointaine. Les codes turkmènes ont en revanche peu de chance d'être compris, surtout s'ils renvoient à une culture historique ou politique du pays.
Une fois admis cela, il suffit désormais de regarder deux exemples de films célèbres classifiés chacun dans un des deux genres. Soleil vert, réalisé par Richard Fleischer en 1973, est identifié habituellement comme un film d'anticipation. Quant à La guerre des étoiles, réalisé par George Lucas en 1977, elle fait partie incontestablement des films dits de science fiction. Ce dernier se passe à une époque et un lieu absolument pas en lien avec notre temps et notre espace. L'aspect scientifique est largement présent dans toutes ses dimensions: androïdes, intelligence artificielle, moteurs permettant d'atteindre la vitesse de la lumière, énergie utilisée en rapport, véhicules étranges mais aussi développement des forces mentales, sabres laser et autres inventions à partir de matériaux ou produits plus ou moins imaginaires. L'aspect extra-terrestre permet des fantaisies dans le bestiaire et pourtant, beaucoup de ressemblance avec notre monde, y compris et surtout dans les relations entre les individus, de races (on peut parler ici de races) ou de sexe différents, et dans les rapports de pouvoir. De tels récits confèrent à ces films un statut de parabole sur le présent et n'envisagent en fait pas que notre monde se transforme ainsi. Loin d'imaginer que le futur pourrait être comme dans La guerre des étoiles, le spectateur reconnaît assurément son présent dans le film, par principe d'analogie, de "projection-identification" comme l'écrirait Edgar Morin dans Le cinéma ou l'homme imaginaire (1956). Et chacun est libre de reconnaître dans Darth Vader tel ou tel dictateur. En fait, parler d'un futur nettement différencié du présent du spectateur est comme représenter un passé lointain. Science fiction et film "historiques" ne seraient pas si différents en soi dans l'approche. Et plus le temps montré s'éloigne du présent, dans le passé ou dans le futur, plus il parle du présent.
Soleil vert: Film d'anticipation dont l'aspect "innovation scientifique"
n'allait pas plus loin que des jeux vidéos dépassés
15 ans plus tard alors que l'action se passe au XXIème siècle!
Et c'est sûrement dans ce point que réside la différence avec le film dit d'anticipation. En effet, ce genre de film part justement du présent pour reconnaître dans ce cas un futur proche du spectateur. L'action du film de Richard Fleischer se passe à peine à 60 ans du présent du spectateur de 1973. En prenant une photographie économique, scientifique, sociale et sociétale du monde occidental, il en fait alors une extrapolation en caricaturant ce que chaque problème du présent pourrait donner dans le futur, futur que certains des spectateurs connaîtrait soit directement, soit par ce que leurs enfants le vivront. Cette caricature est alors généralement transposée dans un univers reconnaissable, avec des éléments du présent du spectateur et des modifications technologiques pas aussi remarquables que dans les films de science-fiction. L'univers urbain de Soleil vert est très proche de celui des contemporains de la sortie du film. Peu de technologie d'avant garde, si ce n'est un jeu vidéo novateur pour 1973 mais dépassé depuis les années 1980, ce qui montre bien que l'imagination ne peut envisager la puissance des progrès technologiques. L'anticipation relève en fait de l'évolution des relations entre les groupes sociaux, des conséquences de l'économie capitaliste et des progrès entraînant la sur-consommation. Le film est apocalyptique et accumule les réquisitoires contre les excès de la surproduction sur la vie sur Terre, celle des hommes en particuliers, cette de toutes les espèces vivantes en général. La différence avec le film de science-fiction réside alors dans le fait que le spectateur peut avoir la main sur ce à quoi peut ressembler son futur. Ce n'est absolument pas le cas dans des films comme La guerre des étoiles ou Dune et autres films de science-fiction. En corrigeant le comportement des individus, en agissant sur la surconsommation, l'avenir promis par Fleischer peut ne pas avoir lieu. Le film d'anticipation  a pour volonté de provoquer une prise (crise?) de conscience chez le spectateur, espérant qu'il adhère au message et qu'il agisse ensuite. Rien de tel dans le film de science-fiction.


4. Science-fiction, anticipation ou les deux à la fois?
Pour reprendre les deux exemples précédents, il est assez clair que l'un et l'autre appartiennent chacun à un genre différent. En revanche, certains exemples précédents peuvent correspondre à deux genres en même temps. Ainsi Jurassic Park, outre son caractère horrifique est à la fois de la science-fiction dans l'application des technologies appliquées à des découvertes archéologiques et biologiques, mais aussi de l'anticipation dans ses aspects éthiques sur la manipulation génétique et ses conséquences non maîtrisées. Dans retour vers le futur III, la virée spatio-temporelle dans le futur et la perturbation du continuum historique est bien un mélange de science-fiction, application farfelue de la relativité d'Einstein notamment, et d'anticipation avec le recul de la démocratie au profit d'un potentat lié à l'argent. Et c'est bien Marty, personnage contemporain des spectateurs, qui agit pour rétablir le cours de l'Histoire (et de l'histoire) qui se trouve être celle des mêmes spectateurs.
Certains films peuvent même se transformer en passant d'un genre à l'autre. Dans La planète des singes de Franklin J. Schaffner réalisé en 1968 (voir article sur les différentes versions de La planète des singes: "La planète des singes: le mythe régénéré; Le retour de la planète des singes?) l'ensemble du récit relève de la science-fiction puisque l'action amène des astronautes américains contemporains des spectateurs sur une planète située à des milliers d'année de leur présent, grâce à une technologie aérospatiale que ni la Nasa ni les agences spatiales soviétiques ne maîtrisent encore. Dominée par des singes, l'action relève clairement de la parabole. Et même si les spectateurs peuvent se reconnaître dans le personnage de Taylor, humain interprété par Charlton Heston, en aucun cas ils ne peuvent se sentir impliqué dans la possibilité de changer le destin de la planète en agissant dès 1968! Tout au mieux peuvent-ils se demander ce qu'ils feraient à sa place! Et malgré les éléments d'identification pouvant permettre de trouver un lien entre les humains de la Terre et ceux de cette planète, les spectateur reste plongé dans la certitude d'appartenir à un autre monde. Pourtant, dans la célèbre scène finale du film, le spectateur passe du film de science-fiction à celui d'anticipation en quelques secondes, par un choc à la fois esthétique mais surtout symbolique. Par cette statue de la liberté ensablée, les spectateurs font le lien entre cette planète et la leur puisque c'est la même. Ils comprennent alors que la guerre atomique a détruit leur civilisation, permettant à une civilisation simiesque de dominer une humanité retournée à l'état sauvage. Film d'anticipation donc et surtout parce qu'à ce moment là,  il y a une prise de conscience que pour éviter ce spectacle, l'Homme de 1968 peut agir.

La liste est donc longue de tous ces films qui jonglent avec ces deux genres. Andrew Niccol, que ce soit dans Bienvenue à Gattaca en 1997 ou plus récemment dans Time out en 2011, s'est fait un malin plaisir d'associer les deux. On y retrouve à la fois l'application de technologie extrapolée sur des êtres humains, la génétique associé à la nanno-informatique notamment, à des éléments du présent, voire d'un proche passé des spectateurs. Il est amusant à ce propos de voir des Citroën DS dans ces deux films!




