mercredi 26 octobre 2011

Toutes nos envies: quand Lioret filme les maux de nos sociétés modernes

Bonjour à tous,

Philippe Lioret revient en novembre à l'écran avec le 200ème film produit par Rhône-Alpes Cinéma et tourné à Lyon. Je ne pouvais donc pas manquer d'évoquer ce film d'autant que Lioret nous avait époustouflé avec Welcome.
Comme il le dit très justement, son film est une adaptation très libre du livre d'Emmanuel Carrère D'autres vies que la mienne dont il tire finalement que deux éléments: une affaire judiciaire qui est une histoire vraie, et une histoire humaine qu'il fait se croiser et s'entremêler. Ce blog n'ayant pas pour vocation d'être un blog de critique cinématographique, je m'arrêterai donc sur les choix des scénaristes, Philippe Lioret et Emmanuel Courcol, déjà présent à l'écriture pour Welcome.




La juge, Claire, interprétée par Marie Gillain
1. Une plaie sociale: le surendettement
Ce que Lioret utilise comme fil conducteur est une histoire banale de surendettement qui touche tant de Français et d'Occidentaux. Cette intrigue n'est pas la plus présente à l'écran. Pourtant, chaque spectateur peut reconnaître ce dont il s'agit, qu'il soit victime ou non de ce phénomène. A partir du cas d'une jeune mère de famille qui est en surendettement, Lioret nous amène à comprendre le lent processus qui conduit les plus faibles des sociétés à vouloir consommer, aidés par des offres de prêts bancaires alléchantes. Qu'ils s'appellent "crédit revolving" ou "réserve gratuite", c'est bien de cette société de consommation qu'il s'agit de pourfendre. S'appuyant sur l'oeuvre d'Emmanuel Carrère qui reprenait justement lui-même le cas de deux juges qui réussirent à contrôler les sociétés de crédit pour limiter les cas de surendettement, Lioret montre combien les clients de ces crédits se retrouvent tels des poissons dans les mailles d'un filet de pêche. Plus ils essayent de s'en sortir, plus les mailles se resserrent sur eux. Par quelques séquences, la descente aux enfers de ces familles sont évoquées, sans misérabilisme. La jeune femme doit quitter son appartement pour vivre dans un foyer avec ses enfants. La jeune juge, interprétée par Marie Gillain le découvre par les scellés sur la porte de l'appartement.
La loi semble alors favorable aux puissants, ici les sociétés de crédits puisque l'expulsion a lieu avant la date légale d'impossibilité d'expulsion.
En prenant cette situation de départ, le film propose au spectateur de réfléchir sur des thèmes qui lui sont de plus en plus familier et qui ne lui sont pourtant pas toujours présentés de la même manière notamment dans la presse et surtout à la télévision. Soit la lecture est compassionnelle avec la tragédie des familles expulsées, effaçant les raisons pour lesquelles elles peuvent être justement expulsées du domicile qu'elles occupent, faisant du créancier un immonde personnage, soit c'est le point de vue du propriétaire qui est présenté comme subissant le non-paiement des loyers et le montrant dans l'impossibilité d'être payé ou même de disposer de son bien foncier car la loi protège les occupants pendant la période hivernale.
Ces deux points de vue sont absents du film de Lioret. Pas de compassion sensationnelle sur la famille expulsée. Il aurait pu filmer l'expulsion. On découvre juste les scellés. Au lieu d'une famille détruite, c'est une mère digne qui offre à boire à la juge qui l'aide comme elle peut. Cette partie du film est réalisée de manière très clinique, montrant davantage les rouages et juridiques et judiciaires que vivent les expulsés. Jamais le propriétaire de l'appartement n'est mis en accusation. Il n'est pas responsable. En revanche, les sociétés de crédits sont clairement sur le banc des accusés, notamment quand ils se retrouvent face aux juges. Tout aussi clinique est la description du processus entamé par les deux juges pour trouver une faille dans le rejet par la cour de Cassation de leur action en justice les conduisant à la Cour européenne de justice. Cette froideur technique du droit contraste alors avec le traitement des rapports humains entre les différents protagonistes du film, directs ou indirects.

