samedi 1 octobre 2011

Soy Cuba sur Classic

Bonjour à tous,

cette semaine, Ciné + Classic diffuse deux films de Kalatozov. Si le premier, Quand passent les cigognes, est resté célèbre notamment par sa Palme d'Or à Cannes en 1957 et pour son hisoire mélodramatique, le second, Soy Cuba, est quasiment inconnu du grand public. Réhabilité par le grand Martin Scorcese, son édition DVD avait ravi il y a déjà quelques années les plus fervents admirateurs du cinéaste soviétique. Sorti en 1964, ce film qui relate la révolution castriste n'a pas reçu l'accueil qu'il était en droit d'attendre. Les questions géo-politiques eurent raison de lui. Pourtant, du point de vue formel, ce film recèle des véritables bijoux de mise en scène et de réalisation, avec notamment des plans séquences admirables qui présentent comme aucun cinéaste n'aurait pu le faire Cuba avant Castro puis l'enthousiasme révolutionnaire de 1959.



1. Deux plans séquences d'anthologie pour présenter Cuba sous Batista
L'ouverture du film commence par un poème à Christophe Colomb. Une voix représentant Cuba (Soy Cuba: je suis Cuba) rappelle la misère dans laquelle se trouve l'île. En contre-plongée extrême, une croix montre le poids du christianisme sur la population paysanne qui souffre. Ce long plan séquence, d'une esthétique rare, permet au spectateur de voir la dignité de ce peuple harassé par la chaleur et par le travail. La caméra placé sur une barque, le rythme est lent. Le spectateur découvre des enfants dénudés, des femmes qui lavent leur linge dans l'eau de la rivière L'image est chaude malgré le Noir et Blanc.
On retrouve ici la patte de Kalatozov dans la composition de ses plans. Chaque cm² est utilisé pour donner du sens à l'image.



Soudain, dans un montage cut brutal, le spectateur se retrouve sur la terrasse d'une tour. Au calme et au silence de la première séquence succède une musique d'inspiration rock. La caméra se focalise d'abord sur des musiciens puis suit des jeunes femmes défilant pour un concours de beauté. La vue dégagée présente une ville "à l'américaine". Ces jeunes femmes peu mais bien habillées semblent être en dehors de la vie. Le visage est glacé, le regard sans vie. La caméra continue son chemin dans le bruit des instruments, descend de quelques mètres pour débouler sur une autre terrasse remplie d'américains et d'américaines de tous âges. Leur blondeur ne laisse aucun doute sur leurs origines. Leur manière de se comporter, leur gestuelle non plus. Ils sont sur cette terrasse en occupants, en colons.

Les rares personnes brunes sont des serveurs ou des jeunes femmes alanguies dont une se lève pour se diriger vers une piscine. Elle y plonge. La caméra la suit. La musique résonne encore.
Nous sommes bien à Cuba, à La Havane. Cuba est une île pauvre, comme la première longue séquence l'annonçait. Mais cette pauvreté n'accable que les Cubains. Les Américains quant à eux profitent des richesses de cette île tropicale. Kalatozov réussit en deux séquences absolument fantastiques à montrer le contraste qui existe entre le peuple cubain, exploité, et ceux qui profitent de cette misère, notamment les Américains. Et entre les deux, des jeunes femmes ou des domestiques qui espèrent profiter de ce que ces occidentaux peuvent apporter: pourboire, mariage...

2. La victoire de la Révolution
L'ensemble du film montre donc comment le peuple cubain s'est révolté contre ceux qui les maintenaient dans la misère. Le soulèvement est populaire. Au passage, le comédien français Jean Bouise vient jouer un rôle étonnant dans ce film! Mais toute cette révolution peut se résumer dans une séquence finale faisant là encore preuve d'un vrai génie de mise en scène. Si les deux premiers longs plans séquences étaient à la fois descriptifs et présentaient les contrastes de développement entre les deux Cuba, la séquence finale est plus une parabole de la révolution. Elle commence par un paysan rejoignant les révolutionnaires. Ne possédant pas de fusil, il se fait signifier que la possession d'une telle arme s'obtient en la conquérant sur l'ennemi. Ainsi, le voit-on tuer un légaliste et lui voler son arme à feu. Dans cette longue séquence, les ennemis de la révolution sont toujours hors cadre. La marche des castristes se fait à l'écran de droite vers la gauche, de l'Est vers l'Ouest. L'ennemi est soutenu par les occidentaux. Aux coups de feu des insurgés répondent des coups de canon. La caméra, dans un long traveling, suit ce paysan dont on découvre qu'il a été vraisemblablement été tué. Pourtant, le voici qui se relève, continue le combat. Dans un plan onirique, il marche seul, face aux tirs des canons qui semblent ne plus le toucher. Kalatozov réussit à transcrire à l'image ce que Maurice Druon et Joseph Kessel écrivait dans Le chant des partisans: "Si tu tombes un autre prends ta place..." Le cinéaste magnifie à l'écran l'idéal révolutionnaire cubain. C'est une lutte du peuple contre l'oppression capitaliste. Après cette longue séquence, par une ellipse limpide, le spectateur retrouve le paysan au milieu des autres "résistants", unis sous le drapeau cubain, en contre-plongée, la même que celle du début. Sauf que maintenant, ce sont les Cubains qui deviennent maîtres de leur sort. La voix qui se présentait comme étant Cuba reprend la parole. Cuba vient de se libérer. Et dans un mouvement de caméra d'une grande fluidité, les insurgés triomphants marchent maintenant de la gauche vers la droite, de l'Ouest vers l'Est, des USA vers l'URSS?

3. Un accueil glacial
Malgré le triomphe de Quand passent les cigognes, les pays occidentaux goûtèrent peu cette épopée castriste. Les raisons sont évidentes. Castro avait renversé un dictateur à la solde des USA, les Américains s'étaient empêtrés dans la baie des Cochons et avaient tremblé quand les missiles soviétiques avaient été installés sur cette île devenue communiste. Pour les mêmes raisons, l'Europe avait boudé ce film qui ne présentait pas les mêmes caractéristiques pacifistes qui avaient fait la gloire de Quand passent les cigognes.  En U.R.S.S., le film fut à peine distribué. En effet, réalisé en 1964, le film mettait en scène une révolution qui avait trouvé son soutien chez le leader soviétique, Khrouchtchev. Or celui-ci est évincé du pouvoir justement en 1964. Kalatozov semblait être le réalisateur de la politique Khrouchtchevienne, marquée par la coexistence pacifique de 1956 et le soutien à la révolution cubaine. Quant à Cuba, le film déplut à Fidel Castro, la place au leader de la Révolution étant très faible tandis que celle faite au peuple était totale, comme en témoignait la séquence finale.


Témoignage étonnant de la révolution castriste avec un point de vue beaucoup plus soviétique et khrouchtchevien que cubain, ce film fut donc quasiment oublié. Jusqu'à ce que Scorcese, réalisateur américain, redécouvre la beauté formelle de ce film. Et permette aux spectateurs du monde entier de le découvrir aussi. Je vous recommande donc de voir ce film sur Ciné + Classic, ou de le commander pour voir et revoir encore ce chef d'oeuvre.

A bientôt

Lionel Lacour

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