Pour conclure, il est donc évident que la distinction entre les deux genres que sont la science-fiction d'un côté et l'anticipation de l'autre est délicate à faire en ce sens où l'un peut servir l'autre. Mais il y a une réelle différence puisque certains films peuvent être de pure science fiction tandis que d'autres ne sont que de l'anticipation. Ce qui change est donc le rapport au présent et la volonté du scénariste et/ou du réalisateur de l'évoquer. Dans la science-fiction, c'est le présent du spectateur qui est présenté sous forme de parabole, de conte ou de fable. Dans l'anticipation, c'est le futur qui est décrit à partir du présent des spectateurs qui sont impliqués à la fois dans le film lui-même - que feraient-ils à la place des héros - et dans leur présent - peut-on éviter que ce monde présenté dans le film n'advienne? Pour ces spectateurs, l'aspect "science-fiction" des films d'anticipation passe finalement au second plan car les références à leur propre monde sont trop fortes. Le contre-exemple étant peut-être Jurassic Park et autres du genre car ce type de films mêle finalement d'autres genres encore: film d'horreur, comédie...
Il est donc important pour tous ceux qui travaillent sur les films comme source, que ce soit en Histoire, en Géographie, en Sociologie, Philosophie et autres sciences humaines de bien distinguer ces genres, quand bien même ils s'entremêleraient dans les films. Le message n'est pas le même, que ce soit celui émis par le réalisateur ou reçu par les spectateurs.

A bientôt
Lionel Lacour

Poursuivez la thématique avec ces trois articles:
Soleil vert au Festival Lumière 2011
La planète des singes: le mythe régénéré
Le retour de la planète des singes?

lundi 7 janvier 2013

Rencontres Droit Justice Cinéma 2013: séances lycéennes

Bonjour à tous,

pour la 4ème année, les Rencontres Droit Justice Cinéma organisées à Lyon par l'Université Jean Moulin Lyon 3 et le Barreau de Lyon proposent des séances réservées aux Lycéens.


Ces séances sont accompagnées d'un dispositif pédagogique dans lequel les enseignants peuvent faire intervenir en amont de la projection des étudiants de l'IDAC (Institut de Droit de l'Art et de la Culture) en Master 2 "Droit du Cinéma, de l'Audiovisuel et du Multimédia". Ils viendront présenter l'intérêt cinématographique, juridique et judiciaire du film que les élèves iront voir.

Une fiche pédagogique sera également proposée aux enseignants et à leurs classes.


Un débat après la projection du film projeté dans nos cinémas partenaires.


programme:

à L'Institut Lumière:  mardi 19 mars 2013 à 10h
Soleil Vert de Richard Fleischer, 1973

au Comœdia: mercredi 20 mars 2013 à 10h
Erin Brockovich, seule contre tous de Steven Soderbergh, 2000

à Hôtel de région: mercredi 20 mars 2013 à 10 h entrée gratuite
Conférence: "L'Avocat au cinéma"

à L'Institut Lumière: jeudi 21 mars 2013 à 10h et à 14h30 deux séances
Le Procès de Orson Welles, 1962

au Comœdia: vendredi 22 mars 2013 à 10h en présence du réalisateur
Ombline 
de Stéphane Cazes, 2012


Pour toute inscription (séance et dispositif pédagogique), n'hésitez pas à me contacter.

Page facebook des Rencontres Droit Justice Cinéma

www.facebook.com/pages/Rencontres-Droit-Justice-Cin%C3%A9ma/335387679815416?fref=ts

Site:  www.droit-justice-cinema.fr  (dès février 2013)
A bientôt
Lionel Lacour
lionel.lacour@cinesium.fr

samedi 5 janvier 2013

L'inspecteur Harry: un fasciste ou un vrai républicain?

Bonjour à tous,

en 1971 sortait un film qui allait marquer le cinéma américain et mondial, créant de fait un personnage qui allait s'inscrire dans la mythologie hollywoodienne. Réalisé par Don Siegel, L'inspecteur Harry (le titre original était plus explicite en qualifiant d'emblée le personnage: Dirty Harry) allait définitivement positionner Clint Eastwood comme une légende du cinéma. C'était leur quatrième collaboration après Un shérif à New York (1968), Sierra torride (1970) et Les proies (1971) sans compter le petit rôle joué par Don Siegel dans le premier film réalisé par Eastwood en 1971, Un frisson dans la nuit. S'appuyant sur un fait divers dans lequel un criminel en série se faisant appeler "Zodiac" terrorisait l'Ouest américain, Siegel va faire s'affronter un psychopathe connu sous le nom de Scorpion (d'où la référence au Zodiac) à un flic, Harry Callahan. Le succès au box office est incontestable, rapportant près de sept fois ce que le film avait coûté à la première année d'exploitation. Pourtant, la critique du New Yorker, Pauline Kael, écrivait en janvier 1972 que L'inspecteur Harry sublimait le "potentiel fasciste", faisant du film de Siegel "un film profondément immoral". La critique de Pauline Kael ne fut pas la seule à attaquer le film. Le New York Times ne s'en priva pas. Mais d'autres au contraire louèrent ce film comme Rolling Stones notamment.

Alors, fasciste ou pas? C'est un vieux débat que différents articles de presse ou sur des sites internet traitent régulièrement. Essayons cependant de donner quelques pistes par l'analyse de trois séquences.

Bande Annonce:


1. Les arguments de l'accusation

Pauline Kael avait une argumentation solide pour faire du film de Siegel un film fasciste. Elle reprochait en effet le côté caricatural de Scorpion dans lequel le spectateur ne peut jamais avoir une once de sympathie et ne peut qu'accepter que, face à l'administration policière, un "héros" vienne enfin l'empêcher de nuire. Harry "était le personnage tout trouvé puisqu'il est violent, irrespectueux de l'ordre établi. Son racisme apparent complétait le profil d'un héros dont la mission était d'éliminer les nuisibles d'une société dirigée par des autorités incapables et laxistes, défendant le droit avant de défendre les victimes.
Plusieurs séquences peuvent illustrer ces arguments, de la scène qui forgea le mythe Harry lorsqu'il menace de son magnum un braqueur de banque jusqu'à lui tirer dessus alors même que son arme n'a plus de munition. Cette scène relève d'une véritable scène de torture psychique dans laquelle le spectateur peut basculer par effet de sympathie vers le tortionnaire puisque celui-ci a empêché que le braquage ne réussisse et ne s'en prend finalement qu'à un homme qui a commis un crime.



Harry torture Scorpion
Plus tard, quand Scorpion demande une rançon après avoir kidnappé une jeune fille, Harry le poursuit jusque dans le stade de football, lui tire dessus et le torture en lui marchant sur sa plaie béante afin de lui faire dire où se trouve la jeune fille. À l'image, cette torture est enlevée du regard du spectateur par un plan pris d'hélicoptère, laissant Harry faire le sale boulot. Le fait que Scorpion ait de fait tué la jeune fille en l'ayant enterrée vivante renforce l'idée que Harry a dû agir de la sorte car il a en face de lui un être qui ne peut pas être raisonné par les bons principes. Et le fait que son supérieur lui reproche de ne pas avoir respecté les droits de Scorpion peut alors être une nouvelle fois interprété comme un signe favorable à la réponse fasciste plutôt qu'à celle du droit.
Enfin, quand Harry épie et suit Scorpion en désobéissant à sa hiérarchie puis agit pour mettre fin à la prise d'otages d'écoliers dans un bus scolaire, Harry devient évidemment le héros qui sauve la société et de sa partie innocente, les enfants, du monstre Scorpion mais aussi des incompétents censés justement protéger les plus faibles.