Claire et Stéphane, deux juges qui se découvrent
par la maladie de Claire
2. Les sociétés occidentales face à la maladie
Ce que montre le film et constitue finalement l'essentiel du récit, c'est une société qui est à la fois de plus en plus encadrée par des lois qui protègent tantôt l'un, tantôt l'autre, qui peut être interprétée par les différents acteurs du monde judiciaire et qui est aussi une société qui demeure dans l'incapacité à gérer ce qui n'est justement pas gérable par la loi. La tumeur qui atteint la juge crée une zone de turbulence familiale sans même que son mari ne s'en rende compte. Parce que le personnage de Marie Gillain ne peut lui dire ce dont elle souffre. La mort qui est l'aboutissement certain de sa maladie lui est insupportable presque davantage pour ceux qui l'entourent que pour elle-même.
Lioret est donc dans une approche, et c'est le paradoxe, beaucoup moins clinique de la maladie de son héroïne que celle de la jeune femme expulsée pour cause de surendettement. Le seul véritable moment où est abordé le traitement et le suivi médical nécessaire est d'ailleurs esquivé par justement un recours à la loi. En effet, le médecin de la juge ne veut pas la laisser partir de l'hôpital sans que son père ne signe une décharge. Ce recours au texte montre que les institutions quelles qu'elles soient ont aussi besoin de la loi pour se protéger tandis que les citoyens peuvent se mettre sous l'autorité traditionnelle du père, bien que la malade soit majeure et depuis longtemps.
Céline (Amandine Dewasmes) prend la place de Claire
sans le savoir
Or si l'institution médicale se défausse finalement derrière l'autorité paternelle et donc familiale, le film montre bien que cette structure familiale n'est pas une valeur en soi. En taisant sa maladie à son mari, elle l'éloigne de son rôle protecteur qui était naguère confié justement à l'homme. Cet éloignement est multiple dans le film. Il est par la distance mise entre la maison familiale, à Lyon et l'hôpital, à Valence. Il vaut aussi par le rôle joué par le collègue interprété par Vincent Lindon qui devient le confident et de fait, joue le rôle normalement dévolu au mari, jusqu'à créer une ambiguïté dans leur relation pour le spectateur. Éloignement encore quand en hébergeant la jeune femme expulsée chez elle, elle crée de fait une concurrente et une épouse de substitution en prévision de sa mort prochaine.


Stéphane, juge et entraîneur du LOU, club de rugby de Lyon

Conclusion
En mêlant et croisant deux histoires par des traitements différents, Lioret réussit à capter une réalité de notre époque. La complexité d'une société réglée par la loi dans lequel l'humain disparaît derrière des intérêts matériels, rendant de plus en plus difficile les relations humaines, y compris au sein de familles qui semblent ne plus échanger que sur du superficiel et non sur des valeurs. Les références au passé de l'héroïne par son mari ne font qu'accentuer ce sentiment. Il sait, il comprend ce qui'anime sa femme dans son métier de juge mais il est incapable de saisir ce qui ne va plus chez elle par rapport à son couple, pour mieux renvoyer la faute sur l'autre juge une fois qu'il a compris. En introduisant des séquences de compétition de rugby, le discours peut apparaître comme simpliste. Sauf qu'il permet de faire une synthèse de la pensée du film. Le rugby ne peut se jouer que dans le cadre des règles, compliquées, mais n'est beau que dans les relations humaines que ces règles permettent: accomplissement de soi dans l'intérêt du collectif. Sans dévoiler la fin du film, le personnage de Lindon résout comme un rugbyman les deux trames dramatiques du film: dans le cadre des règles, les personnages réussissent leur mission dans un intérêt collectif.

A bientôt

Lionel Lacour

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