2. Des arguments qui oublient les principes du cinéma
En se limitant aux éléments cités, les critiques comme Pauline Kael sont comme ceux qui cherchent ce qu'ils veulent trouver, occultant du film ce qui indique exactement le contraire de leur démonstration. Ce procédé a la vie dure comme l'a montré récemment le magazine Variety qui voyait dans le film Intouchables une œuvre raciste, alors que l'inverse est  facilement démontrable. Ainsi, tous les arguments faisant de Dirty Harry un film fasciste sont tout autant facile à retoquer, sauf peut-être pour le fait qu'Harry est effectivement un flic désabusé par le manque d'efficacité de sa hiérarchie. Mais la nature d'un personnage, même fasciste ne fait pas pour autant du film un film fasciste.
Ainsi, la séquence du braquage est de fait une référence à un genre qui n'est pas celui du film. Certes l'action se place dans le présent de la réalisation du film, c'est-à-dire en 1971. Mais le traitement est clairement celui d'un western dans lesquels les policiers, les shérifs, intervenaient au milieu de la foule pour mettre fin à un acte criminel. Quand Sam Peckinpah le montrait en 1969 dans La horde sauvage, le message était le même, montrant combien la société américaine repose sur la violence. L'inspecteur Harry n'est de fait rien d'autre qu'un western urbain, chose analysée depuis longtemps, faisant le lien entre le film de Peckinpah et le quotidien ordinaire d'un Américain. Le caractère "fasciste médiéval"de Harry  (invention de Pauline Kael qui montre combien elle avait malgré tout des problèmes de concepts historiques!) quand il intervient lors du braquage laisserait alors à penser que l'ensemble de la société américaine est fasciste. Or culturellement, les Américains trouvent légitimes qu'un policier intervienne, même violemment, face à un criminel. Son intervention ne met d'ailleurs pas plus en danger que ce que ne font déjà les braqueurs. Certes, quand Harry pointe son magnum sur un braqueur à terre, il y a du sadisme, incontestablement. Mais son expertise, démontrée au cours du film, prouve qu'il sait très bien combien de balles:


« Hin hin ! Je sais ce que tu penses : « C'est six fois qu'il a tiré ou c'est cinq seulement ? ». Si tu veux savoir, dans tout ce bordel j'ai pas très bien compté non plus. Mais c'est un .44 Magnum, le plus puissant soufflant qu'il y ait au monde, un calibre à vous arracher toute la cervelle. Tu dois te poser qu'une question : « Est-ce que je tente ma chance ? » Vas-y, tu la tentes ou pas ? »



Or si on part du principe qu'il sait très bien qu'il n'a plus de balle, cela veut dire qu'il n'aura pas besoin de tirer et qu'il lui suffira d'enlever l'arme qui se trouve à terre à près d'un mètre du braqueur. Et de fait, quand celui-ci lui demande de savoir s'il y avait encore des balles dans l'armes de Harry, celui-ci tire sachant que son arme est vide. Bien sûr qu'il y a sadisme. Mais suffit-il d'être sadique pour être fasciste. D'autres films aujourd'hui jamais qualifié de fasciste aurait montré le policier frappant le braqueur pour l'empêcher d'atteindre son arme. Les critiques auraient pu trouver cela légitime et, au regard de la séquence, rien n'aurait choqué si Harry l'avait fait. Et pourtant on lui reproche finalement de ne pas l'avoir frappé! Par cette séquence, Siegel caractérisait son personnage, un policier compétent et courageux, prêt à intervenir quand il le faut, préférant l'action et la confrontation directe avec les hors-la-loi, quitte à désobéir parfois, y compris à la loi pour le bien commun. 



Mais cette seule séquence n'est pas assez significative pour faire de Harry Callahan un héros non fasciste. La séquence de torture dans le stade est bien plus intéressante car elle est souvent analysée par les contempteurs du film en oubliant certains éléments du film et notamment le son. Revenons au plan pris d'hélicoptère. Certes, Siegel nous éloigne de la torture que subit Scorpion, nous permettant de nous satisfaire de ce que fait Harry pour la bonne cause, celle de sauver une jeune fille. Mais Siegel ne nous laisse en aucun cas tranquille avec notre conscience. Les cris de Scorpion sont particulièrement audibles même quand il est manifestement trop éloigné pour qu'on l'entende aussi fort. Et quand on ne l'entend plus, une musique fantastique de Lalo Schiffrin vient par des dissonances nous heurter les oreilles, rappelant un film d'horreur pour bien nous signifier à nous spectateurs que nous sommes partie prenante de ce que Harry fait subir à Scorpion. Harry n'est donc pas le seul à se "mouiller" en torturant Scorpion. Le réalisateur implique émotionnellement les spectateurs qui doivent alors accepter ce qu'il fait tout en reconnaissant l'horreur qui est commise. Le film serait "fasciste" si nous laissions agir Harry seul, nous exonérant par l'éloignement de la prise de vue de ce qu'il exécute. 


La séquence finale vient alors clore le message introduit par cette séquence. En attaquant Scorpion qui a pris en otage les écoliers, Harry désobéit clairement aux ordres. Mais au regard de ce qu'a déjà fait le psychopathe, meurtres divers, séquestration, attaque d'église de la communauté noire, enterrement d'une victime encore en vie et d'autres encore, il y a urgence à intervenir. Harry le fait, sauve les derniers écoliers du bus et tue Scorpion en reprenant le même dialogue que lors du braquage. Sauf que cette fois, il a encore une balle dans le chargeur et tue Scorpion. Harry a franchi la ligne rouge. Il est devenu un criminel puisque rien ne le forçait à tuer Scorpion. Paradoxalement, les spectateurs ont peut-être espéré qu'il tire et qu'une balle se trouve bien dans le barillet du magnum de Harry. Sauf que le film se finit autrement que ce que Pauline Kael affirme. 


Ce que bien des critiques oublient, c'est que les fins des films donnent la morale du message mis en oeuvre dans l'œuvre. Or Harry ne finit pas en héros. Au contraire. Il se retrouve seul, et jette son insigne de policier. Les plus critiques et aveuglés par leur idéologie interprètent ce geste comme un refus d'appartenir à une police qui décidément n'a pas su agir pour défendre les victimes. Or cette interprétation n'a aucun sens car dans ce cas, il aurait fallu pour rendre plus fort le message, que cela soit fait devant des témoins, les supérieurs de Harry et des parents de victimes soutenant ses agissements. Au contraire, Harry sait qu'il a dépassé ce qu'il était en droit de faire. Un autre plan d'hélicoptère le laisse seul s'éloigner de la vue des spectateurs. Le thème musical devenu classique depuis accompagne cet éloignement visuel. En laissant ainsi Harry sur une musique très triste et peu enthousiaste, le spectateur est invité à l'abandonner aussi car rester avec lui serait adhérer à ce qu'il a fait. Tant qu'Harry intervenait à côté de la loi mais pour le bien commun, ces écarts étaient tolérables. Deux fois, Siegel nous aura éloigné de l'inspecteur. Une fois dans le stade. Mais l'éloignement n'était que visuel et nous savions combien ce qu'il faisait était insoutenable mais animé au moins par un souci de libérer une victime. La seconde fois, nous le quittons définitivement car il ne peut y avoir d'apologie de ce qu'il a fait. Lui-même le sait.


Film fasciste donc? Harry peut-être. Les spectateurs? Pourquoi pas. Le film en aucun cas. La morale du film démontre que le message du réalisateur n'est absolument pas de défendre un policier qui agirait contre la loi jusqu'à commettre l'irréparable: le crime. Surtout, les critiques qui qualifient encore ce film de fasciste ou de toute autre expression équivalente (film nauséabond, d'extrême droite et autres expressions) oublient outre la morale évoquée ci-dessus, le contexte de production du film. En effet, les USA sont en pleine crise d'autorité avec leur déroute au Vietnam, remettant en cause de fait les autorités publiques voir leur légitimité. Des faits divers criminels et médiatiques viennent  également s'ajouter à la déstabilisation de cette super puissance, que ce soit les crimes du Zodiac ou ceux perpétrés par Charles Manson de manière tout aussi barbare que ceux commis par Scorpion lui-même. Du point de vue cinématographique, le nouvel Hollywood commence a proposer un cinéma différent, plus radical, plus violent et plus urbain, abandonnant le mythe de la conquête de l'Ouest et se plongeant plutôt dans ce qui anime la société américaine. C'est ainsi que le genre roi des années 1950, à savoir le Western, va être soit abandonné, soit revisité pour démystifier tous ses héros.  Sergio Leone avait commencé mais il était italien. Peckinpah a largement contribué à suivre ce processus de destruction du mythe du far west. Siegel s'y était attaqué aussi. Il avait presque réussit à mélanger les deux dans Un shérif à New York. Mais c'est bien dans L'inspecteur Harry qu'il réussissait la véritable mutation du Western. Si un western est mort, cette mort n'est qu'une question de temporalité. En effet, inutile désormais de filmer un Western au XIXème siècle puisqu'il continue d'exister en réalité au XXème siècle sous d'autres formes. Et si les spectateurs acceptent de voir le Shérif attaquer le bandit comme dans tous les westerns, il ne peut cependant pas le tuer gratuitement car la morale américaine n'y trouve pas son compte. Contrairement à ce que certains croient, les Américains ne se repaissent pas forcément de la mort et celle de Scorpion n'est en aucun cas un happy end au sens classique puisque celui qui doit faire régner la loi la transgresse de la manière la plus grave qui soit. Rien de fasciste donc dans l'oeuvre de Don Siegel et son film revendique plutôt des principes républicains qui interdisent à un policier de tuer quand il n'est pas en situation de légitime défense. Les suites, trois en tout, reprendront d'ailleurs ce credo; dont le fameux Magnum force de Ted Post avec parmi les scénaristes le talentueux Michael Cimino, film dans lequel Harry Callahan traquait justement une organisation de policiers exécutant les membres de la pègres et autres assassins pour pallier le laxisme judiciaire.  On ne peut pas en dire autant de bien d'autres films d'action tournés depuis aux USA. Quant au Western moderne évoqué même par le rappeur français MC Solaar, les faits divers américains et les réactions des citoyens face à la pertinence de posséder et d'utiliser des armes à feu laissent penser que le XXIème siècle est encore un temps de Western...


A bientôt

Lionel Lacour


vendredi 4 janvier 2013

L'URSS, de l'après seconde guerre mondiale à son implosion

Bonjour à tous,

après mon article sur l'URSS de l'entre deux guerres vue par le cinéma, je reviens pour évoquer la période d'après la seconde guerre mondiale jusqu'à la chute de l'Union soviétique, soit de la prise de contrôle par Staline de toute l'Europe de l'Est et la mise en place d'un véritable empire soviétique à l'effondrement d'un modèle par pans entiers, touchant d'abord les États satellites avant de toucher la Russie elle-même.
Il ne s'agit pas ici de couvrir l'intégralité de la production cinématographique soviétique mais bien de prendre quelques exemples qui caractérisent l'évolution du modèle soviétique au travers du cinéma, russe ou d'autres pays.

I. LE CINÉMA DE STALINE, UN CINÉMA DE PROPAGANDE

Le cinéma stalinien reprend là où Eisenstein l'avait laissé face à la menace germanique dans Alexandre Nevski. Avec Ivan le Terrible, Eisentein réalise en 1945, et malgré les conflits qui l'opposent à Staline, un film qui ne peut manquer de rappeler la figure tutélaire de Staline, en prenant comme héros le premier souverain moderne de la Russie, Ivan 
IV, qui régna de 1533 (à l’âge de 3 ans) et 1584. Ivan, représenté comme le guide du peuple russe, manifeste un culte de la personnalité très fort et se présente surtout comme le rassembleur de toutes les Russies. Or qui d'autres en 1945 peut se retrouver derrière cette représentation hormis Staline, lui qui a reconquis les terres perdues après le traité de Brest Litovsk mettant fin à la guerre contre les Allemands en 1918? Qui a même étendu le territoire russe (ou sous son influence) bien au-delà de ce qu'aucun Tsar n'avait pu faire avant lui? Son surnom de "Petit père des peuples" ne fait-il pas de lui le nouvel Ivan, Tsar d'une Russie unifiée et puissante? Par ce cinéma de propagande, Staline voit sa personne magnifiée mais il faut y voir aussi l'autre aspect de la stratégie stalinienne, celle d'une Révolution communiste qui passerait d'abord par l'hégémonie russe, à commencer par ses modèles et référents historiques. L'internationalisme oui, mais sous étendard russe!

Cette importance de la culture russe se retrouve dans tous les types de films, à commencer par ceux destinés aux enfants. Dans le conte Andriech de Sergei Parajdanov réalisé en 1954, la société présentée s’appuie sur des cadres traditionnels ruraux, avec une vie communautaire forte. Derrière ce cinéma de conte avec effets spéciaux divertissants et spectaculaires se dessine de fait un tableau culturel à connotation russe dans lequel chaque individu tient une place figée: le berger, l'aiguiseur, la fileuse de laine... Cette société rurale, bien éloignée du modèle urbain qui était à la base de la révolution prolétarienne montre
également des pratiques culturelles très liées à la tradition russe dans laquelle hommes et femmes dansent séparément mais sans domination d’un groupe sur l’autre. Ce communisme patriotique et rural se retrouve dans nombre de films et notamment dans un chef-d'oeuvre du réalisme socialiste réalisé par Vlesovod Poudovkine en 1953, La moisson. Le film entier est à la gloire du système, de l'idéologie et de la politique prônés par Staline. Son portrait est présent dans toutes les salles et lieux où une autorité publique ou communiste s'exerce, que ce soit dans la cellule du parti ou lors des réunions organisées par lui. Ce parti a un rôle de guide du peuple et lui seul décide. Ainsi, dans le Kolkhoze dans lequel l'action se déroule, seuls les trois membres du parti peuvent prendre des décisions pour lui. Cette cellule est sous l'autorité d'UNE secrétaire. C'est d'ailleurs une caractéristique du film que de laisser paraître l'égalité entre hommes et femmes. Cette égalité est d'ailleurs présente dans l'ensemble du film, de la jeune espiègle qui souhaite conduire les tracteurs, les moissonneuses et à la fin du film les machine pour drainer les sols. C'est aussi la présence des femmes comme ingénieure, dirigeants des hommes incompétents ou comme exploitantes de cheptel.
Le président du Kolkhose, au physique stalinien, mène les hommes et les femmes durement pour obtenir des meilleures récoltes. Mais il sait aussi reconnaître ses erreurs et loue la collégialité de la cellule du parti.

L'organisation des espaces ruraux en kolkhozes doivent respecter les productions prévues par les plans économiques établis à Moscou. Mais loin d'être une production soumise aux aléas de la nature, la production agricole se conçoit avec la même rigueur que la production industrielle. Ainsi, les responsables de la production agricole, animale ou végétale, applique des principes appris dans les écoles agronomiques ou mécaniques. Cette rigueur scientifique montre aussi que la production agricole ne se transmet pas de père en fils comme cela est le cas dans la paysannerie occidentale, ce qui sous entendrait une propriété privée de la terre. Celle-ci est travaillée par tous et elle produit pour tous. La jeunesse communiste (Komsomol) est d'ailleurs la plus enthousiaste dans l’effort économique à mener pour la réussite du plan, mettant en œuvre des pratiques agronomiques pour augmenter les rendements. L'agriculture est donc une agriculture moderne , avec une étable conçue comme un laboratoire médical, peinte en blanc et dans laquelle les femmes travaillent en blanc! De même, le réglage des machines agricoles se fait au dixième de millimètre au risque d'endommager prématurément les pièces mécaniques et de stopper la production.




Ainsi, les communistes peuvent transformer la nature pour le bonheur des hommes. Rien ne résiste à la volonté communiste, tout comme le prouve l'assèchement des marais à la fin du film. Le rôle prépondérant du Parti communiste pour fournir les kolkhoses en matériel agricole et l'importance d’une culture industrielle témoignent du sens réel de cette idéologie. Le communisme est synonyme de modernité, de précision et de progrès industriel, mais aussi de pacifisme, mais pas de totalitarisme puisque une héroïne peut se moquer de la fonction de « rééducation » du parti sans pour autant risquer de l'être! Cette quête du bonheur par le communisme est d'ailleurs la morale du film dans une séquence finale très inspirée par la propagande stalinienne. Alors que le président du
Kolkhoze avait une relation plus que conflictuelle avec sa femme au début du film, celle-la s'est progressivement détendue jusqu'à ce que leur amour se renforce. Et, montrant d'un bras tendu le travail accompli par le Kolkhoze dans la transformation des paysages agricoles, il se fend d'un "Le bonheur, c'est ça", sous-entendant que le bonheur individuel ou familial passe par le bonheur collectif. On est loin de l'idéologie libérale et individualiste!

Moins réaliste mais pourtant tout aussi explicite, Aleksandr Ptushko réalisait en 1953 Le tour du monde de Sadko, sorte de Simbad le marin soviétique. Ce conte pour adultes comme pour enfants proposait plusieurs morales toutes soviétiques. Au travers son personnage voulant trouver le bonheur en sillonnant le monde, le réalisateur collait à la propagande stalinienne. En distribuant les richesses trouvées au-delà de ses terres mais en oubliant d'en distribuer aux gueux, c'était bien l'idée que le bonheur d’une société ne peut se concevoir que si toute la société est heureuse ; mais surtout, sa quête effrénée pour trouver où vivre mieux conduisit Sadko à s'adresser à ses compatriotes, dans le film mais également en salle par un regard caméra sans ambiguïté: le bonheur que l’on recherche ailleurs est parfois chez soi! Le principe stalinien d'un bonheur qui doit d'abord exister sur les terres russes se retrouvait tout entier dans cette morale du film. Mais c'était aussi une manière de signifier que les images du bonheur en dehors de "la terre natale" ne sont que des illusions.



II. LE CINÉMA SOVIÉTIQUE APRES STALINE OU L’EFFET KHROUCHTCHEV: VERS DAVANTAGE DE LIBERTÉS ?

La mort de Staline n'allait pas tout transformer dans le cinéma soviétique. Il est toujours un art de propagande. Mais l'affermissement du pouvoir de Khrouchtchev, successeur de Staline, allait cependant modifier certains aspects de cette manière de promouvoir le régime communiste du nouveau leader. Ainsi, dans Don Quichotte de G. Kozintchev tourné en 1957, soit après le XXème congrès du PCUS, le culte de la personnalité n'existe plus, ou tout du moins plus aussi marqué qu’à la période stalinienne, puisque le héros, Don Quichotte, échoue dans son entreprise solitaire de conduire le peuple au bonheur. Mais c'est bien dans sa volonté d’énoncer les idéaux qui prévalent dans l’idéologie communiste que le film se distingue des films d'avant 1953.



Don Quichotte s’en prend par exemple à un exploiteur d’enfant. Mais ce dernier le maudit à son retour car il avait dû subir le courroux de son maître après le départ de Don Quichotte. Les valeurs du chevalier errant ne sont pourtant pas mauvaises et il n'hésite d'ailleurs pas à dénoncer et critiquer les pouvoirs autoritaires méprisant le peuple, que ce soit le pouvoir monarchique, aristocratique ou clérical. Ce ne sont donc pas les idées qui sont à remettre en cause pour que les idéaux triomphent mais bien la manière de les imposer. Au travers du valet Sancho Pancha se dégage alors la bonne manière de diriger, consistant à défendre l’humanité, écouter et protéger le peuple. Ceci ne peut plus passer par l’action d’un homme seul. Dans sa volonté d’abolir les distinctions entre dirigeants et le peuple  Sancho se comporte en gouverneur proche de ses administrés pour mieux entendre leurs doléances. Et pour illustrer ses principes, il entre assis sur un âne dans l'île dont il a eu la charge en tant que gouverneur, provoquant l'hilarité de ses gouvernés mais lui permettant de leur affirmer ses nouveaux principes: sur un cheval, il les aurait vus de haut!
L'échec de Don Quichotte dans son combat pour le bien aurait pu symboliser la fin d'un modèle. Au contraire, son serviteur fidèle lui permet de comprendre que le bien du peuple ne peut se faire qu'en ralliant à soi les autres dans la lutte pour pouvoir vérifier que les mesures prises pour le peuple sont appliquées. La lutte de Don Quichotte est donc une lutte sans fin, une traque contre la misère et l’injustice, qui doit être menée partout, sans relâche et sans jamais penser qu'il suffit d'avoir décidé pour que cela soit réalisé.
En positionnant son film dans une des oeuvres les plus célèbres de la littérature espagnole du XVIIème siècle, le réalisateur pouvait transposer l'idéologie khrouchtchevienne dans une histoire connue de tous en jouant sur les analogies entre l'idéal du héros de Cervantes et la nouvelle politique soviétique, comme Eisenstein l'avait fait pour Staline.


C'est également dans le passé que Mikhail Kalatozov place l'action de Quand passent les cigognes, réalisé en 1957 et palme d’or en 1958 au festival de Cannes. L'action se déroule pendant la seconde guerre mondiale et montre les efforts colossaux des Soviétiques pour vaincre les nazis et pour défendre la Liberté. Ces efforts s'appuient sur des vertus d'égalité entre les individus, les ingénieurs participant à des travaux de construction au même titre que d'autres Russes moins qualifiés. Mais c'est certainement dans la scène finale que le message principal du film apparaît, comme souvent dans les films de
propagande. Car si Kalatozov est un très grand réalisateur, il met incontestablement son talent au service du nouveau maître de Moscou. Et quand dans le discours final, le héros s'adresse à la gare, à la fin de la guerre, aux Russes venus accueillir les soldats revenus vainqueurs, il n'est pas filmé en contre-plongée comme pouvaient l'être les héros staliniens. Au contraire, c'est une plongée qui accompagne tout le discours, le mettant à égalité avec le peuple. Cette  représentation d'un leader mis à hauteur du peuple change radicalement des représentations passées. Mais la tenue du discours est tout aussi importante puisque le message est ouvertement pacifiste. En cela, rien de nouveau puisque les films staliniens l'étaient aussi. À ceci près que le pacifisme de Kalatozov en appelle à la fin des morts pour les Russes comme pour leurs ennemis. Si ceux-ci étaient les nazis en 1945, date où est censée se passer la fin du film, ceux des Soviétiques de 1957 étaient bien sûr tout autres. L'évocation de l'existence d'adversaires était une nouveauté tout comme le fait que ce film, primé à Cannes, allait aussi suivre une carrière internationale, chose assez nouvelle pour le cinéma soviétique d'après guerre, permettant de diffuser dans les pays occidentaux le changement d'attitude du Kremlin et peut-être l'idée de la fin de la Guerre Froide vers la fameuse coexistence pacifique.
Mais les réformes de Khrouchtchev ne se limitent pas à la politique internationale ou à une nouvelle manière de se présenter au peuple. Dans Tcheriomouchki,  Herbert RAPPAPORT montre dans ce film de 1963 que la période est aussi propice à plus de prise en compte des aspirations populaires à vivre mieux, avec notamment davantage de liberté d’expression. Du moins c'est ce ce que le régime de Khrouchtchev veut laisser passer. Tcheriomouchki présente une société soviétique transformée avec une construction massive de logements sociaux avec des pièces nombreuses, dans les quartiers périphériques des grandes villes. Enthousiasme, fraîcheur se dégagent du générique et des scènes de comédie musicale : une ère nouvelle semble être à l’ordre du jour. régime plus soucieux des attentes du peuple. Toute l'idéologie initiale du communisme se retrouve dans ce film. Le régime doit travailler pour le bien de tous; aucune différence de classes sociales quelle que soit la fonction exercée ne doit exister ; hommes et femmes ont les mêmes droits. Mais le film montre aussi la différence entre l'idéal et la réalité! Procédures administratives lentes, habitude de vivre tous ensemble et corruption menée par des hommes du parti sont caricaturées et donc dénoncées, comme pour montrer que les Soviétiques ne voient peut-être pas assez vite le changement. Mais la révolution khrouchtchevienne est en marche, reconnaissant les imperfections qui ne peuvent être celle du parti ou du communisme mais bien celles des hommes. Le Parti communiste doit accepter le fait qu'il y ait des corrompus et les sanctionner car ils nuisent au fonctionnement et à l’action sociale du gouvernement. Cette comédie musicale de divertissement est donc elle aussi un film à la gloire de la nouvelle orientation politique depuis 1956 dans laquelle le dirigeant s'efface derrière le Parti, qui a toujours raison mais qui doit tout de même éliminer les nuisibles en les réaffectant à des tâches avec moins de responsabilités. Une purge moins sanglante que sous Staline mais qui existe néanmoins!

Cette remise en cause de l'autorité et de l'ordre stalinien est encore plus flagrante dans le film d'Elem Klimov de 1964: Soyez les bienvenus. Plaçant l'action dans un camp de vacances pour les jeunes soviétiques, les héros sont des enfants turbulents ne respectant que rarement les ordres du directeur du camp. L'autorité du chef ressort moins comme dictatoriale car contestée, y compris lorsqu'il rappelle à l'ordre les garnements qui, loin de l'écouter, regardent dans le ciel ce qui se passe!  Même lors de la projection d'un film comme dans tous les centres aérés occidentaux, la censure des films est pratiquée sur certaines séquences afin de ne pas  donner aux enfants des idées malsaines. Ainsi, une séquence de baiser lors de la projection de Fanfan la Tulipe avec Gérard Philipe est elle cachée entraînant une vive protestation des enfants!  Si le parti s’occupe des loisirs de la jeunesse dans des camps de type colonie de vacances, avec des activités sportives, du théâtre, des échecs, on voit aussi apparaître la culture occidentale chez ces mêmes jeunes et notamment le Hoola Hoop, symbole culturel américain! La grandeur de l'URSS n'est pas oubliée pour autant comme en témoigne l’organisation de spectacle à la gloire des héros cosmonautes commeYouri Gagarine, 1er homme satellisé en 1961Mais les enfants ne réussissent pas le spectacle avec la perfection stalinienne, chose inconcevable avant 1953 et qui n'aurait pas été montrée de toute façon à l'écran!
Les signes du changement des temps en URSS sont donc à l'écran. On se moque de ceux qui dirigent les Komsomols qui n’accordent pas assez de liberté. Les jeunes enfants ressemblent davantage à des gentils garnements qu’à de parfaits jeunes communistes staliniens. Cette liberté nouvelle semble cependant trop belle car aucun film ne montre une réelle contestation du Parti et de son fonctionnement. Les libertés accordées, du moins dans les films, apparaissent davantage comme une respiration permise au peuple dans modifier radicalement le fonctionnement du pouvoir.
À la différence de Staline, Khrouchtchev semble également ne pas hésiter à soutenir des mouvements révolutionnaires au-delà du rideau de fer, et ce jusqu'en Amérique. Dans Soy Cuba, Mikhail Kalatozov réalise en 1964 un film dont l'action commence par une présentation de l'île de Cuba, de son histoire coloniale, de sa christianisation et de son exploitation du sucre. Dans un très long plan séquence, c'est la misère et la dignité du peuple cubain qui sont montrées. Puis, par un changement brutal de plan, le rythme s'accélère, la musique occidentale devient omniprésente et la ville remplace les canaux des villages des paysans. C'est une vision aseptisée de La havane, ressemblant à une petite ville américaine, par ses immeubles, par son culte de la futilité, par les touristes de tous âges dont aucun n'est cubain, vivant dans le luxe et les plaisirs. Le parallèle est violent entre les deux plans-séquences, montrant sans un dialogue des exploités et des exploiteurs. À cette violente différence entre ces deux mondes sur le même territoire répond dans le film la nécessité d'une révolution violente contre ceux qui permettent à certains d'exploiter le peuple.
Le bien du peuple passe par la Révolution et, dans un autre plan séquence, un héros cubain issus du peuple rejoint les Révolutionnaires, s'empare d'un fusil puis combat tous ceux qui s'opposent à la marche en avant révolutionnaire. Filmée de la droite vers la gauche, soit de l'Est vers l'Ouest, l'image trahit évidemment le camp qui est combattu: ceux soutenus par les Américains. Et alors que la victoire finale est signifiée à l'écran de manière symbolique, dans un mouvement de caméra et dans le même plan, les vainqueurs révolutionnaires semblent se diriger désormais de l'Ouest vers l'Est, signifiant leur retour vers le camp qui les a soutenu: l'URSS. 
Étrangement, ce film n'aura qu'une durée de vie réduite en URSS. L'éviction du pouvoir de Khrouchtchev en est évidemment la cause. Kalatozov, réalisateur khrouchtchevien par excellence ne pouvait pas être projeté par le pouvoir qui avait destitué celui pour qui il réalisait des films!


III.  QUAND LE CINÉMA CONTESTE LE MODÈLE SOVIÉTIQUE !

La contestation du communisme soviétique était donc chose difficile en URSS ou dans les pays satellites. Au contraire, le cinéma occidental ne se gênait pas pour dénoncer le régime soviétique. La liste serait longue à établir de ces films notamment américains qui étrillaient le communisme de Moscou. Parmi eux, le célèbre film maccarthyste I was a communist for the FBI de Gordon Douglas, réalisé en 1951dénonçait la réalité du communisme qui s’appuyait sur les masses pour faire triompher des idées qui ne profiteraiennt qu’à quelques uns, les travailleurs devant rester des travailleurs. Les communistes y sont alors présentés comme des idéologues dangereux qui menacent les démocraties occidentales. 




Ce film de propagande liée au maccarthysme du début des années 50 aux USA n'était qu'un parmi tant d'autres. Si la nuance était peu utilisée (!), le fait de montrer l'adversaire idéologique dans les films américains est en soi une vraie différence avec le cinéma soviétique qui ne montrait jamais l'Américain ou le Capitaliste de manière directe.


En 1957, reprenant le film Ninotscka dans lequel s'illustrait Greta Garbo en 1939, Rouben Mamoulian tournait La belle de Moscou avec notamment Cyd Charisse et Fred Astaire. Une séquence célèbre y montrait des cadres du parti utilisant le vocabulaire communiste (camarades, travail, propagande) mais appréciant fortement ce qu’ils étaient censés critiquer : luxe, libertinage, alcool, et tous les plaisirs occidentaux…. Ils courent après les honneurs, permettant une critique des communistes médaillés pour leurs qualités de bons soviétiques !.Alors que leur est promise dans un hôtel de luxe  la "Royale suite" rebaptisée hypocritement "la suite des travailleurs", suite qu'ils acceptent par pur sacrifice,  une ultime moquerie de leur hôte occidental les conduit à danser de manière parfaitement ridicule, un d'entre eux, totalement ivre, joué par Peter Lorre, pratiquant une chorégraphie traditionnelle, couteau entre les dents, symbole de la menace rouge, mis dans sa bouche par Fred Astaire. Le communisme de la "Chasse aux sorcières" pouvait faire peur, mais ce film dédramatisait cette menace, faisant des plus fervents communistes des êtres prêts à accepter tous les plaisirs proposés par l'Occident.
Mais il n'y a pas eu que les Américains pour évoquer le régime soviétique de l'après guerre. Le quatrième épisode de Don Camillo fut réalisé par Luigi Comencini en 1965 et s'appelait Don Camillo en Russie. Lors de la visite de représentants du Parti communiste italien en URSS, montrant combien les PC européens étaient inféodés à Moscou, le prêtre Don Camillo veut voir la réalité du communisme au pouvoir. Il y découvre bien sûr la difficulté de pratiquer sa religion en URSS, mais également la pratique du secret, notamment lorsque le portrait de Khrouchtchev est enlevé puis remplacé par celui de Kossyguine dans toutes les pièces ! On a donc une critique du pseudo paradis soviétique que découvrent des Communistes italiens. Le peuple n’a rien à dire quant au changement de dirigeant puisque personne n'est au courant dans l'hôtel où se trouve la délégation italienne. La caricature de l’URSS avec les pratiques pseudo démocratiques du pouvoir soviétique montrent notamment poids de
l’armée, l'espionnage généralisé y compris des alliés avec l'utilisation des micros,  la mainmise du parti sur le gouvernement. Et quand Peppone affirme ne pas vouloir donner un avis sur Kossyguine parce qu'il ne le connaît pas, Don Camillo lui fait remarquer que c'est justement là le problème. Outre la critique du régime communiste dans son ensemble, le film vient également contredire ce que la propagande khrouchtchevienne diffusait. Les portraits du dirigeant soviétique dans les chambres et partout ailleurs témoignaient bien d'un culte de la personnalité, quand bien même était-il moins développé que sous Staline.
Si le film de Comencini était une comédie, celui de Costa Gavras était autrement plus réaliste et critique sur le régime, même si l'action se plaçait en Tchécoslovaquie. L'aveu réalisé en 1969 montrait combien les États satellites comme la Tchécoslovaquie vivaient sous l'autorité réelle de l'URSS et de Staline en particulier. Les 
membres du parti tchécoslovaque manifestaient en toute bonne foi une confiance aveugle dans les décisions du Parti communiste soviétique  et en l’URSS. Les portraits de Staline affichés aux murs des locaux tchécoslovaques confirmaient une situation de fait. L'URSS était le véritable maître de tout le bloc de l'Est, avec à sa tête un Parti infaillible dont l'objectif était la recherche d'un bonheur collectif
Or  Costa Gavras présente cette soumission à l'URSS comme non un affranchissement des idéologies combattues, à savoir le capitalisme, ce qu'une séquence avec Simone Signoret confirme, mais comme au contraire un asservissement à un régime soviétique et à son dictateur Staline. La  critique des pratiques totalitaires du régime soviétique dans les démocraties populaires d’Europe de l’Est comme les procès menés à Prague en 1952, cœur de l'intrigue du film ou en Hongrie est complétée par une analyse très didactique de ces pratiques visant à éliminer tous ceux qui pouvaient représenter une menace, véritable ou fantasmée, au modèle soviétique. Par l'emploi d'Yves Montand comme personnage principal, connu pour ses idées proches du communisme tout comme son épouse Simone Signoret, Costa Gavras renforçait la critique de son film comme n'étant pas celle de personnalités de droite mais de personnes croyant en l'idéal communiste mais dénonçant la dictature menée en son nom. 
Le réalisateur donne alors une véritable leçon d'Histoire sur les raisons des agissements de Staline, raisons à la fois psychiatriques liées à sa paranoïa, mais également politique, allant de la résistance de la Yougoslavie de Tito à se soumettre à un pays qui ne l'a pas libéré à la nécessité d'imposer un modèle face à celui libéral de l'autre côté du rideau de fer. La foi dans le Parti et l'idéal qu'il symbolisait pouvait expliquer alors l'incrédulité des communistes d'Occident sur les purges subies par certains communistes des pays de l'Est. Le recours à la torture pour faire avouer des cadres du parti, pouvant être d'ailleurs des dirigeants de ces démocraties populaires, pour des .fautes qu’ils n’avaient pas commises étaient niées ou admises comme une application du stalinisme pour améliorer le parti, quitte à se débarrasser des meilleurs et des plus fidèles. En finissant son film par la "Printemps de Prague" et surtout la réaction des troupes du Pacte de Varsovie, Gavras signifiait clairement que le modèle soviétique d'après Staline n'était pas différent de ce qui existait lorsqu'il était à la tête de l'URSS.

Pourtant, des réalisateurs russes ont bien osé critiquer le modèle soviétique. Parmi eux, Andrei Tarkovski fut peut-être le plus radical, proposant des films dits historiques ou d'autres de science fiction mais dans lesquels tout le monde pouvait y voir une critique à peine voilée de ce qu'tait l'URSS. Ainsi, dans Andrei Roublev réalisé en 1969, Tarkovski place son action dans la Russie du XVème siècle, dominé par le christianisme orthodoxe et les icônes saintes. Dans ce film, un maître affirme que le peuple est prêt à sacrifier et dénoncer les meilleurs parce qu'il est ignorant. Chose à laquelle rétorque son disciple Andrei que le peuple n'est pas coupable car il est laissé dans l’ignorance par l’élite. Par une parabole sur le Christ crucifié car renié, Andrei prétend que ceux qui l’ont condamné n’est pas le peuple mais bien l’élite. Que parmi elle se trouvent ceux qui ont le savoir, l’argent et profite de l’ignorance. Derrière cette parabole se trouve autant la critique de la persécution subie par les croyants chrétiens sous le régime soviétique et le fait que ceux qui sont loués sont ensuite oubliés, critique dans laquelle les spectateurs peuvent reconnaître les victimes des purges ou des mis à l’écart de la société. Si dans le film le peuple porte sa croix, la parabole permet sans aucun doute la comparaison avec le Parti qui a finalement rompu avec les idéaux de Lénine au profit de quelques uns seulement tandis que la foi chrétienne permet de s'élever, que ce soit dans l'accomplissement spirituel ou dans la construction monumentale, notamment d'une cloche grandiose. Quant aux différentes attaques des troupes russes de villes ou bastions voisins et alliés, la violence et la sauvagerie des soldats russes ou de leurs alliés ne manque pas de rappeler la manière dont les troupes du Pacte de Varsovie ont pu intervenir dans différents États satellites, de 1956 à 1968.


En 1972, Tarkovski s'aventure dans la science fiction en réalisant Solaris. À partir de l'idée d'aller observer une planète par des cosmonautes qui souhaitent entrer en contact avec elle, Tarkovski en déduit que la volonté de conquérir le Cosmos qui ne serait en fait que la volonté de conquérir la Terre jusqu’à ses confins mais aussi de rencontrer un autre Homme. Or le film montre justement que cette nécessité de rencontrer l’autre relève de cette volonté de se voir dans un miroir, qui, par définition renvoie une image certes semblable mais inversée. Entrer en contact avec l'autre, ici Solaris, la planète, c'est apprendre à mieux la connaître et devenir différent à son retour. Le spectateur ne peut manquer d'y voir un message de décrispation voire de rapprochement avec les USA auxquels l'allégorie de Solaris renvoie sans aucun doute. Plus encore, la critique de l'URSS et de son idéologie communiste passe dans celle de la foi communiste et soviétique de la science comme seule valeur, celle qui devrait améliorer la condition humaine. Or un des héros affirme haut et fort que ce ne sont que des sornettes, mettant plutôt en avant la nécessaire relation entre les êtres. Quant à l'égalité si chère au modèle communiste, ce même personnage se sert à son tour de Don Quichotte, non pour en faire une analogie comme Kozintchev mais pour utiliser le passage dans lequel il est écrit que c'est dans le sommeil que les hommes, puissants ou misérables, se retrouvent à égalité, mais que cette égalité est problématique car elle ressemble terriblement à l'égalité des Hommes face à la mort. L'égalité vue par le modèle soviétique serait donc liberticide et entraînerait la mort non des individus, mais la fin de la vitalité de l'Humanité.
Malgré les précautions prises par Tarkovski de placer ses histoires dans des époques passées ou futures, les censeurs soviétiques comprirent évidemment le côté subversif de ses œuvres qui furent évidemment censurées en URSS!
Mais cette censure n'empêcha pas d'autres réalisateurs russes de tourner et de critiquer le modèle soviétique comme par exemple Nikita Mikhalkov qui réalisa en 1991 un film illustrant finalement parfaitement l'échec du modèle soviétique. Urga marquait la fin de l'espérance dans l’idéologie communiste. Les Soviétiques travaillent beaucoup en URSS mais pour vivre mal tandis qu'aux confins de la Sibérie à la frontière de la Mongolie, les hommes vivent mieux que les Moscovites. Par des images choc, Mikhalkov fait vaciller tous les piliers du communisme puisque, dans une chambre d'hôtel de Sibérie dans laquelle vit le héros du film, un lent travelling dévoile des cigarettes américaines et un bibelot en céramique représentant une église orthodoxe, autant de choses bannies par l'URSS et pourtant bien présentes. Et si une enfant lit et apprend l’histoire glorieuse de la Révolution d’Octobre et de la lutte contre les Russes blancs, tout ceci relève davantage d'un catéchisme impliquant la foi que de la réalité vécue par les Russes. La faillite du régime soviétique instauré par Lénine est tellement patent que son image est désormais vendue sur des pin’s pour les touristes! Le film est de 1991, le régime n'allait pas tardé à tomber!


Dans Un monde sans pitié, Éric Rochant annonçait dès 1989 l’effondrement du modèle idéologique communiste, ressenti dans les pays occidentaux comme la fin des utopies dont il ne restait que le décorum  comme la « Fête de l’huma ». Mais le réalisateur faisait dire à ses personnages qu'il n'y avait  plus d’alternative à un modèle libéral triomphant, même en URSS! Le cinéma, soviétique ou occidental a donc accompagné le modèle mis en place par Staline au lendemain de la seconde guerre mondiale. Les exemples proposés ici ne sont bien évidemment que quelques éléments de réflexion sur cette thématique et bien d'autres cinéastes pourraient être utilisés, notamment pour la dernière décennie de l'URSS. Mais le plus frappant dans les œuvres cinématographiques soviétiques, c'est  l'absence quasi totale du monde hors monde communiste. Les références sont terriblement centrées sur le pays lui-même et on ne retrouve pas l'émancipation territoriale, voire extra-terrestre que l'on avait dans le cinéma soviétique de l'entre-deux guerres. En 1991, l'URSS tombait et s'ouvrait un nouveau monde. Apparemment.Le cinéma occidental s'est désintéressé de la Russie depuis près de 20 ans, Hollywood se trouvant bien d'autres ennemis à critiquer. Le cinéma russe n'est plus aussi reconnu qu'avant. Est-ce pour autant que ce cinéma n'existe plus? À voir! Il est à parier que bon nombre de films que l'Occident ignore reprennent sous Poutine les recettes utilisées autrefois sous les dirigeants soviétiques. Et que d'autres essaient encore de le critiquer. Il nous reste à faire l'effort  de découvrir ces films.

A bientôt
Lionel Lacour